François-Xavier Bieuville explique le fonctionnement, le financement et les projets de la Fondation du patrimoine qu’il dirige depuis 2014.
Enarque et issu du corps préfectoral (promotion Copernic, 2000-2002), François-Xavier Bieuville (51 ans) et dirige la Fondation du patrimoine depuis février 2014. Directeur général de l’Agence de l’Outre-mer pour la mobilité (LADOM, ex-ANT) de 2009 à 2013, ce diplômé de droit public est également adjoint au maire de Levallois.
La Fondation du patrimoine a 20 ans cette année : ses missions et actions ont-elles changé depuis sa création ?
Sa grande mission reste de faire participer le secteur privé à la protection du patrimoine. D’une part, par l’intermédiaire des propriétaires, contre l’agrément fiscal. C’est une mission de terreau, celle de les encourager à s’approprier le patrimoine et à le mettre en valeur. Avec les collectivités, d’autre part, il faut compenser les baisses de subventions locales par une plus grande implication, pour entretenir le patrimoine du cœur, ce que j’appelle le trésor des humbles. C’est le sens du développement des clubs de mécènes et d’une politique d’adhésion plus systématique. Enfin, à l’échelle nationale, nous continuons d’aller au-devant des grands donateurs (par l’intermédiaire de l’abattement offert sur l’impôt de solidarité sur la fortune) et des grandes entreprises qui ont une visibilité nationale.
Vos ressources (34,30 millions d’euros en 2015) sont en augmentation légère. Est-ce structurel ?
Les souscriptions, qui comptent pour 41 % de nos revenus (13,8 millions), ont été multipliées par dix en dix ans. Nous devrions battre un nouveau record en 2016, en dépassant les 15 millions d’euros collectés. Les legs sont stables. Cela suffit à compenser la baisse du produit des successions en déshérence.
D’où vient cet engouement pour les souscriptions ?
C’est une interrogation réelle, car la fiscalité n’est pas le seul moteur. Il y a une tendance du cœur des Français à être attaché à ce qui constitue une partie de leur mémoire, de leur histoire, donc de leur identité. Simone Weil disait, dans L’Enracinement : « de tous les besoins de l’âme humaine, il n’y en a pas plus vital que son passé ». Le soin accordé à son patrimoine est un ressort de citoyenneté.
En 2017, année électorale, risquez-vous de devoir réduire la voilure ?
Sans doute. Nos 8 millions d’euros de frais fixes (pour 50 % dûs à la masse salariale et 50 % au fonctionnement) devraient légèrement baisser, sans conséquence majeure. Le capital de la Fondation repose sur deux éléments : son capital humain (salariés et bénévoles) et la confiance dont nous jouissons, parce que notre signature est honorée et respectée. En vingt ans, avec plus de 25 000 projets, nous avons contribué à l’équivalent de 2,1 milliards d’euros de travaux, ce qui équivaut, dans le bâtiment, à 60 000 emplois préservés ou créés. Cela donne une idée du poids économique de notre secteur.
Quel est le profil des délégués régionaux qui animent les clubs de mécènes ?
La plupart sont de jeunes retraités du secteur privé, qui agissent comme des patrons de filiales : ils défendent leur bilan et leur budget. Dans les clubs, nous sommes à l’initiative, mais les entreprises sont très actives. Nous sommes les seules structures à rassembler ainsi les entrepreneurs à l’échelle départementale et régionale. Nos 25 clubs fédèrent plus de 200 mécènes.
Les 22 délégués régionaux ne comptent qu’une seule femme. Comment est-ce possible ?
Les délégués sont proposés par leurs prédécesseurs et validés par la Fondation. La réalité est que nous avons très peu de candidates et nous devons susciter plus de candidatures (notamment féminines) pour pouvoir équilibrer les instances dans un souci de parité.
Comme la fondation de France, vous bénéficiez du statut de « fondation abritante ». En quoi cela consiste-t-il ?
C’est simple : ceux qui veulent créer une fondation sans personnalité morale ni frais de gestion se contentent de réunir des bonnes volontés et des moyens pour développer un objet. Nous nous chargeons de la dimension administrative, mais leurs avantages fiscaux sont inchangés.
Quelle dépense fiscale représente les labels que vous délivrez aux particuliers pour cinq ans (et qui permettent de déduire tout ou partie du financement des travaux) ?
Les 1 243 labels octroyés en 2015 représentent une grosse dizaine de millions d’euros annuels de dépense fiscale (soit en moyenne 10 000 euros déduits par chantier, ndlr). Quand tout le monde s’alarme du retrait de l’État, je rappelle ainsi qu’il garantit un excellent niveau d’intervention indirect par la dépense fiscale, ce qui représente un soutien primordial au patrimoine : c’est vrai par le label, mais aussi par le volume croissant des souscriptions permettant la déductibilité du don.
Il y a une importante concentration de projets en Val de Loire, Centre et Bourgogne. Pourquoi ?
La carte évolue sur des cycles moyens. La personnalité des bénévoles joue beaucoup, après il y a la réalité du patrimoine, et le fait que certaines régions, comme la Normandie par exemple, ont bien restauré leur patrimoine rural, et qu’il y a moins de projets sur le feu. Mais gardons à l’esprit le chantier global : sur 36 000 communes il y a 42 000 édifices religieux et entre 500 000 et 800 000 bâtiments non inscrits dignes d’intérêt. Sur les maisons, il nous faut maintenir la cadence à son niveau.
Comptez-vous sur le don en ligne qui est une révolution dans le paysage du patrimoine populaire (1,80 M€ en 2015) ?
Sur les dons en ligne, nous sommes à 22 % de plus que l’année dernière à la même époque, alors que nous attendons toujours notre nouveau site pour la fin de l’année. Néanmoins, il faut être prudent avec les effets de conjoncture : voir Chambord sous les eaux a beaucoup ému l’opinion. Mais il nous faut éviter le pathos. Ce serait la mort du mécénat. Il faut rester sur un geste réfléchi et non émotif, sur l’adhésion à un besoin structurel et non conjoncturel.
Certaines associations vous ont reproché des liens avec des promoteurs éoliens, qu’ils combattent par ailleurs. Avez-vous une ligne politique sur la question, ou la traitez-vous au cas par cas ?
De deux choses l’une. Nous sommes légalistes : si les promoteurs ont toutes les autorisations administratives et que les contre-pouvoirs et le ministère de l’Écologie et de l’Environnement ont joué leur rôle, alors nous n’interférons pas. Tous ces acteurs font déjà le travail d’inspection. La Fondation du patrimoine n’est ni une autorité morale, ni de contestation. En revanche, par principe de cohérence, les délégations régionales ne vont plus chercher d’argent de ce côté-là. Nous sommes prudents, sans parti pris idéologique pour autant.
Sur quelle base d’évaluation attribuez-vous les agréments et accordez-vous les financements ?
C’est un processus en entonnoir classique : le premier contact vient du bénévole, puis on rentre dans un cycle de réflexion et de règles : le Conseil d’aménagement d’urbanisme et d’environnement (CAUE) intervient, puis les Architectes de bâtiments de France (ABF). Si l’avis des ABF est positif, la direction de la Fondation peut signer l’agrément.
Au sein de la loi Création architecture et patrimoine (LCAP), le retrait des principales dispositions sur les cités historiques est-il pour vous une déception ?
D’un point de vue technique, la loi Aillagon de 2003 sur les fondations d’entreprises, bien qu’elle ne nous concernât qu’indirectement, a eu plus d’impact sur notre quotidien. Je retiens néanmoins un point important de la LCAP : le maintien des règlements des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP). Mais la question centrale est ailleurs. Aujourd’hui le tourisme est géré par le ministère des Affaires étrangères. C’est un choix qu’il faut assumer, mais le patrimoine est le pétrole de la France. Seule l’Italie, dans le monde, peut se prévaloir d’une telle richesse.
En ce sens, qu’auriez-vous attendu de la LCAP ?
Prenons un exemple simple. Aujourd’hui, lorsqu’on accorde un label, certains acteurs refusent le double vitrage patrimonial, parce que les matériaux ne sont pas « traditionnels ». Je milite pour que l’on finance davantage l’innovation technologique, comme les nouveaux produits isolants. C’est un savoir-faire à haute valeur ajoutée et qui s’inscrit dans une logique de développement durable. Au-delà de certains décrets qui vont dans ce sens, il faut une politique véritablement ambitieuse dans ce domaine.
L’inscription de l’œuvre du Corbusier à l’Unesco vous touche-t-elle, dans la mesure où la plupart des bâtiments concernés étaient de toute façon déjà classés ?
Politiquement, c’est fondamental. C’est la réponse à Palmyre. Le patrimoine devient mondial et l’on crée petit à petit une culture universelle. C’est un message envoyé à ceux qui ont des visées impérialistes.
Hormis la rénovation de vos outils de communication, quels sont vos grands chantiers de l’année à venir ?
Nous allons rééquilibrer les rôles entre le siège, qui doit prendre davantage de fonction support (expertise et conseil), et nos antennes régionales, chargées de la production.
Vous travaillez à Levallois aux côtés de Patrick Balkany. Comment appréciez-vous l’actualité judiciaire et médiatique autour du maire ?
J’ai un attachement profond pour la ville de Levallois, où j’ai passé toute mon enfance. D’abord, les condamnations passées sont passées, et les réparations effectuées ou en cours. Pour les affaires en cours d’instruction, la présomption d’innocence est de mise. D’autre part, si je soutiens la politique municipale du maire, ma liberté de parole et d’action (il n’a pas sa carte aux Républicains, ndlr) me permet de travailler pour ma ville sereinement.
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François-Xavier Bieuville : « Il nous faut éviter le pathos »
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Abonnez-vous dès 1 €François-Xavier Bieuville. © Photo : Philippe Couette.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°465 du 14 octobre 2016, avec le titre suivant : François-Xavier Bieuville : « Il nous faut éviter le pathos »