A chacune ou presque de ses expositions, Fabien Verschaere empoigne aussi librement que vigoureusement le lieu qui lui est imparti pour y étendre un univers expansif et jubilatoire. L’espace Ricard qui lui soumet deux volumes imperturbables en fait les frais gourmands : wall drawings prodigues, aquarelles, sculptures, photographies, jeux de typographies et de lettrines, petit théâtre et pièce montée géante ont tôt fait de confisquer avec une avidité et un aplomb ahurissants les deux cubes susnommés. Et pourtant, ce ne sont que des amorces, des fragments de fictions, de rêveries inquiétantes que l’artiste suggère, bien plus qu’il n’impose. L’association dansante des éléments libère – comme souvent chez Verschaere – un climat turbulent et offensif tout entier tendu vers les mondes dantesques du cirque, de la foire, du conte et d’une enfance trouble, sur fond de couleurs robustes et diluées, de traits vifs et de figures enchevêtrées. C’est à celle du monstre que Verschaere prête main le plus souvent, laissant ici un flot de créatures fabuleuses le soin d’animer une galerie de portraits déliée – écrite horizontalement – sur l’un des murs de l’espace, jetant frontalement et à hauteur de vue du spectateur une farandole païenne. Clowns, diables, lutins, monstres, princesses et châteaux, chairs incisées, os étoilés, organes délivrés, centaure à queue de pinceau, éclaboussures de sang ou de peinture « règlent leurs contes » les uns dans les autres, faisant face à une autre mythologie en noir et blanc cette fois, flirtant avec une imagerie de bande dessinée fantastique, dont l’expressivité brutale, grotesque, acérée n’a rien à envier à la précédente. Signe de l’extension irrépressible de ces scènes orgiaques, Verschaere s’amuse désormais à en déborder les cadres, laissant le pinceau tracer de virevoltants ornements comme autant de bordures impétueuses. Et alors qu’il place depuis toujours sa virtuosité dans la pratique du dessin, celle qui fait confiance à la main, Verschaere s’essaie cette fois aux variations d’échelles et de médiums, maintenant les registres du cirque et du conte de fée comme un filigrane impur et suspect. Difficile alors de ne pas se sentir happé par l’urgence et l’imagination débridée de son graphisme et de sa mise en scène. Une mise en scène qui amorce une narration, ou plutôt une temporalité galopante, jouant non sans un cynisme bienveillant sur la séduction inavouable et mélancolique délivrée par sa poésie de l’emprunt. Émaillé de références graphiques, cinématographiques et populaires, puisant dans une imagerie crue, l’artiste se glisse lui-même dans l’univers fantastique dont il est l’instigateur. Dessiné, photographié, statufié, affublé de cornes de diablotin, revêtu d’un déguisement approximatif de princesse, nu muni de gants de boxe, enveloppé d’une armure de feuilles d’aluminium et posant en crâne chevalier médiéval, dissimulé sous un entremêlement de corps, clown de plâtre, de céramique ou bête de sexe, Verschaere expose crûment sa petite taille, dans un étrange jeu de complicité avec sa tribu graphique, tout en chevillant violemment cette même tribu, au monde et au... spectateur. Un spectateur secoué, déjoué, en même temps que conduit à reformuler la frontalité de son regard sur le monde. Adjoindre sexe et obscénité dans un vocabulaire et une représentation traditionnellement dévolus à l’enfance échappe pourtant au trouble complaisant. Celui qui s’en dégage ne cesse jamais d’interroger le regard de soi, celui d’autrui, les modalités de construction d’une identité, la nature béante et salutaire de l’imagination et sonne finalement comme un hymne au flux et à la fécondité.
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Fabien Verschaere
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°565 du 1 janvier 2005, avec le titre suivant : Fabien Verschaere