Enrichissement à la loupe

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 12 mai 2009 - 1937 mots

À défaut de moyens financiers importants, les musées en régions favorisent la spécificité et l’intérêt historique dans leurs politiques d’acquisition.

Le 23 février 2008, le ministère de la Culture publiait au Journal officiel un appel à mécénat pour l’acquisition d’un tableau de François de Troy au bénéfice du Musée de l’Île-de-France à Sceaux (Hauts-de-Seine). C’est finalement grâce à l’entreprise Total (1 450 000 euros) que Le Festin de Didon et Énée (1702) a fait son retour en France, après plus d’un siècle passé entre les mains de collectionneurs privés en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Son prix d’achat de 1 650 750 euros (la somme a été complétée par le conseil général des Hauts-de-Seine à hauteur de 200 750 euros) peut paraître bien pâle en comparaison des 17 millions réunis pour le sauvetage de La Fuite en Égypte de Nicolas Poussin, une opération de mécénat d’envergure nationale organisée au profit du Musée des beaux-arts de Lyon (achat inscrit dans l’exercice 2008 du musée lyonnais). Or ce Festin représente le deuxième achat le plus élevé pour un musée territorial en France en 2008. Adjugé 1 776 000 dollars le 8 juin 2007 chez Sotheby’s New York (soit 1 323 467 euros à cette date), le tableau avait été acquis par le marchand britannique Guy Stair Sainty. Ne jouissant pas de son droit de préemption dans les ventes aux enchères new-yorkaises, le musée n’avait pas plus les moyens d’enchérir. Grâce à son « pouvoir d’achat », la galerie londonienne a donc fait un profit de plus de 300 000 euros, dont elle a sans doute dépensé une partie pour livrer le tableau au château de Sceaux… Mais la fin justifie les moyens : ce tableau que le président du conseil général, Patrick Devedjian, assimile à « une photo de famille, prise il y a un peu plus de trois cents ans », représente sous les traits de Didon et Énée le duc et de la duchesse du Maine, acquéreurs du domaine de Sceaux en 1700. L’œuvre retrouve naturellement sa place au château, dont le nouveau directeur, Dominique Brême, est justement un spécialiste de François de Troy.

Sculpture de Claudel
Compte tenu du manque de moyens des musées en régions qui, faut-il le rappeler, ne peuvent rivaliser avec les grands établissements publics, le recours au mécénat et aux subventions implique la constitution de dossiers de candidature aux choix ciblés et argumentés. Le label « Intérêt patrimonial majeur » délivré par la commission consultative des trésors nationaux a ainsi facilité l’acquisition de Persée et la Gorgone pour le Musée municipal Dubois-Boucher à Nogent-sur-Seine (Aube). Cette sculpture en marbre de Camille Claudel a nécessité un montage financier des plus complexes, pour lequel pas moins de dix-sept mécènes ont été sollicités (768 500 euros) et une souscription publique a été lancée (7 000 euros). Le mécénat privé représente encore une fois la plus grosse partie du financement de ce marbre monumental, qui vient s’ajouter aux deux bronzes de Claudel dans les collections du musée. Conclu auprès des assurances AGF « à un tarif préférentiel », cet achat témoigne de la stratégie globale de développement touristique menée par la municipalité depuis une douzaine d’années visant, à terme, un projet pour le musée d’une extension consacrée à la muse de Rodin. Car c’est à Nogent-sur-Seine que Claudel prend ses premiers cours, auprès du sculpteur Alfred Boucher et, vingt ans plus tard, Persée et la Gorgone marque précisément la rupture de l’influence de Rodin et le retour au classicisme inculqué par Boucher.

Des expositions intéressées
Installé au Palais Rohan, le Musée des arts décoratifs de Strasbourg a pour sa part bénéficié du principe de l’after sale pour s’offrir un coffre en laque de Chine d’époque Kangxi (1662-1722) et son piétement d’époque Régence qui n’avait pas atteint son prix de réserve chez Christie’s Paris, en décembre 2007. Cet achat (231 800 euros) est une petite victoire pour le musée, qui a retrouvé l’un des deux coffres mentionnés dans les inventaires de l’ameublement du palais. Le soutien de l’État par le biais du Fonds du patrimoine (47 500 euros) tombe sous le sens : tandis que le premier coffre retrouve son alcôve de la chambre du roi, le musée poursuit sa reconstitution minutieuse d’un ensemble décoratif des années 1730 et 1740 dispersé au cours de ventes révolutionnaires. Idem pour le panneau de la Femme au chien qui porte un collier conçu par Paul Ranson pour la salle à manger de Siegfried Bing, pièce qui vient compléter l’ensemble détenu par le Musée départemental Maurice-Denis à Saint-Germain-en-Laye (227 000 euros, dont 75 000 euros du Fonds du patrimoine). Une mobilisation départementale et régionale a également précédé l’acquisition du Tronc d’arbre en forêt de Camille Corot (150 000 euros) : le nouveau trophée du Musée de l’école de Barbizon est le premier tableau que le jeune Corot a peint en forêt de Fontainebleau.
En 2008, les acquisitions en vue d’exposition étaient au rendez-vous, à l’instar de Frère et sœur de Carpeaux pour le Musée de Valenciennes qui préparait l’exposition « Carpeaux-Daumier », ou du Christ Mort, rare tableau du dessinateur Antoine Dieu présenté lors de la manifestation « Pas la couleur, rien que la nuance ! » au Musée des Augustins à Toulouse. Les acquisitions de ces vingt-cinq dernières années font d’ailleurs l’objet d’une rétrospective (jusqu’au 2 nov.) au musée toulousain avec, en vedette, le splendide Saint Michel terrassant les anges rebelles, du peintre officiel de Toulouse Antoine Rivalz.

Quelques exemples

Musée Paul-Dubois — Alfred-Boucher À Nogent-sur-Seine
Camille Claudel, Persée et la Gorgone, 1902, marbre. Acquis 950 000 euros, grâce au soutien de dix-sept mécènes : EDF, CRCA Crédit Agricole Champagne Bourgogne, Saipol, centre commercial Belle Idée, société POK, SAS Agri Condiments, groupe Soufflet, société Gaget, SARL ANAU, Cabinet Lenoir et associés, SIABA, Larbalettier SASSU, ACMM, La Renaissance, société Emin-Leydier, Cabinet Prieur (768 500 euros). L’État (Fonds du Patrimoine) (80 000 euros), les collectivités territoriales [conseil régional de Champagne-Ardenne (10 500 euros), conseil général de l’Aube (20 000 euros), Ville de Nogent-sur-Seine (64 000 euros)], et une souscription publique (7 000 euros)

Musée Fabre à Montpellier
Louis Gauffier, La Vue de Vallombreuse (1797), huile/toile, 400 000 euros avec les frais, Sotheby’s New York, 24 janvier 2008. Acquise par la Communauté d’agglomération de Montpellier, avec l’aide du Fonds du patrimoine (150 000 euros) et du Fonds régional d’acquisition des musées (50 000 euros).
Willem van Diest, Marine, temps calme (1646), huile/toile, 54 000 euros. Acquise auprès de la galerie Boher, Amsterdam, par la Communauté d’agglomération de Montpellier (19 000 euros) avec le soutien de l’Association des amis du musée (30 000 euros) et d’un mécène privé (5 000 euros)

Musée des Beaux-Arts de Nantes
Claude-Marie Dubufe, Adam et Ève et Le Paradis Perdu, huiles/toile, 350 000 euros. Acquises auprès de la gal. Talabardon & Gautier, Paris

Musée d’art moderne Lille-Métropole
Vassily Kandinsky, Xylographies, portfolio, Éditions des tendances nouvelles, Paris, 1909. Don de l’Association des amis du Musée d’art moderne (acquis 2 500 euros à la galerie L’Estampe originale, Saratoga, Californie).
Collection complète de la revue Cobra, 10 numéros publiés entre 1949 et 1951. Don de l’association Regards & Entreprises (acquise 5 000 euros auprès d’une galerie bruxelloise).
Fabrice d’Albissin, 80 sculptures et des documents d’archives. Don de la famille de l’artiste
Christian Boltanski, La Biennale de Venise 1938-1993, 193 photographies et un texte. Acquise 320 000 euros avec l’aide du FRAM

Musée des Beaux-Arts de Marseille
Pierre Puget, La Sainte Famille au palmier, huile/toile, 317 200 euros. Préemptée à l’étude Damien Leclere, Marseille, 21 juin 2008

Musée des Beaux-Arts de Rennes
Henri Mauperché, Personnages sur les marches d’un palais en ruines (v. 1645), huile, 230 000 euros. Acquise auprès de la galerie Didier Aaron

Musée départemental Maurice-Denis, Le Prieuré, Saint-Germain-en-Laye
Paul Émile Ranson, La Femme au chien qui porte un collier (1895), tempera sur toile, 168 500 livres sterling (227 000 euros), Christie’s Londres, 5 février 2008. Acquise par le conseil général des Yvelines (114 000 euros) avec l’aide du FRAM (78 000 euros) et du Fonds national du patrimoine (75 000 euros).

MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE LYON
Étienne-Martin, Pietà (1945), sculpture, 120 000 euros. Acquise auprès de Françoise Dupuy-Michaud, avec l’aide du FRAM.
Bram van Velde, Sans titre, Montrouge (1945 ?), « Le cheval majeur », gouache et huile sur toile ?, 190 000 euros. Acquise auprès de Catherine Putman avec l’aide du FRAM.
Ensemble d’œuvres et d’archives ayant appartenu au galeriste lyonnais Marcel Michaud (1898-1958). Don de la fille de l’artiste, Françoise Dupuy-Michaud, Paris

Musée départemental de l’École de Barbizon
Camille Corot, Détail de tronc d’arbre en forêt (1822), huile/toile, 150 000 euros. Acquise auprès d’une galerie d’Amsterdam par le conseil général de Seine-et-Marne, avec l’aide du FRAM (42 000 euros) et de la Région (56 250 euros)

MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN DE STRASBOURG
Art & Language, Hostage (1990), et Study for Hostage (1990), 126 853 euros les deux.
9 œuvres de César Domela (7 reliefs, 1 huile sur toile et 1 sculpture).Don des filles de l’artiste Anne Dutter et Lie Tugaye-Domela

Palais des Beaux-Arts de Lille
Philippe de Champaigne, Paysage classique, huile/toile, 96 658 euros (avec les frais). Préemptée chez Tajan, 26 juin 2008

Musée des Beaux-Arts d’Agen
Giovanni Battista Lama, Loth et ses filles et Salomon adorant les idoles, 95 000 euros la paire, huile/toile. Acquise auprès de la galerie Turquin à Paris, avec l’aide du FRAM (23 750 euros)

Musée des Augustins à Toulouse
Antoine Rivalz, Saint Michel terrassant les anges rebelles, 92 040 euros (frais inclus), huile/toile. Préemptée le 12 décembre 2008 à Drouot (SVV Cornette de Saint Cyr).
Antoine Dieu, Le Christ mort, huile, 45 000 euros. Acquise auprès de Stéphane Grodée, Amiens
Nicolas Didier Boguet, Paysage. Vallée du Tibre, campagne Romaine, huile/toile, 70 000 euros. Acquise auprès de la galerie René-François Teissèdre, Paris, avec l’aide du FRAM
Musée des Beaux-Arts de Pau
Nicolaes Elias, dit Pickenoy, Le Jugement dernier, huile, 90 000 euros. Auprès de la galerie Jacques Leegenhoek à Paris, avec l’aide du FRAM

Musée des Beaux-Arts de ROUEN
Pierre-Nicolas Sicot Legrand de Lérant, La Marchande de fruits : pour une allégorie des cinq sens ?, huile, 80 000 euros. Acquise auprès d’un marchand amiénois, avec le soutien du FRAM (52 000 euros).
François Morellet, Lightly no 4 (Monet démonétisé), 2008, tubes néon sur toile, 36 000 euros. Acquise auprès de l’artiste.

Musée des Beaux-Arts de Caen
Paris Bordone, Le Mariage de la Vierge, huile, 55 764 euros (frais compris). Préemptée chez Millon & associés, Paris, 18 juin 2008

MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE VALENCIENNES
Jean-Baptiste Carpeaux, Frère et sœur, deux orphelins du Siège, terre cuite, 50 000 euros. Acquise par la Ville avec le soutien du FRAM (27 032 euros), de la Caisse d’Épargne Nord France Europe (5 000 euros), des Amis du musée (5 000 euros) et d’Art Mécénat Entreprise (1 000 euros)

Musée des beaux-arts de Pont-Aven
Paul Sérusier, Le Portrait de Marie Lagadu (1889), huile sur toile, 50 000 euros. Acquise auprès des héritiers de Maurice Denis avec le Crédit Mutuel de Bretagne, l’Association des amis du Musée de Pont-Aven, le Rotary Club de Concarneau, Dan Mayer et le FRAM

Musée Thomas-Henry À Cherbourg
Gaston Bussière, La Révélation, Brünnhilde découvrant…, 46 350 euros, huile. Acquise chez Sotheby’s Paris, 25 juin 2008

MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN DE LYON
Erwin Wurm, Truck (2007),sculpture, 40 000 euros

MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE TOURS
Bruno Peinado, Grand verre cassé couleur rouge, don de Jean-Pierre Fraiseau (30 000 euros)

Musée des Beaux-Arts de Strasbourg
Michel Dorigny, Angelots tirant l’eau d’un puits, huile/toile. Acquise 20 000 euros auprès du Cabinet Blondeau-Bréton, répartis sur deux ans

Musée des Beaux-Arts d’Angers
Adriaen Pietersz van de Venne, Moïse frappant le rocher (v. 1625), huile/toile, don des docteurs Louis et M. J. Harel-Blanchard

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°303 du 16 mai 2009, avec le titre suivant : Enrichissement à la loupe

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