Membre de l’Institut central italien de restauration (ICR) et auteur de plusieurs ouvrages sur la conservation, Bruno Zanardi, profitant de la récente élection de l’ancien ministre de la Culture, Walter Veltroni, au poste de maire de Rome, s’insurge contre l’administration du patrimoine architectural et archéologique de la capitale italienne
Les dommages récents qu’ont subis deux monuments en plein cœur de Rome, le mur d’Aurélien (lire le JdA n° 126, 27 avril 2001) et la Domus Aurea (lire le JdA n° 129, 8 juin 2001), devraient pousser à la réflexion Walter Veltroni, élu maire de Rome au mois de mai. La Domus Aurea a été réouverte à tout prix alors que c’est un monument enterré depuis plus de 2 000 ans. Les écarts de température provoqués par l’ouverture de portes et fenêtres et la chaleur humaine posent de graves problèmes de conservation. Il suffit d’évoquer la disparition progressive des peintures de Lascaux, des tombes étrusques de Chiusi ou l’effacement des grotesques de la Domus : autant de faits connus de tous sauf du ministère, qui préfère pratiquer une politique d’inaugurations frénétiques à Rome et dans l’ensemble de l’Italie. Quant au mur d’Aurélien, il n’a pas été restauré et ce malgré des demandes insistantes. Le goût des ruines domine le monde de la restauration. Il n’y a qu’un seul remède : la mise en place d’une politique de “conservation programmée” que Giovanni Urbani avait déjà imaginée dans les années 1973-1983 lorsqu’il était directeur de l’Institut central de restauration.
Notre patrimoine archéologique a besoin de tout sauf de nouvelles campagnes de fouilles. Si nous ne savons pas conserver nos biens, pourquoi continuer à fouiller ? Où s’arrêter si toute la superficie des sols romains recèle des trésors ? La destruction de la vitrine de l’Ara Pacis est un scandale. Projetée en 1938 par l’un des architectes majeurs du XXe siècle, Vittorio Morpugo, cette vitrine faisait partie intégrante de la ville depuis plus de soixante ans (lire p. 1). Les constructions romaines des années 1930 et 1940 suscitent le mépris de nos administrateurs. A-t-on prévu, par conséquent, de raser l’Eur ? Le patrimoine italien n’a besoin ni de nouveaux musées, moins encore de nouvelles campagnes de fouilles, mais d’une politique de restauration coordonnée. Depuis des années, le ravalement de l’église Sant’Agnese, sur la Piazza Navona, est à moitié effectué : par manque de financement, le chantier a été interrompu à mi-chemin. Les autres églises du centre historique sont, quant à elles, fermées. Comble du scandaleux : le remplacement de la statue équestre en bronze de Marc Aurèle par une copie ou, devrais-je dire, par un maigre souvenir pour touristes, ce malgré l’opposition des plus grands experts en matière de conservation, historiens de l’art et archéologues auxquels Federico Zeri et Giovanni Urbani s’étaient associés. Exposé en plein air sur la place du Capitole, le Marc Aurèle aurait souffert de la pollution atmosphérique. Or, une étude a prouvé que la pollution à cet endroit précis de Rome n’avait rien d’alarmant : les monuments n’ont pas attendu l’ère industrielle pour se dégrader. L’original, placé derrière une vitre blindée dans le Palais des Conservateurs, est réduit à une sordide concrétion subaquatique privée de son sens historique et esthétique. Avec le risque qu’il soit transféré dans un nouveau musée et placé sur un piédestal d’un architecte contemporain qui rivaliserait avec Michel-Ange : une situation absurde ! Les moulages de la colonne Trajane, réalisés en 1862 et conservés au Musée de la civilisation romaine, se sont révélés être dans le même état de conservation que la colonne originale. Raphaël ou Canova n’auraient jamais osé modifier l’aménagement de cette place, mais nos administrateurs, professeurs d’université ou dottori, eux, peuvent se le permettre. Ils ont aussi osé installer de prétendues œuvres d’art contemporain dans toute la ville et parfois même, sans vergogne, à côté des sculptures maniéristes de la fontaine dell’Acqua Felice.
Ce réquisitoire pourrait s’allonger à l’infini. Le travail ne manque pas pour qui voudrait prendre en main le patrimoine artistique de Rome et remettre en place la statue équestre de Marc Aurèle que Michel-Ange avait disposée sur la place du Capitole, il y a bientôt cinq siècles. Un nouveau statut et l’autonomie administrative, voilà ce dont Rome a besoin pour se rendre maîtresse d’une situation devenue incontrôlable.
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Des chantiers prioritaires pour Rome
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°132 du 14 septembre 2001, avec le titre suivant : Des chantiers prioritaires pour Rome