Concurrence

Déloyautés publiques

Par Hélène Brunel · Le Journal des Arts

Le 30 octobre 2012 - 576 mots

La Manufacture de Sèvres et le Musée Guimet sont renvoyés devant le tribunal de grande instance dans l’affaire Navarra.

PARIS - « Tant la Manufacture de Sèvres que l’établissement public à caractère national qu’est le Musée Guimet se sont comportés comme des opérateurs économiques pour procéder à des actes n’ayant aucun rapport, ni avec l’organisation du service public, ni avec la mise en œuvre des prérogatives de puissance publique. » Aussi, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris avait-il rejeté les exceptions d’incompétence invoquées par les deux établissements publics pour se défendre de l’action en concurrence déloyale intentée contre eux par la Galerie Enrico Navarra. Cette décision du 1er juillet 2011 a depuis été déférée à la cour d’appel, laquelle vient de confirmer l’ordonnance entreprise, le 18 octobre 2012.

Le litige commence en 2007, alors que l’artiste Chu Teh-Chun fait assigner la Galerie Enrico Navarra en justice au motif de prétendus retards de fabrication, aux fins d’obtenir la résiliation d’un contrat signé en 2003, au terme duquel le marchand s’était engagé à financer l’édition de plats en céramique décorés par le peintre – soit 24 pièces, tirées à quarante exemplaires, plus huit épreuves d’artiste. Un an plus tard, en 2008, le galeriste assigne l’artiste en concurrence déloyale. Puis, s’estimant être l’objet d’une campagne de dénigrement menée contre lui par le Musée national des arts asiatiques-Guimet et l’Établissement public Sèvres-Cité de la céramique, le galeriste engage en 2010, dans cette même affaire, une action spécifique à leur encontre.

Monsieur Navarra reproche alors à la Manufacture de Sèvres d’avoir réalisé le projet de son concurrent américain, la Marlborough Gallery de New York, à savoir une opération de création de 56 vases fabriqués par ses ateliers et peints par Chu Teh-Chun, en mettant ses moyens à la disposition d’un projet commercial privé. Le Musée Guimet, lui, est poursuivi pour avoir présenté lesdites œuvres en ses locaux et communiqué intensivement autour de cette exposition. Ce qui, avec l’aide de son conservateur en chef, Jean-Paul Desroches, aurait contribué à la valorisation de ces créations, estimées à près de 200 000 euros pièce, dont quarante revenaient en pleine propriété à la Marlborough Gallery.

La cour d’appel a jugé, en vertu du code de commerce et de son article L 410-1, que les règles de concurrence « s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques ». Ce qui implique que ces dernières puissent être sanctionnées par l’Autorité de la Concurrence agissant sous le contrôle du juge judiciaire, dès lors que les faits allégués ne constituent « en aucun cas des mesures relatives à l’organisation du service public ». En l’espèce, aucun pouvoir hiérarchique et aucune portée réglementaire ne résultent de l’organisation d’une exposition ou de l’offre à la vente de céramiques. « Force est de constater que, tant la fabrication des vases que la promotion de cette œuvre a été assurée par la Manufacture de Sèvres et le Musée Guimet moyennant une contrepartie substantielle au bénéfice d’une galerie privée, sans qu’il ne soit justifié de l’intérêt public », conclut la cour.

Les deux établissements publics sont donc condamnés à payer à la Galerie Enrico Navarra et son représentant la somme de 1500 euros au titre des frais de procédure et à en recouvrer les dépens. La voie est donc libre pour que le tribunal de grande instance juge l’affaire sur le fond.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°378 du 2 novembre 2012, avec le titre suivant : Déloyautés publiques

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque