C’est après la découverte de Rembrandt que le peintre s’engage dans la veine réaliste. Au Salon, ses toiles font scandale, moins pour leur naturalisme exacerbé que pour leur laideur.
À en croire bon nombre de manuels d’histoire de l’art, l’affaire serait entendue : Gustave Courbet est bien le champion du réalisme pictural, ce courant apparu au milieu du XIXe siècle en réaction à l’idéal académique jugé mensonger et auquel se rattacheraient des artistes tels qu’Honoré Daumier (1808-1879) et Jean-François Millet (1814-1875). Si, indéniablement, le peintre d’Ornans a poussé la représentation du réel jusqu’à un naturalisme exacerbé très novateur, peut-on pour autant réduire son travail à l’aune de cet « isme » ? De plus, si réalisme il y a, Courbet n’en donne-t-il pas une interprétation très personnelle et outrancière ?
Delacroix juge « vulgaires » les paysans de Courbet
Après avoir copié les maîtres au Louvre, le jeune Franc-Comtois révèle assez vite ses accointances avec la description minutieuse, comme en témoigne une série de portraits. En 1844, sa première participation au Salon est ainsi illustrée par le Portrait au chien noir (1842, Paris, musée du Petit Palais), autoportrait exécuté dans une veine flamande, mais encore mâtiné d’un certain romantisme.
Toutefois, c’est en 1846 que va s’opérer un véritable tournant, lors d’un séjour aux Pays-Bas où Courbet découvre l’art de Rembrandt (1606-1669). La Ronde de nuit et La Leçon d’anatomie le marquent alors durablement. Les choses se précisent et le peintre opte pour la description analytique nordique plutôt que pour l’idéalisation italienne.
Dès son retour, il se met au travail et peint le tableau de la rupture, Une après-dînée à Ornans (1848-1849, Lille, musée des Beaux-Arts). Pour parvenir à sa recherche de réalité, Courbet puise à différentes sources : les portraits de groupes hollandais, mais aussi les scènes paysannes des Le Nain ou le ténébrisme du Caravage. Mais Courbet nourrit aussi directement sa peinture de l’observation de son entourage et de ses racines franc-comtoises. L’Après-dînée réunit ainsi une assemblée de proches, brossés dans leur rudesse paysanne. Son propre père, Régis, que l’on reconnaît sur la gauche du tableau, est peint tel un vieillard affalé sur une chaise.
Exposé au Salon, le tableau est primé d’une médaille d’or mais défraye la chronique. D’aucuns, comme Delacroix, regrettent que le peintre mette son talent au service de la « vulgarité ». Courbet prend cela pour un encouragement et persévère, convaincu d’avoir trouvé la voie nouvelle qui lui assurera la célébrité. Entre-temps, le climat politique a changé. En février 1848, éclate la révolution
qui porte au pouvoir la IIe République.
Pourtant, si la question sociale l’intéresse, Courbet ne s’engage guère au combat et se contented’assister aux événements en simple témoin.
Un enterrement à Ornans érigé au rang de peinture d’histoire !
Ayant reçu une médaille au Salon, il peut alors présenter de nouvelles peintures sans avoir à subir les foudres du jury. En 1850, il expose donc une nouvelle série scandaleuse : Les Casseurs de pierres (1849, tableau détruit au musée de Dresde lors de la Seconde Guerre mondiale), Les Paysans de Flagey revenant de la foire (1850, Besançon, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie) et surtout Un enterrement à Ornans (1849-1850, Paris, musée d’Orsay).
Ce dernier érige au rang de la peinture d’histoire, par son format, un triste cortège mortuaire franc-comtois, comme le firent les romantiques avec des sujets héroïques tirés de la mythologie. L’inversion des genres provoque le scandale. Trois mètres quinze de longueur, cinquante personnages, tous habitants du village, jeunes, vieux, bourgeois et paysans, décrits avec minutie y compris dans la texture de leur peau et l’indigence de leurs vêtements.
L’indignation est à son comble. La critique ne regrette toutefois pas que Courbet peigne dans une veine réaliste, mais qu’il opte pour la laideur, avec des tableaux qui « soulèvent le cœur ». Théophile Gautier n’est pas des plus tendres : « Les types vulgaires ne lui suffisent pas ; il y met un certain choix, mais dans un autre sens, il outre à dessein la grossièreté et la trivialité. »
Mais les critiques de cette bourgeoisie parisienne, condescendante à l’égard de la paysannerie, satisfont un Courbet empreint d’égalitarisme. En 1853, c’est un nu qui provoque à son tour un tollé : Les Baigneuses (1853, Montpellier, musée Fabre), dont les formes généreuses et suggestives choquent une bourgeoisie peu habituée à autant de sensualité ambiguë.
Cette cristallisation autour de son travail n’est pourtant pas sans déplaire à Courbet, qui tend à prendre la posture de la victime et de l’artiste maudit. Ainsi, lorsque les organisateurs de l’Exposition universelle de 1855 lui refusent le magistral Atelier, vraisemblablement faute de place plus que par volonté de censure, l’artiste s’en indigne publiquement et organise son autopromotion en dressant un pavillon dit du réalisme. Ouvert le 28 juin, celui-ci regroupe une quarantaine de toiles. « Faire de l’art vivant, tel est mon but », écrit-il alors en forme de manifeste. Mais le terme réalisme, qui a été forgé par le critique d’art Champfleury, ne le séduit guère : « Les titres en aucun temps n’ont donné une idée juste des choses », précise le peintre.
Le coup d’éclat est néanmoins efficace et le succès est rapidement au rendez-vous. Mais étonnamment, dès 1861, le peintre abandonne ces sujets qui ont fait sa notoriété pour se consacrer à des genres plus classiques. Sarcastique et athée, Courbet se réfugie dans le paysage et les scènes de chasse comme pour taire ses convictions. Le paradoxe est d’autant plus fort que celles-ci s’affirment avec davantage de force.
Son réalisme est celui d’un bourgeois non revendicatif
En 1865, il salue ainsi la sortie du livre de Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), autre Franc-Comtois et précurseur du socialisme, Du principe de l’art et de sa destination sociale, nourri de réflexions sur sa propre peinture. C’est néanmoins avec la guerre de 1870 que son engagement se fait plus vif. Au lieu de quitter Paris et de se réfugier à Ornans, Courbet participe aux événements et préside la Commission des arts, avant d’inciter à déboulonner la colonne Vendôme, symbole du bonapartisme guerrier. Il se présente aux législatives, mais essuie un revers. Puis arrive la Commune et son échec. Arrêté, emprisonné, Courbet commence à subir la déchéance sociale. Toutefois, si Honoré Daumier se fait le chroniqueur de ces événements, seuls quelques rares fusains de Courbet témoigneront de la dureté de cette période de répression.
Libéré en mars 1872, Courbet n’en est pas pour autant quitte avec la justice. Sur décision du président Mac-Mahon, il doit payer la reconstruction de la colonne Vendôme. Tous ses biens sont saisis et ses œuvres vendues à l’encan. Courbet livre alors de nombreux tableaux pour payer ses dettes, puis s’exile en Suisse afin d’éviter la prison.
La politique a donc rattrapé le peintre. Mais peut-on dire, pour autant, que sa peinture s’est nourrie de ses convictions proto-socialistes ? Si bon nombre de ses tableaux sont incontestablement subversifs, ils ne sont pas pour autant porteurs d’un message révolutionnaire et prolétarien. Courbet décrit la misère, mais ne propose pas d’y remédier. Son réalisme est celui d’un bourgeois non revendicatif, comme celui de Jean-François Millet, qui témoigne pourtant de la dureté de la condition paysanne, est empreint de fatalisme. Pourtant ces œuvres, par leur naturalisme, ont aussi la force des témoignages d’une époque. Courbet le revendiquait lui-même lorsqu’il disait « vouloir faire passer toute la société dans son atelier ».
« Courbet », jusqu’au 28 janvier 2008. Commissariat”‰: Laurence des Cars, Dominique de Font-Réaulx, Gary Tinterow, Michel Hilaire. Galeries nationales du Grand Palais, 3, avenue du Général-Eisenhower, Paris VIIIe. Métro : Franklin-Roosevelt ou Champs-Élysées-Clemenceau. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10 h à 22 h, le jeudi jusqu’à 20 h. Tarifs : 10”‰€ et 8”‰€. Tél. 01 44 13 17 17, www.rmn.fr
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Du réalisme chez le peintre d’Ornans
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°596 du 1 novembre 2007, avec le titre suivant : Du réalisme chez le peintre d’Ornans