Francis Bacon, sexe, mensonges et cinéma

Le Journal des Arts

Le 11 septembre 1998 - 495 mots

Love is the Devil : study for a portrait of Francis Bacon , un film controversé sur l’artiste, sort en salle à Londres le 18 septembre, et le 9 décembre en France. La relation amoureuse sadomasochiste qui unissait le peintre et George Dyer en constitue le thème central.

LONDRES (de notre correspondante). Love is the Devil : study for a portrait of Francis Bacon met en scène Sir Derek Jacobi dans le rôle du peintre et Daniel Craig dans celui de George Dyer, le petit escroc de l’East End londonien. Ce dernier a été le compagnon de Bacon pendant huit ans, de 1964 à 1971.

 “Je n’ai pas voulu réaliser un film biographique traditionnel, déclare John Maybury, scénariste et metteur en scène du film. Il existe déjà assez de documents là-dessus. J’ai cherché à créer une atmosphère et non pas à reproduire les détails historiques. Les tableaux que je préfère sont les portraits de George Dyer, il m’a donc semblé logique d’étudier cette partie de la vie de Bacon”.

Le film commence par la mort par overdose de George Dyer, le soir même du vernissage de la rétrospective Bacon au Grand Palais, en 1971. Il revient ensuite aux débuts de la relation entre les deux hommes, jusqu’à ce soir de 1964 où George Dyer s’est introduit chez Francis Bacon par une lucarne pour le cambrioler. Selon John Maybury, “sexuellement, Bacon était masochiste et Dyer sadique. Psychologiquement, c’était évidemment l’inverse. Le film est une étude sur les rapports humains en général : entre un artiste et sa muse, entre deux niveaux de classe sociale, entre un sadique et un masochiste. Ce n’est pas non plus particulièrement un film homosexuel : quiconque a vécu une relation intense reconnaîtra les horreurs dépeintes ici”.

Scénario modifié
Dès avant le début du tournage, Lord Gowrie, directeur de l’Arts Council, est intervenu personnellement pour s’opposer à un soutien financier au film, objection qui a été levée après la modification du scénario. La Marlborough Gallery, alors chargée de la succession de Bacon, a elle aussi fait savoir qu’elle intenterait des poursuites judiciaires si le film reproduisait des tableaux ou reprenait des paroles prononcées par l’artiste. “Ces réactions des gardiens de la culture m’ont choqué, reconnaît John Maybury. Bacon lui-même n’entretenait aucun mystère sur sa vie sexuelle qui, de toute façon, est très présente dans ses tableaux – ils vont beaucoup plus loin que je n’aurais jamais pu le faire. Mon film est discret en comparaison. Si j’y avais introduit toutes les obscénités que je connais sur Bacon et sa vie privée, le film n’aurait pas été montrable”.

Malgré cette interdiction de reproduire les œuvres de l’artiste, le film est imprégné de son travail. “Bacon a été notre ultime chef de production, souligne le réalisateur. Les tableaux nous disaient exactement ce qu’il fallait faire. Les miroirs, la présentation en triptyque, la claustrophobie qui règne dans toutes les pièces, l’alcool et la peau brûlée par les mégots de cigarettes, tout est là, comme un cadeau”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°66 du 11 septembre 1998, avec le titre suivant : Francis Bacon, sexe, mensonges et cinéma

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