Yitzhak Levy, président du Parti national religieux d’Israël, a été nommé cette année ministre de l’Éducation, de la Culture et des Sports. Âgé de cinquante et un ans et d’origine marocaine, il a officié comme rabbin au B’nei Akiva Yeshiva (un mouvement éducatif de droite) durant les vingt dernières années. Il a répondu par écrit aux questions posées par Martin Weyl, ancien directeur du Musée d’Israël, qui dirige la Fondation Beracha à Jérusalem, dont l’objectif est de promouvoir les relations entre l’art et la culture, la politique et l’environnement.
Yitzhak Levy est le président du Parti national religieux d’Israël (NRP), un parti orthodoxe qui prône une politique pure et dure dans le conflit israélo-palestinien et défend les colons des territoires occupés. Il fait pression sur le Premier ministre Benjamin Netanyahou en menaçant de quitter la coalition si ce dernier se retire des territoires occupés. Dans le passé, le NRP était plutôt modéré sur les questions de culture religieuse et laïque, mais la situation a changé depuis l’arrivée à sa tête d’Yitzhak Levy. Un scandale a éclaté en avril, lors des célébrations gouvernementales du cinquantième anniversaire de l’État d’Israël : la compagnie de danse Batsheva, de renommée internationale, a annulé sa représentation en réaction contre les protestations des ultra-orthodoxes qui estimaient que les danseurs étaient insuffisamment vêtus pendant leur danse sur une prière juive. Pour trouver un compromis, Yitzhak Levy avait proposé que les danseurs apparaissent en collants longs, mais la Batsheva a finalement refusé de monter sur scène. En représailles, la compagnie a ensuite donné un spectacle à Tel-Aviv, où une danseuse habillée en juive orthodoxe s’est retrouvée en sous-vêtements.
La politique culturelle de Yitzhak Levy est notamment critiquée par les partis laïcs. Son budget ministériel de 19 milliards de shekels (27,8 milliards de francs) privilégie l’éducation religieuse aux dépens des institutions laïques. La culture et les arts bénéficient de 317 millions de shekels (465 millions de francs). Le ministre a fait progresser le financement des organisations culturelles des partis religieux de 80 millions de shekels. Le budget pour les collèges de la Torah, dans les territoires occupés, a été multiplié par quatorze ; celui des écoles juives a bénéficié d’une hausse de 90 millions de shekels pour atteindre 790 millions. Dans le même temps, le budget de développement des bâtiments publics religieux a pratiquement été multiplié par deux, pour atteindre 44 millions de shekels. Cette année, d’importantes institutions laïques, comme le Musée d’art de Tel-Aviv et le Théâtre Habima, attendent toujours le vote de leur subvention gouvernementale. Déclenchant une controverse, Yitzhak Levy a essayé en vain de supprimer la subvention à l’École de cinéma Sam Spiegel, très réputée à Jérusalem, qui soutient les relations de l’art avec la culture, la politique et l’environnement, pour l’attribuer à une école de cinéma religieuse, Ma’ala.
Quel est votre point de vue sur la culture en Israël ?
La culture israélienne est, à mon avis, unique pour différentes raisons : d’abord, c’est l’une des plus jeunes puisqu’elle a “seulement” cinquante ans. Elle est donc en train d’évoluer, de se consolider, de chercher sa voie. Ensuite, elle comprend des peuples de quatre-vingts pays qui parlent cent langues différentes. Cette diversité est sans égale pour une société de 6 millions d’habitants. Cela nous oblige à développer une vie culturelle pluraliste, à prendre en considération les besoins de la population toute entière dans ses caractéristiques multiformes, ses racines et ses attitudes.
Votre politique culturelle est-elle différente de celle de vos prédécesseurs ? Pouvez-vous définir ou résumer cette politique ?
Je ne crois pas à la création d’un “melting pot” artificiel, et je suis déterminé à ne pas favoriser une culture plutôt qu’une autre. Nous devons donner à tous les Israéliens le sentiment que les pouvoirs culturels soutiennent leurs traditions culturelles respectives et cherchent à développer et à nourrir ces traditions. Je suis convaincu que les critères d’attribution des subventions gouvernementales à l’art et à la culture doivent faire l’objet d’une révision périodique pour les adapter à des besoins changeants, aux groupes concernés et à l’époque moderne.
En tant que représentant d’un parti politique religieux, avez-vous le sentiment que la culture devrait être circonscrite dans des paramètres spécifiques ou croyez-vous en la liberté absolue de la créativité culturelle ?
Je crois en la libre expression culturelle en Israël. La liberté de création et d’expression est indéniablement l’une des pierres angulaires d’une société démocratique. Néanmoins, lors de manifestations culturelles nationales et publiques, les différentes sensibilités du public doivent être prises en compte afin de ne pas offenser ou mettre mal à l’aise tout groupe dont les sensibilités culturelles et traditionnelles pourraient être heurtées par une exposition artistique particulière, excluant ainsi leur présence. Cette politique n’a aucun rapport avec ma propre appartenance à un parti religieux. C’est la base qui permet, à mon avis, à tout État ou société de garantir la liberté d’expression culturelle à chacun et non pas seulement à quelques-uns.
À la lumière des tensions entre les populations religieuses et laïques et entre les divers groupes ethniques, pensez-vous que la culture puisse servir de force unificatrice ou avoir l’effet contraire ?
Je pense que la culture, en Israël, a un rôle central à jouer dans l’apaisement des tensions, des sentiments de mécontentement, et dans la division entre les groupes, principalement et particulièrement entre les religieux et les laïcs. Par sa nature même, la culture doit être pluraliste, tolérante et sensible. De cette façon, et en dépit de toutes les différences, elle peut être un élément unificateur.
Quelle est votre position sur le financement de la promotion de la culture des groupes minoritaires, tels que les Arabes, les Druzes... ?
Je crois que le gouvernement doit veiller à ce que le budget de la Culture profite à tous les citoyens, y compris, bien sûr, aux groupes minoritaires. À cet égard, il n’y a pas de différence entre les populations. C’est notre politique et je l’ai bien précisé à l’administration des Arts et de la Culture. Je sais que, pendant des années, la répartition des subventions a été inégale entre les différents groupes de la société et de la population, et j’ai bien l’intention de corriger cette situation, progressivement, mais de façon décisive.
Des efforts sont-ils faits pour entreprendre des activités culturelles en coopération avec les Palestiniens ?
À ma connaissance, il n’existe pas de coopération culturelle officielle avec les Palestiniens. Nous sommes encore loin de la coopération pour ce qui est de la sécurité et de la paix. Nous devons d’abord nouer et consolider des relations dans ces domaines pour pouvoir ensuite entreprendre des actions supplémentaires. S’il y a des projets naissants de coopération culturelle, ils sont le fruit d’initiatives individuelles et locales.
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Entretien avec Yitzhak Levy
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°68 du 9 octobre 1998, avec le titre suivant : Entretien avec Yitzhak Levy