L’homme de télévision et ancien ministre de la Culture est décédé d’un cancer à l’âge de 76 ans.
Paris. De tous les ministres de la Culture de la Ve République issus de la société civile Frédéric Mitterrand a été le plus glamour. Pendant plus de vingt ans, il a présenté des émissions de télévision sur les stars de cinéma avec une voix nonchalante qui a forgé son identité. Il a réalisé et produit des films et des documentaires. Ce que l’on dit moins, est qu’il détient un record de longévité Rue de Valois, derrière André Malraux et Jack Lang, et à quasi-égalité avec Renaud Donnedieu de Vabres et Jean-Philippe Lecat : près de trois ans. Diplômé de Science-Po, il avait aussi constitué un groupe de salles de cinéma (qui a fait faillite) et eu plusieurs fonctions institutionnelles telle que la direction générale déléguée de TV5. Sa nomination à la villa Médicis en 2008 avait été une surprise qu’il doit à la colère d’Olivier Poivre d’Arvor furieux de ne pas avoir eu le poste au profit du conseiller culture de l’Élysée. Nicolas Sarkozy n’avait alors pris ni l’un ni l’autre.
Un an plus tard, le même Nicolas Sarkozy le propulse Rue de Valois à la place de Christine Albanel qui apprend sa disgrâce à la suite d’une indiscrétion de « Frédo » qui n’avait pas pu retenir sa langue. La nomination du neveu de François Mitterrand a eu son petit effet comme aujourd’hui celle de Rachida Dati. Le ministre a par la suite essuyé plusieurs polémiques, la plus violente étant celle allumée par Marine Le Pen, ressortant un livre de 2005 dans lequel il relate ses relations sexuelles avec de jeunes garçons en Thaïlande (La Mauvaise Vie,éd. Robert Laffont, 2005).
Au ministère, sa feuille de route est claire : faire enfin adopter la loi sur le piratage (Hadopi) et mettre en chantier la Maison de l’histoire de France. Il y ajoute un projet de musée de la photographie à l’hôtel de Nevers et un programme de restauration de musées. Il doit composer avec le Conseil de la création artistique dirigé par un autre exploitant de salles (Marin Karmitz) qu’il parvient cependant à circonvenir.
Frédéric Mitterrand n’était pas vraiment un homme de dossier, comme il le dit lui-même dans son journal (La Récréation, éd. Robert Laffont, 2013), deux jours après son arrivée au ministère : « Le conseiller budgétaire, un gentil garçon tout frais émoulu de l’ordinateur de l’ENA, me dépose un dossier de mille pages bourré de statistiques et d’acronymes incompréhensibles. Moi : “Vous me le rapporterez quand il fera deux pages en français.” » Il préfère aller sur le terrain pour jouir des prérogatives liées à sa fonction, au milieu de courtisans qui savent le prendre.
Nicolas Sarkozy battu, il est remplacé par Aurélie Filippetti qui s’empresse d’enterrer la Maison de l’histoire de France et l’hôtel de Nevers, et de reconfigurer le projet de villa Médicis qu’il voulait installer dans une tour de Seine-Saint-Denis. Il s’en console en publiant son journal sur ses trois ans au ministère au titre ambigu [lire encadré] dans lequel il distribue bons et mauvais points avec beaucoup d’humour, tout en essayant de forger l’image d’un ministre responsable. Frédéric Mitterrand était aussi un écrivain. Candidat malheureux à l’Académie française, il est élu en 2019 au fauteuil de Jeanne Moreau à l’Académie des beaux-arts.
« La Récréation »
Son journal publié en 2013 raconte jour par jour ses déplacements et rencontres qu’il pimente d’éloges ou critiques qui en font tout le sel et dont voici une sélection.Éric de Chassey (qui lui a succédé à la villa Médicis). « “Tout se passe très bien à la Villa.” Je ne demande pas mieux, mais les échos que j’en reçois me disent le contraire. Il semblerait plutôt qu’il terrorise le personnel, ignore les Romains, travaille surtout pour sa réputation d’historien de l’art et néglige l’alchimie subtile qui assure la vie de la villa. »Jean-Jacques Aillagon. « Dans mon bureau, particulièrement suave. Il souhaite être renouvelé à Versailles, mais se doute de la réticence du président [Nicolas Sarkozy] qui le méprise. Je le soutiendrai quoi qu’il en soit, parce qu’il est bon, mais en attendant j’allume les warnings. On s’entend sur la durée du renouvellement si je le lui obtiens. Pas au-delà du couperet de l’âge de la retraite. C’est clair. »Didier Fusillier.« Si la gauche parvient au pouvoir, Didier Fusillier ferait un excellent ministre de la Culture. Il l’a prouvé à Lille auprès de Martine [Aubry], qui lui fait totalement confiance. »Mathieu Gallet. « Il réussit remarquablement bien à l’INA malgré les peaux de banane qu’on glisse sous ses pas : les médisances venimeuses de Frédéric Martel répandues dans la presse, la procédure minable diligentée par ce balourd hypocrite de maire de Jarnac. »Christophe Girard.« Le supergourou culturel de la Ville de Paris, au petit-déjeuner ; on ne sait jamais s’il va vous embrasser ou vous mordre. Tellement sûr de lui ; nous étions assez amis autrefois. »Henri Loyrette.« Furieux parce qu’on ne lui accorde pas tous les emplois qu’il réclame. Quel ministre passerait ainsi près de deux heures à négocier pour deux emplois sur un total de plus de mille ? Je n’ai pas la discourtoisie de le lui faire remarquer mais il s’en rend compte et se radoucit. »
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Frédéric Mitterrand (1947-2024)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°630 du 29 mars 2024, avec le titre suivant : Frédéric Mitterrand (1947-2024)