Si Paris a de tous temps été le haut lieu du mobilier Haute Époque, XVIIe et XVIIIe, il est en train de s’établir comme celui des meubles et objets d’art des années trente aux années cinquante. En témoignent la variété et la richesse des pièces exposées tant à la Biennale que dans les galeries.
Henri II, habillé en guerrier romain, s’apprête à seller son cheval. En vis-à-vis, Diane de Poitiers déguisée en Aphrodite s’avance en chevauchant dans sa direction, alors qu’Éros place sur sa tête une couronne tressée. Sur les vantaux inférieurs de ce meuble de Fontainebleau en noyer exposé par Jacqueline Boccador, les attributs symboliques du roi et de sa favorite (biches, cerfs, lévriers) figurent aux côtés d’Amphitrite et de Poséidon qui se font face, tandis que les portraits royaux s’inscrivent dans un ovale sur les vantaux supérieurs. “Ce meuble datant des années 1550-1558 a dû être commandé par Diane de Poitiers”, indique l’antiquaire. Haute-Époque toujours chez Édouard Bresset, qui partage son stand à la Biennale avec un antiquaire allemand (Heribert Tenschert antquitariat) spécialisé dans les enluminures. Les manuscrits enluminés voisineront avec un cabinet XVIIe présentant une façade à décor de fleurs et un triptyque florentin du XIVe siècle. Jean Gismondi a, lui, choisi de présenter sur son stand un ensemble de cabinets : “C’est un art du théâtre et de la mise en scène qui a présidé dans la plupart des pays à la naissance de ces meubles à tiroirs caractéristiques du XVIIIe siècle.” Parmi les plus belles pièces, un cabinet flamand du XVIIe siècle surprend par la blancheur éclatante de l’ivoire sculpté dont il est revêtu et par la polychromie des scènes animées ornant les tiroirs et les revers des portes. Chez Gismondi toujours, une suite de six fauteuils dits “coin de feu”, à haut dossier plat et ceinture basse en hêtre naturel, garnis de canne d’époque Régence. “Par leur assise très basse et profonde qui invite au délassement, ces sièges évoquent le tableau peint par Jean-François de Troy vers 1727, intitulé La lecture de Molière. La scène décrit un groupe d’hommes et de femmes élégants réunis dans un salon parisien du temps de la Régence, confortablement installés dans des fauteuils à haut dossier dont l’assise basse rappelle les sièges que nous exposons. Leur particularité tient à la hauteur de l’assise qui, à environ 30 cm du sol, les apparentent à des chauffeuses.”
Yves Mikaeloff présente une commode en laque d’époque Louis XVI datant des années 1770-1775. Ce meuble, de forme rectangulaire ouvrant à trois vantaux, est plaqué entièrement en ébène sur un bâti de chêne et orné de panneaux de laque de Coromandel découpés avec un rare talent dans un paravent de l’époque Kangxi. Une trace d’estampille pourrait être celle de Martin Carlin. “Il s’agit d’un des rares meubles Louis XVI au bâti plaqué d’ébène à présenter des panneaux de laque de coromandel. Les autres meubles parés de cette laque sont généralement moins luxueux. C’est un exemple de symbiose réussie entre le travail de maîtres laqueurs chinois et le style Louis XVI”, souligne Yves Mikaeloff.
Camille Burgi met en avant une commode en laque camomille due à François Rubestuck (1722-1785). “Ses meubles en laque camomille sont très rares, souligne le marchand. Des pièces similaires sont conservées au Louvre, au Musée Getty de Malibu et dans la collection Gulbenkian à Lisbonne”. Le décor de façade d’esprit japonisant représente des musiciens dans une pagode, vêtus de kimonos d’apparat finement brodés, sur un fond de végétation exotique agrémenté d’oiseaux et de papillons.
Le vase en porcelaine de Chine de couleur bleu poudre, présenté par Bernard Steinitz, est également d’époque Louis XV. Il fut monté en bronze doré par Antoine-Philippe Pajot, reçu maître bronzier en 1765. “Fait très rare, cette exceptionnelle monture est signée par Pajot alors que les bronziers, sauf exception, ne signent pas leurs œuvres”, souligne l’antiquaire. Bronzes également sur le stand de Jacques Perrin, qui a sélectionné une pendule surmontée d’une pyramide. Celle-ci est ornée de trophées militaires et d’une couronne royale à fleurs de lys, flanquée d’un amour assis et d’un angelot debout..” Une autre épreuve de ce modèle entièrement composé de bronzes dorés a figuré dans la collection Rothschild,” commente l’antiquaire.
Une maquette présentée à Marie-Antoinette
XVIIIe siècle toujours chez Michel Meyer avec ce mobilier de salon à châssis en bois doré d’époque Louis XVI estampillé Henri Jacob (1753-1824), cousin germain de Georges Jacob dont il se distinguait par des formes moins linéaires et des ornements plus travaillés. Le salon comprend une paire de bergères et six fauteuils à six pieds. “La sculpture de ce mobilier est remarquable par sa facture et sa diversité, reprenant une grande partie du répertoire décoratif de l’époque avec ces dossiers à perles et frise de palmette, ces montants en forme de carquois à plumes de flèches stylisées, cannelures et feuilles de laurier à bague”, explique Michel Meyer. Le seul autre exemple connu de sièges à six pieds est celui d’une maquette de bergère en cire, haute de 14 cm, provenant d’une collection privée. Cette maquette serait un modèle présentant un ensemble de variantes devant être soumises à Marie-Antoinette par Jacques Gondoin, dessinateur du mobilier de la Couronne, pour une suite de sièges destinés au pavillon du Lac au Petit Trianon. L’un des pieds à torse du salon présenté par Michel Meyer est similaire à cette maquette, tout comme les supports d’accotoir cambré à enroulement. Toute trace de cette commande a malheureusement été perdue.
Didier Aaron expose une suite de quatre fauteuils remarquables estampillés Louis Charles Carpentier, reçu maître menuisier en 1752. Ces confidents, réalisés en 1770-1775, forment un coin conversation pour quatre personnes. “Il est très rare de trouver aujourd’hui de tels meubles, indique l’antiquaire. Les seules pièces proches que nous connaissons sont soit des fauteuils d’angle à mettre contre un mur, soit des confidents venant s’adapter au bout d’un canapé”.
Chez Aveline, le bureau plat en acajou moiré estampillé Guillaume Beneman – ébéniste du Roi et principal fournisseur de la Couronne – a une riche histoire. En octobre 1789, Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray, premier valet de chambre du Roi et responsable du garde-meuble de la Couronne, commande à Guillaume Beneman, qui a alors supplanté Riesener, un meuble inspiré de celui qu’il a installé dans le cabinet intérieur du Roi à Compiègne, aujourd’hui au Musée du Louvre. Cette commande est réalisée dans un contexte historique troublé. À la suite de la convocation des États Généraux, en mai, et au départ de la Cour pour Paris, en octobre, une fois celle-ci et les ministères remeublés, il faut trouver du mobilier pour l’Assemblée nationale, et c’est à cette occasion qu’est commandé ce bureau à Beneman. Vendu par l’État lors des dispersions révolutionnaires, il est toujours resté entre les mains de collectionneurs privés. Réapparu en Angleterre et propriété du baron Meyer Amschel de Rothschild au milieu du XIXe siècle, il est passé à ses héritiers successifs pour devenir un “meuble Rothschild”. Pendant plus d’un siècle, ce bureau est demeuré à Mentmore Towers, le gigantesque château de ses descendants. “Ces bureaux sont très rares, indique Jean-Marie Rossi. Trois sont conservés dans des musées, au Louvre, au Musée des beaux-arts de San Francisco et à Waddesdon Manor”.
Les mobiliers et objets Art déco seront eux aussi particulièrement bien représentés, tant à la Biennale des antiquaires – qui fait une large place au XXe siècle – que chez les marchands où plusieurs expositions sont consacrées à de grands ébénistes et décorateurs de l’entre-deux-guerres.
Les années trente et quarante
Le stand de la galerie Vallois proposera des créations d’Émile Jacques Ruhlmann (1879-1933), qui affectionnait les placages de bois précieux : très caractéristique de son art, un meuble d’appui en ébène de Macassar réalisé en 1924 pour son épouse. Les deux portes sont recouvertes d’écaille à décor de croisillons incrustés d’ivoire et la serrure également en ivoire. L’intérieur en loupe d’orme comporte huit casiers et trois tiroirs à poignée d’ivoire. La partie inférieure repose sur un socle en ébène de Macassar. Jacques De Vos consacre une exposition à un autre grand nom de l’Art déco, Paul Dupré-Lafon (1900-1971). Il doit sa notoriété aux formes pures de son mobilier et aux mariages subtils qu’il opérait entre des matériaux bruts comme le fer, le bois, le bronze, le laiton, et des éléments plus raffinés tels que la laque, le parchemin et le cuir utilisé pour habillage des fauteuils et des canapés. Une paire de fauteuils créés en 1938, deux sièges larges et ramassés à dossier rectangulaire, dégage une sensation de confort accentuée par les imposants accotoirs et le cuir patiné brun foncé. Dupré-Lafon utilisait des peaux de buffle, de chèvre, de mouton et de veau, venant du Cap, de Russie ou d’Amérique. Les fauteuils “bridge” de salle à manger (1935) installés un peu plus loin sont en merisier massif. L’utilisation du bois massif est également caractéristique de son travail.
Contrairement à la plupart des décorateurs de l’époque, il a très peu employé le bois en placage, et encore moins la marqueterie. Le merisier des fauteuils réchauffe l’association pierre et métal de la table qu’ils accompagnent. Une chaise en bois laqué noir, au large dossier gracieusement incurvé pour plus d’aisance, illustre une autre facette des techniques employées par Dupré-Lafon dans ses meubles : une importante bande de métal laqué noir vient soutenir le dossier et le relier à l’assise au moyen de vis et de boulons apparents.
Des consoles en albâtre blanc
Dans sa galerie, l’Arc en Seine a reconstitué le décor conçu par Emilio Terry (1890-1969) pour le château de Clavary, sur la Côte-d’Azur, près de Grasse. Parmi les pièces exposées figure une paire de consoles en albâtre blanc évoquant les bénitiers de Saint-Sulpice, dont il n’existe que trois exemplaires, deux réalisés pour Clavary en 1925 , le troisième pour l’appartement de Georges Auric. Une paire d’obélisques en plâtre blanc, des pièces uniques créées pour le château, voisinent avec le fameux arbre en pierre sculpté haut de 2,40 m exécuté par Jean Cocteau, également pour Clavary.
Les meubles et objets d’art de Charlotte Perriand, Jean Prouvé et Alexandre Noll animeront à la Biennale le stand de la galerie Jousse-Seguin. “Alexandre Noll, qui était à la fois sculpteur et décorateur, réalisait peu de meubles. La commode que nous exposons, datant de 1939, est probablement sa première création”, indique Philippe Jousse. Non loin de là trône une table à manger “Forme libre” réalisée par Charlotte Perriand en 1949 : “Charlotte Perriand a voulu que les convives attablés puissent tous se voir, d’où sa forme ovale”.
De Serge Roche, Olivier Watelet a sélectionné une étonnante table de salle à manger gainée de lamelles de glace biseautée et de morceaux de glace oxydés (1936). “Le plateau repose sur un piétement figurant quatre pattes d’animal chimérique, dont les pieds à griffes sont en bois blanchi à l’imitation du plâtre, explique Mathieu de Prémont. Cette table est identique, à l’exception du plateau occidental, à celle que Serge Roche a conservée sa vie durant. C’est un véritable chef-d’œuvre onirique qui participe du mouvement surréaliste naissant”. Robert Pansart (1909-1973), l’un des plus grands maîtres-miroitiers du XXe siècle, a réalisé pour Serge Roche des meubles et des objets en glace. L’Œil lui consacre un dossier dans son n° 499. Sur le stand est également exposé un meuble d’apparat en laque et glace, dont le corps, laqué de couleur vert bronze, est recouvert d’un plateau sur lequel repose une glace argentée et oxydée. Il avait été commandé par le roi Farouk d’Égypte à Robert Pansart en mai 1950. Olivier Watelet présente aussi une grande tapisserie, 490 x 240 cm, d’après un carton de Maurice Brianchon (1899-1979), Les Champs-Elysées. “Réalisée dans des nuances de gris et de beige, elle évoque la magnificence des ballets royaux et les divertissements de la cour de Louis XIV”, commente Mathieu de Prémont.
Quatre autres grands antiquaires exposeront des tapis et tapisseries au Carrousel du Louvre. Pour leur part, Bernard Blondeel et Armand Deroyan ont sélectionné une pièce des années 1500-1530, provenant des Pays-Bas méridionaux. La Lune et ses compagnes représente Diane, déesse de la chasse et de la nature – identifiée à la lune –, tenant un arc dans la main gauche et dispersant de l’eau autour d’elle de l’autre main. Campée sur un char tiré par deux cerfs, elle avance dans le ciel pour répandre la nuit sur terre. “Cette tapisserie est le fragment supérieur d’une pièce de très grande dimension. Elle appartenait à l’une des nombreuses séries consacrées au thème des sept planètes”, indiquent les antiquaires.
Yves Mikaeloff présente un fragment de tapis de la Savonnerie plus tardif (vers 1740), réalisé d’après un dessin de Pierre Josse Perrot : sur fond noir, il est décoré de médaillons appelés “roses mauresques”, de guirlandes de fleurs, de coquilles et de cornes d’abondance. “Ce fragment correspond au grand côté d’un tapis dont le premier exemplaire a été tissé pour la chambre de la reine Marie Leszczynska.” On a depuis perdu la trace de cette pièce, qui a dû quitter Versailles au moment de la Révolution.
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Du classicisme XVIIIe à l’audace des années 50
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°66 du 11 septembre 1998, avec le titre suivant : Du classicisme XVIIIe à l’audace des années 50