Guillemette Andreu, conservateur au département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre et commissaire de l’exposition « Les artistes de Pharaon – Deir el-Médineh et la Vallée des Rois », précise les apports scientifiques des dernières fouilles sur le site de Deir el-Médineh.
Pouvez-vous faire un rapide rappel de l’historique des fouilles de Deir el-Médineh ?
Au XIXe siècle, le site a été pillé par les consuls Drovetti et Salt, Anastasi, puis par l’archéologue Lepsius qui s’est largement servi. La première étude rigoureuse est due au Français Bernard Bruyère, qui a repris le site de 1922 à 1951. La dernière fouille est celle du Grand Puits, entre 1949 et 1951, qui a livré près de 10 000 ostraca inscrits en hiératique. L’Ifao (Institut français d’archéologie orientale) a aujourd’hui la concession du site. Mais les recherches de Bruyère ont livré un tel matériel qu’il n’y aura pas de nouvelles fouilles tant que tout n’aura pas été exploité, en particulier ce qui est hiératique.
Les fouilles sur le terrain sont donc terminées, mais aujourd’hui l’actualité est dans l’étude des textes qui n’ont pas encore été déchiffrés.
Des équipes d’égyptologues, tant à l’Ifao, aux États-Unis qu’à Leyde, font avancer la connaissance aussi bien du site que de la communauté d’artisans. Par exemple, aux États-Unis, Cathleen Keller cherche des “mains d’artistes”, ce qui est nouveau. Il était temps que l’on s’intéresse aussi à l’individu, au créateur, à l’artiste. Il faut parler d’art, et ne pas oublier que les auteurs des peintures de la Vallée des Rois sont ceux qui décoraient leurs propres tombes sur le site de Deir el-Médineh.
Cathleen Keller a réussi à trouver dans plusieurs tombes des parties réalisées par les mêmes personnes, ce qui impliquerait la notion de style et d’auteur pour un art qui de prime abord apparaît normé ?
Oui, dans la tombe d’Inherkhaou, la 359, nous avons distingué deux mains, une assez habile et l’autre plus lourde. Elle a identifié Horimin et Nebnefer.
L’étude du site de Deir el-Médineh est difficile, et cette exposition sera l’occasion d’en parler : il est impossible d’en être spécialiste tant il intègre de nombreux aspects scientifiques. Il faudrait parler d’archéologie, d’habitat, d’urbanisme, d’ethnologie, d’ethno-archéologie, de céramique, d’anthropologie religieuse, de pratiques cultuelles, de coutumes funéraires, et d’histoire de l’art. En tant qu’égyptologues, nous nous sommes essentiellement intéressés à l’art de la Vallée des Rois d’un point de vue strictement religieux. La céramique importée nous renseigne beaucoup sur les échanges avec les pays étrangers, le Proche-Orient et les autres régions de production en Égypte. Par exemple, les étiquettes de jarre – des inscriptions à l’encre sur les épaules des amphores – indiquent leur contenu et leur provenance. Elles nous apprennent que cette société était vraiment très ouverte. On a parlé bêtement d’un microcosme replié sur lui-même, surveillé et contrôlé par le vizir. Il existe, mais une partie de la main-d’œuvre provient de l’extérieur, des produits sont échangés parce que rien n’est produit sur place. À Deir el-Médineh, il n’y a pas de paysans.
Leur seule occupation est bien évidemment la tombe royale.
Oui, ils sont complètement approvisionnés pour l’alimentation, les textiles, le vin, la céramique. Toutes les importations sont intéressantes pour la connaissance du commerce et des échanges au Nouvel Empire. En ce qui concerne les ostraca figurés, ils n’ont jamais été étudiés du point de vue de l’art du dessin, de la technique, et de l’histoire de l’art.
Est-il possible de regrouper et classer tous ces osctraca ?
Les ostraca sont classés en trois catégories : les littéraires, les non-littéraires (c’est-à-dire les documentaires) et les figurés.
Les littéraires sont des copies de textes qui remontent parfois au Moyen Empire, comme la Satire des métiers, et qui étaient des exercices d’apprentis. Nous savons la façon dont on apprenait à lire et à écrire : les scribes du village prenaient des apprentis, un ou deux. Pour apprendre la lanciale (la graphie hiératique), ils copiaient des textes qui avaient souvent une valeur morale. On a aussi compris qu’ils apprenaient d’abord à écrire et qu’ensuite ils apprenaient à lire.
Dans cette catégorie, il y a aussi des chants d’amour et des textes d’une grande sensualité.
Les textes documentaires sont très précieux car grâce à eux, nous savons comment fonctionnait la communauté, comment elle travaillait. L’avancement du travail dans la tombe est enregistré au jour le jour, les absences, les motifs d’absence, les livraisons, les conflits intercommunautaires, les questions aux oracles. Beaucoup de litiges sont tranchés au sein de la communauté même en déposant un ostracon inscrit devant une statue d’Aménophis I ou de sa mère, Ahmès-Néfertari (tous deux divinisés et protecteurs des artisans).
Enfin, les ostraca figurés qui sont souvent des modèles mettant en évidence leur caractère complémentaire avec le programme iconographique appliqué dans la tombe.
C’est un peu un brouillon préparatoire avant d’œuvrer dans la tombe.
Oui, et on le sait d’autant mieux qu’en ce moment des collègues de Bâle, qui fouillent autour de la tombe de Ramsès IX, découvrent dans les abris sommaires des ostraca figurés qui sont les modèles des peintures de la sépulture. Il voir aussi que dans les tombes n’entrait pas de lumière. Ils avançaient, autant qu’ils le pouvaient, leur travail à l’extérieur.
Dans un site comme Deir el-Médineh, les tombes sont celles des ouvriers qui ont un certain rang, qui ont une reconnaissance sociale. Ces témoignages ne nous ouvriront-ils pas les portes de la vie du peuple égyptien ?
C’est un site tout à fait atypique, marginal. Il ne faut pas considérer qu’il est représentatif de la vie sur les bords du Nil au Nouvel Empire. Il est en plein désert, sans eau. Il n’y a donc pas d’urbanisation dans le désert. C’est la seule occupation humaine hors d’une région irriguée. Les ouvriers avaient tout à fait le sentiment d’appartenir à un groupe humain distingué et privilégié par le pharaon. Ce sont eux qui s’occupent de la tombe royale. Pharaon est un dieu sur terre, et il participe à l’ordre cosmique. La communauté y participe complètement en préparant sa tombe.
Le fait que certains aient leur tombe à côté de celle de Pharaon, près de la montagne assimilée à une pyramide, ne révèle-t-il pas une volonté d’accompagner et d’être au plus près du roi dans l’au-delà ?
Je suis tout à fait d’accord avec cette interprétation. La nécropole de ces artisans est effectivement attenante à un symbole pharaonique et égyptien. Il y a une adhésion de cette communauté au concept de la Maât qui est évident.
Nous n’avions jamais réfléchi au titre de ces hommes mais ils en ont tous un unique : Sédjém ash ém Sét-Maât, “Celui qui obéit à l’injonction là où réside la Maât”. Ce qui avait toujours été traduit par “Le Serviteur dans la place de Vérité.” La Maât n’est pas que la vérité, cette notion englobe l’ordre cosmique, concept dont Pharaon est le garant.
Ces fouilles vous ont apporté beaucoup d’informations sur tout ce qui est mobilier. Pouvez-vous préciser ?
Pour l’artisanat, nous avons le mobilier domestique, avec toute la vannerie, la céramique, la menuiserie, l’ébénisterie, la marqueterie, les bijoux. 95 % de notre documentation sur les formes de meuble, les sandales, le cuir, proviennent de Deir el-Médineh.
Quelles différences existe-t-il entre le mobilier retrouvé dans les tombes de Deir el-Médineh et celui des tombes royales ?
Elles se situent déjà dans les matières. La céramique et le bois sont remplacés par du granit. Dans la sculpture se trouve peu de bois, ou alors, il est doré. Les différences se font aussi pour ce qui touche au décor. Il est sculpté, modelé et peint dans la Vallée des Rois, alors que pour les artisans, les murs sont juste peints.
En préparant cette exposition, avez-vous fait une découverte ?
Nous avons trouvé peu de bijoux, et très peu d’oushebti (serviteurs funéraires). Soit ils ont été pillés, soit ils n’en avaient pas beaucoup.
Un objet très charmant figure dans l’exposition : un petit collier en papyrus, une petite tresse, très modeste.
Il est assez frappant que pour des gens dont le travail est de “faire de l’art”, leurs tombes ne sont pas toujours très bien faites.
Ces ouvriers travaillaient pourtant sur les tombes royales ?
Oui, ce qui appelle des questions. Les mêmes ouvriers faisaient-ils tout ? Je crois que ceux qui habitaient à Deir el-Médineh, qui vivaient avec les familles installées de génération en génération, sont plutôt les carriers, ceux qui éclatent la roche et qui font les gros boyaux des hypogées royaux. Ensuite, les “artistes” n’habitaient pas sur place. Appliquer des couleurs se fait très vite, et des points communs se retrouvent entre les tombes de la Vallée des Rois et certaines sépultures de Memphis et de Saqqara.
- Daniel Soulié, Villes et citadins au temps des pharaons, éd. Perrin, 2002, 288 p., 19,70 euros. n Dominique Valbelle, Les Artistes de la Vallée des Rois, éd. Hazan, 2002, 202 p., 45 euros.
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En quête de la main de l’artiste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°148 du 3 mai 2002, avec le titre suivant : En quête de la main de l’artiste