Les archives ont ce statut peu enviable de documents historiques incontestables, mais le plus souvent invisibles.
Ainsi, dans la plus grande discrétion, les Archives départementales de Paris se débarrassent d’un fonds essentiel pour la connaissance des industries d’art des XIXe et XXe siècles, sous des prétextes discutables, et préparent sa dispersion.
PARIS - Depuis plusieurs années, l’étude des arts appliqués à l’industrie a connu d’importants développements, en même temps que renaissait le goût pour les arts décoratifs du XIXe et du début du XXe siècle. La matière même de l’investigation historique ne semble pas faire l’objet d’une pareille faveur. Ainsi, les Archives départementales de Paris se débarrassent du fonds des dessins et modèles de fabrique en l’entreposant dans un ancien bâtiment des Pompes funèbres, au 104 rue d’Aubervilliers.
De 1806 (1844 pour Paris) à 1979, aussi bien les fabricants de tissus que les couturiers, les cristalliers que les orfèvres ont, pour se protéger de la contrefaçon, déposé au conseil des prud’hommes dessins et modèles, photographies et objets. Conservés dans de mauvaises conditions dans les sous-sols du tribunal de commerce de la capitale, ils ont, de 1939 à 1992, progressivement été versés aux Archives de la Seine (puis de Paris).
Signe de l’intérêt de cet ensemble, une exposition avait été organisée en 1993, “Objets, dessins et modèles de fabriques, 1860-1910”. “Ces objets si divers, parfois très beaux, souvent surprenants, signés de noms tombés dans l’oubli ou brillants, [...] témoignent tous avec éclat de l’élan créateur, de l’esprit d’invention et d’entreprise, du dynamisme économique et commercial des artisans, compagnons, maîtres, ouvriers, manufacturiers et boutiquiers qui font de Paris, en ces années, la capitale de l’art de vivre.” De qui sont ces mots élogieux ? Ni d’un historien, ni d’un conservateur, mais de Jacques Chirac lui-même, dans la préface du catalogue. Avant cela, Paris avait cherché à se défaire du fonds, et, entre 1985 et 1987, une commission avait été mise en place à la Direction des musées de France : Conservatoire national des arts et métiers, Union centrale des arts décoratifs, Cité des sciences et de l’industrie de La Villette, aucune des institutions contactée n’a pu accepter l’offre dans son ensemble.
Aujourd’hui, pour justifier le déménagement, la direction des Archives, et, à travers elle, la Mairie de Paris, avance deux explications.
Des éthers de glycol
D’une part, elle considère que “ces collections ne constituent pas des archives au sens légal du terme”, en oubliant une partie du texte de la loi du 3 janvier 1979. Brigitte Lainé, la conservatrice qui avait assuré le sauvetage de ce fonds et organisé l’exposition de 1993, rappelle pourtant que “les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus... par tout service... dans l’exercice de [son] activité”. D’autre part, le dépôt de Villemoisson-sur-Orge a été victime d’une inondation en 1994, et le fonds, qui y était entreposé, a comme d’autres été traité avec un produit, le Phagoter, contenant des éthers de glycol. En raison des nuisances provoquées par ces substances, ces archives ne sont plus accessibles au public. Plutôt que de les décontaminer, la direction, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, préfère s’en débarrasser, ce qui lui permet de faire de la place pour recevoir d’éventuels dons. On peut à ce propos s’interroger sur la présence d’une partie de la bibliothèque de l’École des Chartes, laquelle n’a rien à faire là.
Le groupe communiste se saisit de la question
Alerté, le groupe communiste au Conseil de Paris s’est saisi de la question ; il a demandé non seulement que soient examinées les conditions d’une décontamination, mais aussi que soit d’ores et déjà envisagée l’extension du bâtiment du boulevard Sérurier, construit par Henri Gaudin – ainsi qu’il était prévu dans le projet d’origine. L’amendement déposé en ce sens a été rejeté en séance.
Au lieu de cela, le maire promet de constituer une commission d’historiens dont le rôle sera de réfléchir à la répartition de ce fonds entre différentes institutions. Les dessins de mode pourraient par exemple rejoindre le Musée Galliéra. Ce qui fait bondir Brigitte Lainé : “Un fonds d’archives n’est pas un butin. Au nom de quel principe, les institutions muséales (municipales) viendraient piocher, se saisir de ce qui les intéresse dans un fonds historique (d’État) ? Nous ne sommes pas au marché aux puces ou chez les chiffonniers d’Emmaüs !”
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Enlèvement demandé !
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°117 du 15 décembre 2000, avec le titre suivant : Enlèvement demandé !