À mieux connaître Frédéric Borel, il est étonnant de voir combien ses réalisations lui ressemblent. Où l’on verra combien se cache, derrière les bonnes manières et les exercices de style, une envie profonde de parler haut et fort...
À 40 ans, Frédéric Borel, cet éternel grand timide, fait partie du milieu de « la jeune architecture parisienne ». Cela ne lui confère pourtant pas une place privilégiée. Diplômé de l’École spéciale d’Architecture, ayant longtemps collaboré avec Christian de Portzamparc, Borel partage avec lui cette position de talent marginal et cultivé, tour à tour perfectionniste, impartial et honnête, parfois jusqu’à la naïveté. Borel s’avère ainsi d’autant plus discret que, évitant d’être pris sous le feu croisé des différents clans, il en est d’autant moins sous les feux de la rampe. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir construit nombre de bâtiments salués pour leurs qualités spatiales et formelles. Il y a une grande légitimité à parler de son travail en terme de phénoménologie et de baroquisme. On retrouve ce désir de donner sens à l’espace et à nous l’assurer. Parfois même au point de trop le contraindre par sa matrice symbolique et sa construction géométrique. Fondamentalement attaché à sa grande connaissance des anciens faubourgs parisiens, comment fait-il pour être aussi prolixe dans la construction de logements sociaux, programme à l’économie généralement on ne peut plus austère ? Que l’on pense à ses réalisations de la rue Rampeneau (1989), du boulevard de Belleville (1989), de la rue Oberkampf (1993) ou de la rue Pelleport (1999).
À parcourir ses projets récents, quelques motifs archétypiques apparaissent comme celui de poser sur le sol un abri dans lequel on rentre. Comment cela se traduit-il ? D’abord par l’enracinement local et symbolique à l’idée de lieu. C’est par exemple le cas pour le Centre culturel d’Albi (1993), l’Hôtel des impôts de Brive-la-Gaillarde ou le Palais de justice de Narbonne (1997). Cet ancrage acquis, c’est ensuite l’idée de boîte, de caverne naturelle habitable, réduite à sa plus simple expression d’enveloppe artificielle comme par exemple pour ce bâtiment universitaire à Agen (1997), bunker camouflé s’inscrivant savamment dans le paysage. À cela, vient s’ajouter l’éloge du seuil et du cadrage. Encore compatible avec l’accélération technologique de la vie contemporaine, ces actes du voir ou de l’entrer ne sauraient se faire à travers n’importe quel percement. Parfois rite de passage, parfois expression cinématique d’un balayage visuel de l’espace, parfois encore contemplation panoramique, chaque ouverture a sa spécificité symbolique. À Laval (1996), c’est un épais tunnel ovoïde qui fait réponse à l’exigence fonctionnelle et institutionnelle d’entrée dans la cité judiciaire. Rue Oberkampf, c’est un pont qui traverse périlleusement le gouffre séparant les deux ailes de l’immmeuble. Le rapprochant en cela d’Henri Gaudin. Le recours à l’épaisseur conforte l’image militaire d’un bunker archéologique. Cela serait-il alors incompatible avec son souhait d’ouverture et d’espace en creux ? Pas du tout. Chicanes, pont-levis, chemins de garde et passages secrets sont repérables à chaque détour de son architecture et en font précisément toute la porosité avec l’espace public. Les fenêtres de Borel cadrent comme les vedutti de la peinture italienne mais aussi comme des meurtrières nous préservant aussi du dehors. Quand aux nombreuses vigies qui ponctuent ses façades, elles ne sont pas toutes aussi pigeonnantes que le balconnet de la rue Ramponneau. Tours de guet ou tours d’ivoire, les deux tourettes de la rue Oberkampf sont, elles aussi, l’expression d’un architecte vigilant c’est-à-dire attentif et alerte. Discret magicien, Borel garde donc plus d’une tour dans son sac...
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Frédéric Borel, un héros très discret
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°514 du 1 mars 2000, avec le titre suivant : Frédéric Borel, un héros très discret