Force des habitudes et manque de culture : les collectivités publiques peinent à penser
aux Prouvé et Perriand d’aujourd’hui pour meubler leurs équipements.
Un élégant bâtiment bardé de mélèze étagé sur la pente d’un quartier pavillonnaire et largement ouvert sur son environnement. Cette maison de retraite a été construite à l’initiative d’une communauté de communes à Riedisheim (Haut-Rhin), dans la banlieue de Mulhouse, par Grégoire Zündel et Irina Cristea. Le duo d’architectes a apporté un soin particulier au traitement des finitions et des ambiances lumineuses. Las ! Le mobilier a été commandé par l’économat de la maison de retraite et l’harmonie de l’aménagement intérieur du projet a perdu de sa superbe. Mauvaise expérience ? Cas unique ? Hélas non.
Contraintes d’aménagement, spécificité du recours à un mobilier technique, arguments économiques, contraintes normatives : les prétextes sont nombreux pour justifier de ce choix du « no design » par les collectivités. De quoi faire perdurer la médiocrité et un certain manque d’attention aux usages dans l’ameublement des hôpitaux, administrations ou écoles. La réalité est en effet triviale. « L’achat de mobilier dans les collectivités se fait souvent dans le cadre d’une passation de marché, explique Sophie Bouriez, architecte scénographe. Par habitude, des meubles de qualité médiocre sont ainsi vendus par paquets. »
Le cas de figure est en effet classique : le mobilier est commandé à un fournisseur unique, une centrale d’achat, qui a répondu à un appel d’offres global – non pas obligatoire pourtant pour un marché inférieur à 210 000 euros. Chacun puise alors dans un catalogue pour s’équiper. « Ces catalogues sont devenus la bible des collectivités pour meubler les crèches ou les écoles, déplore le designer Patrick Norguet. C’est un problème culturel. » Si quelques administrations prestigieuses et souvent nationales (ministères, ambassades, équipements culturels) – le Mobilier national ne fournit que les palais nationaux et les résidences présidentielles – s’offrent encore du design, le tout-venant reste de mise pour les autres.
« Les outils de commande sont peu adaptés au travail des designers, note Elsa Francès, directrice générale de la Cité du design de Saint-Étienne. Pour répondre à un marché public, il faut une structure importante. Et du côté de la collectivité, il faut connaître un minimum les contraintes des designers pour que la commande fasse sens. » La communauté d’agglomération stéphanoise entend ainsi donner l’exemple en intégrant un designer manager dans ses équipes, « afin d’améliorer la performance des services publics rendus à l’usager et de concrétiser, pour la population, l’apport du design dans la qualité du développement économique et social du territoire », selon l’intitulé du poste.
Qualité et confort
« Pour faire bouger les choses, il faut être très motivé », souligne Sophie Bouriez. Avec le label « Omabia », celle-ci milite pour faire entrer le design là où on ne l’attend plus. Après une expérience menée dans des hypermarchés, où son travail a porté sur la modification des habitudes en matière d’éclairage, l’architecte investit aujourd’hui le milieu hospitalier. « Dans le domaine de la santé, les facteurs d’habitude sont très forts. Pendant longtemps, l’importance a d’abord été donnée aux soins. Or la qualité de l’espace peut intervenir en complément », explique cette dernière, qui fédère une équipe de professionnels (architectes, designers, artistes…) autour de son projet. Pour leur prochaine maison de retraite à Tours, Grégoire Zündel et Irina Cristea feront ainsi appel à ses services. « Par contrainte de temps, nous irons piocher chez les designers et les grossistes en mobilier contemporain, explique Sophie Bouriez. Mais à terme, le but est de pouvoir commander des meubles spécifiques à des créateurs qui ont un souci de l’économie.
Et la démarche est transposable à tout type d’équipement collectif. » À condition de le vouloir car, hormis en matière de mobilier urbain, rares sont aujourd’hui les concours d’idées qui abordent ce sujet. La Camif, l’un des leaders du mobilier pour collectivités, a cependant tenté récemment une expérience. Baptisé « Co-Bo design », un concours s’adressant aux écoles devait permettre de revisiter le mobilier destiné aux collectivités. Les résultats ont été plutôt décevants. Choisi pour présider le jury, Patrick Norguet a pourtant joué le jeu.
« L’initiative était intéressante car cette marque est un levier très fort. Mais l’idée manquait peut-être de souffle et n’a pas eu de relais ». Or c’est bien ce type d’entreprise, qui irrigue le marché du mobilier pour collectivités, qui détient la clef du changement. « Jean Prouvé [lire p. 18], qui a vendu de nombreux meubles aux collectivités dans les années 1950, avait un outil de production, il fabriquait et vendait, poursuit Patrick Norguet. Nous sommes tributaires de l’industrie. » Mais les entreprises françaises sont encore trop peu nombreuses à investir ce champ. « Il n’existe pas de direction artistique au sein de ces marques qui privilégient d’abord le marketing », regrette le designer, qui a trouvé un écho plus favorable en Italie.
Produite par l’entreprise Lapalma, installée près de Padoue, sa Stil Chair répond à ce que les professionnels appellent, dans leur jargon, le « contract design ». Soit un produit transversal, qui trouve autant sa place chez des diffuseurs de mobilier contemporain que pour un usage en collectivité ou en entreprise. « Le design a encore une image très élitiste, reconnaît Patrick Norguet. Entre le mobilier contemporain, très cher, et le mobilier médiocre, il n’y a pas grand-chose. Mais je suis sûr que, petit à petit, la notion de design pénétrera les esprits. »
Un optimisme partagé par Elsa Francès qui note, depuis deux ans, un frémissement dans les politiques territoriales. La directrice de la Cité du design y voit une conjonction de facteurs : « Le métier de designer est arrivé à maturité et investit des champs nouveaux, cela alors que les collectivités veulent développer qualité et confort dans le quotidien des gens. » Et de poursuivre : « Nous sommes aussi arrivés à saturation avec une offre très technique. La personne et les usages reviennent au centre des considérations. »
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Design : le grand absent du collectif
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°326 du 28 mai 2010, avec le titre suivant : Design : le grand absent du collectif