Pour alléger la charge, l’État tente depuis 2004 de céder une partie de ses monuments aux collectivités locales. Après un premier bilan positif mais coûteux, pour soixante-cinq conventions signées, le gouvernement est désormais prêt à ouvrir les vannes. Sans limites...
Alors que l’État met son parc immobilier au régime, tentant de vendre immeubles de bureaux ou anciennes casernes, les monuments historiques n’échappent pas à cette nouvelle cure. Si quelques opérations spectaculaires, comme la location de longue durée prévue pour l’hôtel de la Marine [lire p. 18], fleuron du patrimoine parisien, monopolisent les colonnes de la presse, le sujet du transfert des monuments historiques protégés vers les collectivités territoriales ressemble toujours à un serpent de mer. Le dernier épisode en date de cette saga est pourtant sûrement le moins glorieux.
Le coup de feu de l’article 52
En octobre 2009, le gouvernement, pensant pouvoir enfin solder l’affaire, glissait discrètement dans le projet de loi de finances pour 2010 un article, le désormais célèbre article 52, destiné à relancer le processus. Pourquoi pas, sauf que le texte prévoyait de ne plus s’embarrasser d’aucune précaution, l’ensemble des monuments protégés de l’État ou de ses opérateurs étant susceptible de faire l’objet d’un transfert, sur le principe d’un « appel généralisé et sans limitation de durée ». Le procédé, qui avait tout du cavalier législatif – c’est-à-dire un article sans lien direct avec le projet de loi dans lequel il se trouve –, a été censuré par le Conseil constitutionnel. Mais il était significatif d’une volonté du gouvernement de rendre désormais cette décentralisation plus attractive pour les collectivités. Car pour les argentiers de Bercy, le pléthorique parc de monuments historiques nationaux semble désormais bien trop lourd à assumer. Il faut donc accélérer la cadence et passer la surmultipliée, après une première vague de transferts lancée en 2004. À l’époque, cette première étape avait été entourée d’un certain nombre de précautions. Des travaux, menés par une commission réunie autour de l’historien René Rémond, avaient conduit à une liste de 178 monuments, excluant de toute dévolution les monuments d’intérêt national (palais nationaux, lieux de mémoire...). Le processus avait ensuite été mis en œuvre dans le cadre de la loi du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, laissant un an aux collectivités pour se déclarer candidates. Une durée très courte qui a tout de même permis au ministère de la Culture de recevoir soixante-treize candidatures pour soixante-dix monuments. Au final, soixante-cinq conventions ont été signées.
Les abandons en route
Quelques projets ont achoppé en cours de route. La commune des Andelys (Eure), 10 000 habitants, s’est finalement rétractée face à la charge financière de l’entretien des ruines de l’ancienne forteresse de Château-Gaillard. Le département des Alpes-Maritimes, pourtant plus argenté, qui s’était déclaré intéressé par la reprise du monastère de Saorge, a lui aussi renoncé à reprendre ce site isolé, qui n’accueille que 5 000 visiteurs par an et dont les possibilités de valorisation économique ne lui ont pas semblé évidentes. L’État avait racheté en 1967 ce monastère de style baroque, classé au titre des monuments historiques, car la commune n’avait alors pas les moyens de l’entretenir… Après avoir été réoccupé par des moines franciscains, le monastère avait été confié, suite au départ des moines, à la gestion du Centre des monuments nationaux (CMN). Qui l’a donc finalement conservé et y étudie désormais l’installation d’une résidence hôtelière en lieu et place des anciennes résidences d’artistes. Un monument à forte notoriété, la Villa Cavrois, construite par Robert Mallet -Stevens à Croix (Nord) et rachetée par l’État en 2001 alors qu’elle menaçait ruine, n’a pas davantage trouvé preneur. La communauté d’agglomération de Lille l’ayant refusé, le monument est rentré dans le giron du CMN. Plus rares sont les projets des collectivités qui ont été retoqués : tel est le cas du transfert de la forteresse de Salses, le programme de valorisation porté par la commune ayant été jugé insuffisant par le préfet de région.
Plus près du terrain
Si les communes sont les principales bénéficiaires de cette dévolution (quarante-quatre monuments, contre quinze aux départements et six à des régions), c’est que nombre de ces transferts ont concerné des sites de taille modeste (oppidums, tumulus, dolmens…) que l’État n’entretenait plus depuis plusieurs dizaines d’années. Pour la petite commune rurale de Cerzat (Haute-Loire), il était en effet plus simple de reprendre la gestion du gisement préhistorique que de continuer à laisser le site dans un état de quasi-abandon. À Millau (Aveyron), la mairie avait sollicité depuis plusieurs années la reprise de la gestion du site gallo-romain de la Graufesenque, administré par le CMN, afin de développer une meilleure synergie avec les collections archéologiques du musée municipal. Ce transfert s’est par ailleurs accompagné du lancement d’un projet plus vaste, la communauté d’agglomération s’étant portée acquéreur de 17 hectares du site afin de continuer les fouilles et de construire un espace de valorisation. Trois millions d’euros seront par ailleurs versés au titre du contrat de projets État-Région 2007-2013 pour l’aménagement de quatre pôles archéologiques du site. Pour les communes porteuses d’un projet, le transfert a donc souvent permis de mettre en œuvre une véritable gestion de proximité. Mais la dévolution de monuments plus coûteux en travaux de restauration a été plus épineuse. En 2004 – et contrairement à aujourd’hui –, l’État voulait convaincre que cette politique ne consistait pas en un simple transfert de charges, laissant des monuments ruinés à la responsabilité des collectivités. Dans un rapport de 2002 en prélude à ces nouvelles dispositions, Jean-Pierre Bady, conseiller maître à la Cour des comptes, insistait sur le fait qu’il fallait « éviter que ce transfert apparaisse comme une opération de vide-grenier et que les collectivités viennent faire leur marché ». L’État avait alors donné l’exemple en sacrifiant le château du Haut-Kœnigsbourg, fleuron du parc de monuments du CMN générant un résultat positif de plus d’un million d’euros – au total
le CMN a été privé de onze monuments –, au profit du département du Bas-Rhin. La collectivité faisait une bonne affaire puisque l’État s’était engagé à financer à près de 50 % les travaux de restauration – un taux de subventionnement aujourd’hui impensable –, soit 3,24 millions sur 6,78 millions d’euros. Tel a été également le cas pour d’autres monuments insignes : château de Chaumont, abbaye de Jumièges, château de Campagne, château de Châteauneuf, tour de Watten, fort du Mont-Alban, abbaye de Silvacane, château du roi René… Mais au total, seules vingt-cinq conventions ont été accompagnées d’un soutien financier de l’État, chiffré à 51 millions d’euros sur cinq ans. De quoi s’interroger sur un « problème d’équité » dans la répartition de ces financements, comme l’a souligné récemment le rapport de la sénatrice Françoise Férat consacré à l’avenir du CMN et aux règles de dévolution des monuments. Cela alors que certaines communes n’ont pas vraiment joué le jeu de la valorisation. À Nice, le fort du Mont-Alban a pu enfin rouvrir au public à l’automne 2010, après 2,5 millions d’euros de travaux dont la moitié a été supportée par l’État. Mais aucun projet concret de valorisation n’a été mis en place, le site n’étant ouvert que ponctuellement.
En attente d’un premier bilan
À la surprise des sénateurs, aucun bilan de cette première vague de transferts n’a été établi par le ministère de la Culture. Si le rapport Férat, le premier à tenter un compte-rendu, souligne le caractère positif de ces transferts pour les monuments, « celui d’une dynamique culturelle très encourageante, couplée à un véritable travail de développement d’une identité culturelle territoriale », il révèle aussi que l’affaire n’a pas toujours été très économique pour l’État. Cette volonté gouvernementale de relancer le processus en ouvrant davantage les vannes, mais sans proposer, en contrepartie, d’engagement sur un plan de travaux viendrait-elle de là ? Retoqué, ce projet devra être revu. Mais d’ores et déjà, deux visions s’opposent : celle des partisans du maintien d’un cadre strict préalable à tout transfert, dans la lignée d’une proposition de loi sénatoriale (Férat-Legendre), face à celle d’un autre front, plus ouvertement libéral, militant pour la levée de toutes les contraintes. Le débat sera bientôt rouvert pour tâcher d’écrire enfin l’épilogue de cette saga de la décentralisation des monuments historiques
1 - La renaissance de Randan, dans le Puy-de-Dôme
Pour certains sites, la décentralisation lancée en 2004 a eu le mérite de rétablir une certaine cohérence. Ainsi à Randan (Puy-de-Dôme), l’ancienne propriété de la famille d’Orléans est désormais administrée sous une tutelle unique, celle de la région Auvergne.
Le Musée cynégétique du duc de Montpensier
L’histoire des lieux a été à l’origine de cette complexité. Brûlé et ruiné en 1925, le château, et les quelques communs encore debout, a appartenu aux descendants des Orléans jusque dans les années 1990. Face à la menace d’une dispersion des collections mobilières de ce rare ensemble datant de la monarchie de Juillet, l’État et les collectivités ont pris leurs responsabilités. En 1999, à la veille d’une grande vente aux enchères, l’État s’est porté acquéreur des collections – ensuite transférées au CMN – alors que la région et le département s’associaient pour racheter le domaine. Près de dix ans plus tard, la décentralisation a permis à la région de récupérer la propriété des collections, qui seront valorisées sur place. 3,2 millions d’euros ont déjà été investis sur le site qui a pu rouvrir partiellement en 2009 et qui propose notamment à nouveau la visite du Musée cynégétique du duc de Montpensier.
2 - L’incroyable histoire du cloître en kit de l’abbaye de Berdoues, dans le Gers
Pour l’heure, l’État est toujours propriétaire de cet édifice, car aucune collectivité ne s’est portée candidate. Mais la présence sur la liste des monuments transférables des éléments du cloître de l’abbaye de Berdoues (Gers) est venue rappeler l’incroyable histoire de cet ensemble.
Près de quatre cents fragments attendant bien sagement
Construit au xiie siècle, le monument a été dépecé dès la Révolution et ses éléments lapidaires ont été vendus par lots. Sous l’Occupation, le maréchal Goering fait l’acquisition d’une partie des pièces via un marchand d’art, Paul Gouvert, et les fait expédier en Allemagne où elles doivent orner sa résidence de Karinhall, au nord-est de Berlin. Après la guerre, les éléments sont stockés au musée de Nuremberg. Ce n’est qu’en 2003 que la France, après une longue bataille, obtient la restitution des quelque quatre cents fragments. Mais faute de projet, ils sont déposés dans l’ancienne abbaye, devenue propriété privée… La petite commune de quatre cents habitants n’a guère les moyens de financer une reconstruction, de surcroît sur un terrain privé. Le tout pour un coût estimé à 300 000 euros. Le dossier est toujours en cours de négociation.
3 - Un pôle préhistorique pour Campagne, en Dordogne
En Dordogne, le château de Campagne est devenu l’un des maillons du Pôle international de la préhistoire, projet mené par le département de la Dordogne. Après achèvement de ses travaux de restauration, le château médiéval, transformé à la Renaissance, accueillera le siège d’un nouvel établissement public de coopération culturelle (EPCC), destiné à piloter une démarche globale de valorisation des sites de la vallée de la Vézère, associant pour dix ans l’État, le conseil régional d’Aquitaine et le conseil général de la Dordogne.
Un projet de développement par le tourisme
Presque 4 millions d’euros de travaux ont été investis pour le seul château sur une enveloppe globale de près de 20 millions d’euros alloués au projet, inscrit au contrat de projets État-Région 2007-2013. Cette zone touristique abrite quinze sites préhistoriques répertoriés au patrimoine mondial de l’Unesco, notamment la célèbre grotte de Lascaux dont le fac-similé attire, à lui seul, 300 000 visiteurs par an. Avec ce projet, le département ne cache pas ses ambitions de développement économique : passer de 850 millions d’euros de chiffre d’affaires du tourisme à plus d’un milliard d’euros.
4 - Le Haut-Kœnigsbourg, en Alsace, pour l’exemple…
« Un remarquable produit d’appel pour l’Alsace. » Les mots sont de Philippe Richert, sénateur et ancien président du conseil général du Bas-Rhin, actuel président du conseil régional d’Alsace – et aujourd’hui ministre chargé des… Collectivités territoriales. Celui-ci a été un artisan de la première vague de décentralisations dont il a été le rapporteur pour avis auprès de la Commission des affaires culturelles du Sénat. Les efforts de Philippe Richert ont été récompensés puisque son département a obtenu de signer le tout premier transfert d’un monument de l’État. Et non des moindres : un fleuron, l’ancienne forteresse du Haut-Kœnigsbourg. Reconstruit en 1900 par l’empereur Guillaume II, ce château de grès rose aux allures médiévales était, avec plus de 500 000 visiteurs par an, l’un des principaux monuments bénéficiaires du Centre des monuments nationaux. Cerise sur le gâteau, les travaux de restauration seront financés à hauteur de 50 % par l’État. Depuis ce transfert, la collectivité, qui a par ailleurs investi dans des outils de traduction et mène une communication touristique offensive, se targue d’avoir porté la fréquentation à 530 000 visiteurs, dont plus de 40 % d’étrangers. Un projet de développement sur dix ans est en cours d’élaboration.
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État-Régions, transferts de monuments, où en est-on...
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°632 du 1 février 2011, avec le titre suivant : État-Régions, transferts de monuments, où en est-on...