François Pinault, homme de l’année

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 15 janvier 2008 - 1057 mots

Un collège d’une centaine de professionnels français du marché de l’art ont décerné le titre d’« Homme de l’année du marché de l’art » au collectionneur propriétaire de Christie’s.

F. Pinault %26copy; G. Arici

Avec le naufrage en 2005 de son projet de Fondation sur l’île Seguin (Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine), François Pinault pourrait imaginer ne pas être prophète en son pays. C’est pourtant lui que les professionnels français du marché de l’art ont désigné comme homme de l’année. Sans doute parce que ce collectionneur pugnace et carnassier a su batailler pour décrocher la pointe de la Douane à Venise, garder son leadership sur le marché hexagonal avec sa maison de ventes, Christie’s, et surprendre par la qualité de sa collection de vidéos récemment exposée à Lille.
Généralement, les méga-collectionneurs « en jettent » plus qu’ils n’étonnent, tant leurs collections, guidées par l’argent et la mode, se révèlent convenues. C’est le sentiment que laissait l’été dernier le second opus de la collection Pinault présenté au Palazzo Grassi, édifice vénitien que l’homme d’affaires a repris en mai 2005. Organisé par l’Américaine Alison Gingeras, cet événement a irrité notamment par le face-à-face abusif entre de superbes Martial Raysse des années 1960 et des œuvres piètrement décoratives de l’Allemand Anselm Reyle. Cette déception fut heureusement dissipée par « Passage du temps », l’exposition de l’ensemble de photographies et vidéos orchestrée à l’automne dernier par Caroline Bourgeois au Tri postal, à Lille. Directrice du centre d’art Le Plateau à Paris, celle-ci a monté de 1998 à 2001 la collection de vidéos de Pinault. Enfin un événement qui ne ressemblait pas à un catalogue d’une vente du soir de Christie’s ! Enfin une exposition réfléchie, ambitieuse mais sans prétention, jouissive et surprenante. Qui aurait imaginé la présence d’artistes comme le Belge Michel François ou le Hollandais Aernout Mik dans sa collection ? Seul regret, celui de ne pas y voir Doug Aitken, sans doute le meilleur vidéaste de sa génération, ou Thierry Kuntzel. L’exercice n’a certes pas échappé à la démonstration de force, tant la puissance financière du milliardaire se percevait dans le grand tunnel de lumière de Dan Flavin ou la vidéo en multiprojection un peu poussive de Bill Viola. Lorsqu’on sait que, pour acquérir une autre œuvre de Viola, le Centre Pompidou (Paris), la Tate Modern (Londres), le Whitney Museum of American Art (New York) ont dû mettre en commun leurs deniers, la force de frappe de Pinault apparaît bluffante. Ce pouvoir lui a même permis de battre le MoMA [Museum of Modern Art] à plates coutures, en achetant en juin 2007 à la barbe du musée new-yorkais six tableaux de Sigmar Polke présentés dans le pavillon international de la Biennale de Venise. Pour son conseiller Philippe Ségalot, un argument aurait fait mouche auprès de l’artiste allemand : ses œuvres allaient bénéficier d’une présentation permanente à la pointe de la Douane à Venise.

Confusion des rôles
Car l’homme d’affaires a remporté haut la main un autre bras de fer avec un musée américain, le Guggenheim, pour la concession de cet espace à quelques jets de pierre du Palazzo Grassi. Alors que Pinault s’était porté candidat dès l’été 2006 pour l’exploitation du site, le Guggenheim est sorti du bois à la dernière minute, suscitant un suspense long de plusieurs mois. De fait, le collectionneur ne boudait pas son plaisir lors de la signature le 8 juin de l’accord de « sous-concession » du bâtiment pour une durée de trente ans renouvelable. En contrepartie, l’homme d’affaires doit prendre en charge la totalité des travaux, évalués entre 20 et 25 millions d’euros, ainsi que le déficit d’exploitation, estimé à environ 2-3 millions d’euros. La cité des Doges a aussi obtenu de François Pinault la disponibilité de 141 œuvres constituant la collection permanente de ce futur centre d’art privé, dont l’ouverture est prévue en 2009, au moment de la prochaine Biennale de Venise.
Sans être titanesque, cet espace d’une surface d’environ 5 000 m2 permettra au collectionneur d’installer certaines œuvres aujourd’hui à l’étroit au Palazzo. Des pièces comme l’envoûtante et monumentale sculpture Silk Road de l’Indien Subodh Gupta, achetée à l’automne dernier à la galerie In Situ (Paris) ? Mais Pinault ne cède pas uniquement au gigantisme. À la Foire internationale d’art contemporain (FIAC), où il fut moins dépensier que lors de la précédente édition du salon en 2006, il a aussi emporté vingt et un tableaux datant de 1991 de Daniel Buren proposés par Kamel Mennour, ainsi qu’une toile du Coréen Lee Ufan mise en vente par nächts St. Stephan (Vienne). Hors foire, il a opté pour une toile de 1992 de Martin Barré chez Nathalie Obadia (Paris). En décembre, Pinault a enfin acheté chez Jeanne-Bucher deux œuvres de Yang Jiechang, l’artiste le plus discret et le moins spéculatif de la nouvelle vague chinoise. Un précédent sans doute pour un collectionneur qui, jusque-là, ne s’intéressait guère à l’art de l’empire du Milieu.
L’homme ne se contente pas d’accumuler des œuvres. Partenaire autrefois de feue la galerie Marbeau (Paris), il aime aussi aligner les entreprises « artistico-financières ». Lors de son achat en 1998 de Christie’s, le Landerneau avait craint à juste titre une confusion des rôles. Difficile d’être en toute innocence collectionneur, faiseur de cotes et maître du marché. Quand Christie’s a acquis en février 2007 une galerie d’art contemporain, Haunch of Venison, une nouvelle ligne jaune a semblé désormais franchie. Si par cet achat Christie’s entend proposer un service plus complet à ses clients, en mettant un pas dans le premier marché, elle touche au nerf de la guerre. Un temps circonspects, voire inquiets, les artistes n’ont finalement pas quitté une galerie qui leur offre des conditions de production attractives. Refusée sur certaines foires, Haunch of Venison figurera toutefois dans la prochaine édition de Tefaf (Maastricht) où Christie’s avait exposé en mars 2007 via une vitrine inventée pour l’occasion, « King Street Fine Art ». Quoi qu’il en soit, François Pinault peut se frotter les mains. Malgré une baisse de 13 % de son chiffre d’affaires, Christie’s reste avec 185,9 millions d’euros la tête de pont du marché de l’art en France, ce pour la cinquième année consécutive. Néanmoins, sur le plan international, l’écurie de Pinault est au coude à coude avec sa rivale Sotheby’s, lesquelles prévoient toutes deux un chiffre d’affaires mondial de 6 milliards de dollars (4,07 milliards d’euros). Il faut parfois partager le maillot jaune !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°273 du 18 janvier 2008, avec le titre suivant : François Pinault, homme de l’année

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