Un petit autoportrait, généralement désigné sous le nom de Van Gogh sans barbe, a été vendu 71 millions de dollars (près de 400 millions de francs) par Christie’s le 19 novembre. Ni sa qualité, ni son authenticité ne sont remises en cause, mais Jan Hulsker, auteur d’une biographie et d’un catalogue raisonné du peintre, dénonce la description fautive et dithyrambique sous laquelle la maison de vente a présenté le tableau.
VICTORIA (CANADA) - “Une peinture sans égale dans l’histoire du portrait”. C’est ainsi que les auteurs du catalogue de Christie’s commencent leur description du Van Gogh sans barbe (41 x 32,6 cm), mis en vente à New York le 19 novembre 1998.
Si tout le monde sait quoi penser de ce genre d’éloges, en revanche, les acheteurs potentiels n’étaient pas nécessairement à même de juger le contenu “scientifique” de la notice, qui mentionne en substance que “le portrait a été peint en septembre 1889, comme cadeau d’anniversaire pour sa mère [...]. On pense qu’il s’agit là du dernier autoportrait réalisé par Van Gogh [...]. L’artiste résidait alors dans un asile à Saint-Rémy [...]. Il a peint au minimum six portraits en septembre 1889, dont trois autoportraits”.
Or, tout cela est truffé d’inexactitudes. Le portrait n’a pas été peint en septembre : ce mois-là, Vincent portait la barbe. Il n’a pas été exécuté pour l’anniversaire de sa mère, mais lui fut simplement envoyé, plusieurs mois après sa réalisation, en plus d’une série de copies réduites de compositions peintes pour son frère Théo. Ce n’est pas son dernier autoportrait : les derniers sont beaucoup plus grands et plus célèbres, tels ceux de la collection de Mme J. Hay Whitney à New York, ou celui du Musée d’Orsay à Paris, sur fond bleu-vert de lignes tourbillonnantes. Enfin, Van Gogh ne vivait pas à l’asile de Saint-Rémy, mais à Arles.
Des erreurs difficilement excusables
Nous savons par ses lettres (W22 et 514) qu’en juin 1888, Vincent avait l’air “hagard”, “avec la barbe rasée de près”, sans doute parce qu’il travaillait des jours entiers dehors, dans la terrible canicule des mois d’été à Arles. Le petit autoportrait a été peint au seul autre moment où il pouvait se trouver sans barbe, c’est-à-dire quand il séjournait à l’hôpital d’Arles, où l’on soignait son oreille mutilée. Il s’était alors rasé, comme le prouve le fameux Autoportrait à l’oreille bandée. C’était en janvier 1889. Son bandage ôté, Vincent a immédiatement peint ce petit tableau, dont il rend compte à Théo dans la lettre 571 du 17 janvier 1889. Il mentionne d’abord un autoportrait qu’il a fait pour le peintre Laval, ajoutant : “J’ai un autre nouveau pour toi aussi”.
Ce ne sont pas là des faits inconnus. La date exacte de l’autoportrait figure depuis 1978 dans les différentes éditions de mon catalogue raisonné de Van Gogh, publié en quatre langues. De plus, une page et demie est consacrée à cette œuvre et à son histoire dans mon livre Vincent Van Gogh, un guide de ses œuvres et de ses lettres, édité en 1993 par le Musée Vincent Van Gogh. Il semble néanmoins que cela n’ait pas suffi pour que les auteurs du catalogue de Christie’s communiquent des informations exactes.
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Fausse notice pour vrai Van Gogh
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°75 du 22 janvier 1999, avec le titre suivant : Fausse notice pour vrai Van Gogh