Dans le cadre de la controverse sur l’authenticité d’une centaine de Van Gogh (lire les JdA n° 39 et n° 41), John Leighton, directeur du Musée Van Gogh à Amsterdam, se prononce pour un "vrai débat" sur la question. Il se refuse, cependant, à "créer un comité de recherche officiel" sur le modèle du Rembrandt Research Project.
Récemment, des experts ont remis en cause l’authenticité d’une centaine de Van Gogh. Pensez-vous qu’en fin de course toutes ces toiles seront déclassées ?
J’ai l’intime conviction que les tableaux en question sont bien moins nombreux que la rumeur ne le colporte. Le corpus principal du peintre est établi, mais, comme pour tout artiste, des zones d’ombre subsistent. Notre rôle est de délimiter avec exactitude l’œuvre de Van Gogh. Jusqu’à présent, cette tâche a été menée de manière assez inégale. Désormais, le Musée Van Gogh souhaite placer la barre plus haut. Il faut gérer ce travail de fourmi sur le long terme.
En matière d’authenticité, pourquoi le Musée Van Gogh ne se prononce-t-il que sur ses propres collections ?
À l’instar de nombreux musées, notre politique est stricte lorsqu’il s’agit de donner notre avis sur des œuvres qui appartiennent à d’autres institutions ou à des particuliers. Nous gardons nos conclusions secrètes, sauf autorisation expresse du propriétaire de diffuser l’information. Nous procédons de la sorte pour nous protéger contre d’éventuelles actions en justice, mais aussi par professionnalisme et par respect des règles élémentaires de courtoisie. Les propriétaires privés qui s’adressent à nous doivent pouvoir compter sur notre discrétion. Nous respectons également les expertises de nos homologues et reconnaissons aux autres musées le droit de répertorier les œuvres dont ils ont la charge. Il est cependant impossible d’ériger la confidentialité en règle absolue. Pour un catalogue raisonné, par exemple, nous devons pouvoir exprimer librement nos opinions. Tant mieux si nous obtenons l’aval du propriétaire…
Allez-vous élaborer un nouveau catalogue raisonné ?
Les conservateurs du Musée Van Gogh travaillent à l’élaboration de catalogues détaillés, présentant nos peintures et nos dessins. Ces publications sont le fruit de recherches approfondies et d’expertises. Autant d’outils précieux qui permettront, le moment venu, de procéder à la révision du catalogue raisonné. Nous avons aussi une équipe qui travaille à l’édition complète et annotée des lettres de Van Gogh. Tout cela implique que le nouveau catalogue raisonné ne verra pas le jour avant quelques années. C’est assez frustrant, mais pour faire du bon travail, nous avons besoin de temps.
Quels services offre votre centre d’expertise ?
En tant que centre de recherche, notre bureau d’expertise et notre matériel sont à la disposition de tous. Chaque semaine, environ cinq particuliers sollicitent notre avis sur des œuvres qu’ils attribuent à Van Gogh. Nous les aidons bien volontiers. Le service est gratuit. Cependant, les conservateurs décident en dernier ressort du temps consacré à ces expertises.
Dans quelle mesure les techniques scientifiques modernes permettent-elles de détecter un original ?
La plupart des artistes de la fin du XIXe siècle utilisaient des matériaux disponibles dans le commerce. Par conséquent, l’analyse technique permet davantage d’exclure certaines possibilités que d’apporter des réponses définitives. Avec Van Gogh, les conclusions des scientifiques ou des restaurateurs constituent des indices précieux, mais il faut les intégrer à un travail de recherche plus vaste, qui s’appuie notamment sur l’étude d’archives et sur l’expérience des experts. Favoriser les preuves scientifiques et documentaires aux dépens de l’expertise traditionnelle serait une erreur. Nous devons continuer à faire confiance à l’œil exercé des spécialistes.
Prévoyez-vous, au Musée Van Gogh, de coordonner les travaux d’authentification ? Allez-vous créer l’équivalent du Rembrandt Research Project ?
Je ne crois pas qu’il faille créer un comité de recherche officiel chargé de trouver un consensus pour chaque œuvre controversée de Van Gogh. Néanmoins, le Musée serait le lieu idéal pour accueillir des forums consacrés à l’artiste. Je prépare actuellement des réunions informelles, où experts et universitaires pourraient confronter leurs opinions sur des thèmes tels que l’authenticité des tableaux. J’aimerais que ces rencontres soient le cadre de vrais débats, sans obligation de parvenir à des décisions collectives et définitives.
Avez-vous l’intention de vous engager personnellement dans les recherches d’authenticité ?
Pour l’instant, non. Mon rôle consiste à faciliter la tâche des conservateurs et à élever le niveau des recherches. Je peux bien sûr remettre en cause des avis, vérifier des conclusions et encourager l’échange. Plus je m’impliquerai dans le détail de ces débats, plus il me sera difficile de rester neutre.
Le Musée Van Gogh fait peau neuve
Le Musée Van Gogh fermera ses portes pour rénovation entre septembre 1998 et avril 1999. Lorsque le "White Cube" – réalisation moderniste de l’architecte Gerrit Rietveld, du groupe De Stijl – fut inauguré en 1973, on attendait 60 000 visiteurs par an. Aujourd’hui, le musée enregistre près d’un million d’entrées chaque année. "Le bâtiment a beaucoup souffert ; nous devons le mettre aux normes", déclare le directeur John Leighton. Le coût du réaménagement est estimé à 30 millions de florins (près de 90 millions de francs), dont deux tiers seront pris en charge par le gouvernement et un tiers par le musée. Les travaux ont également commencé dans la nouvelle aile destinée aux expositions temporaires, conçue par Kisho Kurokawa. La firme Yasuda Fire & Marine Insurance, propriétaire des Tournesols, finance entièrement l’opération, estimée à 37,5 millions de florins (111 millions de francs). En échange, un accord discret a été passé : le Musée Van Gogh s’est engagé à envoyer cinq expositions au Seiji Togo Memorial Yasuda Kasai Museum of Art, un musée appartenant à la compagnie d’assurance japonaise. Au-delà du projet de rénovation des locaux, John Leighton se concentre sur un projet à long terme. Il souhaite faire du Musée Van Gogh une passerelle entre ses deux voisins, le Rijksmuseum et le Stedelijk Museum. "Nous devrions couvrir la période qui s’étend du Romantisme aux débuts du Modernisme, c’est-à-dire de 1830 à 1910." Disposant de plus d’espace pour l’exposition permanente, John Leighton souhaite augmenter le nombre des acquisitions et des emprunts afin de combler les manques du musée. “J’aimerais élargir notre collection d’impressionnistes. Il nous faudrait aussi un beau Millet." M. B.
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« Des zones d’ombre » sur Van Gogh
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Abonnez-vous dès 1 €La collection du Dr Gachet exposée à Orsay
Une exposition-dossier consacrée à la collection du docteur Paul Gachet (1828-1909), connu notamment pour ses relations avec Van Gogh à la fin de la vie du peintre à Auvers-sur-Oise, sera présentée à l’automne 1998 au Musée d’Orsay. "Elle contribuera à faire le point sur les polémiques récentes à propos de l’authenticité de certaines œuvres de Vincent Van Gogh", estime Henri Loyrette, directeur du Musée d’Orsay. L’exposition regroupera les trente peintures des différentes donations du docteur et de ses enfants, des dessins, sculptures et divers souvenirs, ainsi que des œuvres offertes à des musées de province et à d’autres institutions publiques. Elle évoquera aussi la place de Gachet auprès de Cézanne, Pissarro, Guillaumin et Renoir, et aura pour commissaire Mme Anne Distel. Elle se tiendra en même temps que l’exposition "Millet-Van Gogh", également au Musée d’Orsay, du 14 septembre 1998 au 4 janvier 1999.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°45 du 10 octobre 1997, avec le titre suivant : « Des zones d’ombre » sur Van Gogh