Unis et dynamiques, les musées strasbourgeois attendent cependant les moyens nécessaires à leur plein épanouissement.
Les collections municipales des musées de Strasbourg sont nées d’une catastrophe : l’incendie, en août 1870, du Musée de peintures et de sculptures, installé à l’Aubette. Grâce à une politique d’acquisition active et à la générosité de collectionneurs locaux, un nouveau musée des beaux-arts voit le jour dès 1898 au sein du palais Rohan, où les collections archéologiques, déposées dans le cadre de campagnes de fouilles, avaient déjà élu domicile.
Chef-d’œuvre de l’architecture classique française édifié par l’architecte Robert de Cotte face à la cathédrale, le palais Rohan abrite désormais quatre des dix musées de la ville : le Musée de l’Œuvre Notre-Dame (dont les collections couvrent le Moyen Âge et la Renaissance), le Musée des beaux-arts (de l’Ancien Régime au XIXe siècle), le Musée des arts décoratifs (qui accueille le mobilier et décors du palais) et le Musée archéologique, sans oublier un Cabinet des estampes commun à tous. La rénovation de la place de la Cathédrale, dont les travaux s’achèveront cet automne, doit donner une nouvelle visibilité à ces établissements et y drainer de nouveaux publics. Cela suffira-t-il à maintenir à niveau des musées qui font bonne figure dans un paysage économique morose ?
Gérés en régie directe, les musées strasbourgeois affichent des chiffres satisfaisants : plus de 520 000 visiteurs pour l’année 2012, soit une petite progression par rapport à 2011, un budget annuel de 15 millions d’euros et des effectifs s’élevant à 300 personnes. Relativement bien dotés, ils vivent cependant sur les acquis d’une période passée plus faste, marquée, en 1998, par l’inauguration du Musée d’art moderne et contemporain, le Mamcs ; l’ouverture en 2007 du Musée Tomi-Ungerer ; la refonte, la même année, de la première partie du Musée historique – la seconde tranche de travaux portant sur la délicate période contemporaine est en passe de s’achever –, et, dernièrement, la rénovation de l’Aubette, lieu historique repensé par l’artiste Theo van Doesburg en collaboration avec Sophie Taeuber et Jean Arp.
Un projet de réserves
Aujourd’hui, les musées n’échappent pas aux règles d’austérité qui prévalent dans tous les domaines : leurs budgets n’ont pas augmenté alors que les dépenses de fonctionnement ne font que croître. Le budget d’acquisition a même été amputé : il s’élève à 500 000 euros contre 680 000 euros il y a peu. Certes, 2012 a été marquée par une belle action de mécénat, ayant permis d’enrichir le Musée de l’Œuvre de deux vitraux du XIIIe siècle, mais ce type d’opération demeure marginal, faute de temps et surtout d’un responsable spécifique. La situation est, comme le reconnaît Joëlle Pijaudier-Cabot, directrice des musées, « moins aisée qu’il y a quelques années… Mais nous sommes tout de même bien lotis ». Et de citer le projet en cours de création d’un grand pôle entièrement dévolu à la conservation, avec des réserves, des ateliers de restauration et d’étude ainsi qu’un espace de sensibilisation du public, le tout dans un bâtiment neuf situé en bord de ville, derrière le Mamcs.
Les réserves doivent abriter 1,5 million de spécimens appartenant au Musée zoologique, établissement dans un état de délabrement avancé ; il est l’un des derniers muséums de France n’ayant pas fait l’objet d’une grande rénovation. Un projet est actuellement à l’étude avec l’université de Strasbourg pour le transformer en un « musée de la vie et de la Terre » intégrant une dimension scientifique et historique. Mais, là encore, les financements manquent. Outre les collections du Musée zoologique, le centre de réserves devra conserver quelque 500 000 pièces provenant des autres musées, notamment de l’Œuvre Notre-Dame, dont les réserves, peu adéquates, sont aujourd’hui saturées. Une première tranche de 6 millions d’euros a pu être débloquée dans le cadre d’un plan État-Région, et le concours d’architecte doit être lancé cette année, mais les travaux s’échelonneront sur plusieurs années.
Nécessité d’une salle d’exposition
Autre grand chantier très attendu des musées : la création d’une vaste salle d’exposition. Pour l’heure, seul le Mamcs est doté d’un espace digne de ce nom. Et pour accueillir leurs manifestations temporaires, les musées de l’Œuvre et des beaux-arts doivent décrocher et déménager une partie de leurs collections, ce qui engendre toute une série de travaux faisant courir des dangers aux œuvres et endommageant murs et sols. Au Musée de l’Œuvre, on installe puis on défait la climatisation au premier étage à chaque exposition ! « Tous ces chamboulements sont contre-productifs », résume Joëlle Pijaudier Cabot. D’autant plus que, comme le démontrent les premiers résultats d’une étude des publics en cours, les touristes (la moitié des visiteurs) viennent voir les collections permanentes… qui ne sont donc pas visibles la moitié du temps. La Ville est-elle enfin prête à donner aux musées les moyens de leurs ambitions ? Il fut question un temps d’installer cette grande salle d’exposition dans l’Ancienne Douane, où se trouvait le Musée d’art moderne et contemporain avant 1998 ; opération à moindre coût, le lieu étant déjà équipé pour accueillir des œuvres. Mais le projet a été sacrifié sur l’autel d’enjeux d’un autre ordre, avec l’installation, désormais actée, d’un marché couvert en lieu et place. La manufacture des tabacs, située non loin du palais Rohan, aurait pu convenir, si les travaux ne s’étaient révélés beaucoup plus onéreux. Le projet en est donc revenu à la case départ…
« Scénario d’accrochage »
En attendant, chaque conservateur fait preuve d’imagination pour faire vivre ses collections et mener à bien ses projets. Cécile Dupeux, conservatrice du Musée de l’Œuvre, projette, à court terme, l’ouverture d’une salle consacrée aux arts graphiques pour exploiter le fonds du Cabinet d’estampes, et d’une salle d’introduction à l’histoire de la cathédrale. Elle poursuit une politique d’exposition temporaire dont il faut saluer la rigueur scientifique, à l’exemple de « Nicolas de Leyde, sculpteur du XVe siècle » ; de même, son confrère Dominique Jacquot, au Musée des beaux-arts, s’est dernièrement distingué avec une brillante proposition sur le peintre Philippe-Jacques de Loutherbourg.
Au Mamcs aussi, avec 132 000 visiteurs annuels, les grandes expositions font date, à l’image de la rétrospective « Jean Arp » ou, actuellement, d’« Interférences », portant sur les interactions architecturales et urbaines entre la France et l’Allemagne de 1800 à 2000. Le musée est pensé comme un lieu de réflexion permanente et un accrochage qui se renouvelle fréquemment. Sa directrice, Estelle Pietrzyk, milite pour « un parcours où l’on montre moins mais mieux, avec un vrai scénario d’accrochage. Quand on parle d’art contemporain, il est important de ne pas pétrifier les choses ».
Le musée se prépare aussi à accueillir une partie des collections Denise-René. La célèbre galeriste parisienne décédée l’an dernier a, en effet, souhaité donner à la Ville quelque 1 500 œuvres, à condition toutefois que 25 % de ce legs puisse être présenté dans le bâtiment de l’Aubette, le reste revenant au Mamcs. Pour l’heure, la municipalité attend toujours de connaître le contenu exact du legs. L’affaire traîne depuis novembre 2012 même si le maire, Roland Ries, a assuré de sa volonté de saisir cette merveilleuse aubaine. Forces vives de la politique culturelle, les musées attendent de pouvoir passer à la vitesse supérieure.
Au palais Rohan, 2, place du Château, musées des beaux-arts, des arts décoratifs, archéologique et de l’Œuvre Notre-Dame, ainsi que Cabinet des estampes (sur rendez-vous), tél. 03 88 52 50 00/08/68 ; Musée d’art moderne et contemporain, 1, place Hans-Jean-Arp, tél. 03 88 23 31 31 ; L’Aubette, place Kleber, tél. 03 88 13 71 30 ; Musée Tomi-Ungerer, villa Greiner, 2, av. de la Marseillaise, tél. 03 69 06 37 28 ; Musée historique, 2 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons, tél. 03 88 52 50 00 ; Musée alsacien, 23-25, quai Saint-Nicolas, tél. 03 88 52 50 01 ; Musée zoologique, 29, bd de la Victoire, tél. 03 68 85 04 85 ; renseignements : www.musees.strasbourg.eu
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Des musées dans l’expectative
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : Des musées dans l’expectative