De l’ordre naît le Kaos

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 10 septembre 2004 - 1009 mots

Cinquante galeries donnent rendez-vous aux amateurs d’art primitif dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Organisé pour la troisième année consécutive, Kaos est devenu un événement incontournable.

« J'aime bien quand les tribus se réunissent. Ce n’est pas très gaulois, mais c’est nécessaire dans le village global dans lequel nous vivons. » Habituellement installé rue de l’Hôtel-de-Ville, à Paris, Luc Berthier, directeur de l’African Muse Gallery, s’apprête à occuper les locaux de la galerie Arnoux, rue Guénégaud, à l’occasion de Kaos-Parcours des mondes. Devenue pierre angulaire du marché des arts primitifs, cette « foire en plein air » participe du ballet des événements de septembre qui rivalisent pour attirer les collectionneurs.
Calqué sur le modèle d’exposition de Bruneaf (Brussels Non European Art Fair), organisée chaque printemps à Bruxelles, l’événement se distingue par la qualité incontestable de ses participants, venus, pour certains, de l’autre côté du globe. Le succès des deux premières éditions doublé d’un bouche à oreille favorable ont fini de convaincre les plus réticents, comme le marchand et vétéran australien Chris Boylan, le galeriste québécois Jacques Germain, la galerie hawaïenne Mauna Kea, sans oublier l’institution londonienne, Entwistle Gallery. Tous saluent le sérieux de cette initiative parisienne dans le quartier historique de Saint-Germain-des-Prés où priment les rencontres entre marchands et collectionneurs avertis autour d’objets souvent exceptionnels par leur provenance ou leur rareté. Installé à Londres, Jean-Baptiste Bacquart regrette même qu’il y ait « trop d’objets de très haute qualité mis soudainement sur le marché » ! Le comité de sélection du Parcours, dirigé d’une main de fer dans un gant de velours par Muriel Marasti et Rick Gadella, a en effet placé la barre très haut, se démarquant ainsi de Bruneaf, décrit par Bernard Dulon comme « un énorme bateau où il suffit d’exposer des objets d’origine primitive pour participer ». Aussi le comité a-t-il refusé certaines participations pour cette édition 2004, qui accueille 23 galeries françaises et 27 étrangères. Un sens de la sélection apprécié par les participants, comme Réginald Groux de la galerie Noir d’Ivoire : « Il n’y a pas de brebis galeuse qui profite de l’occasion. »

Une présentation pointue
Le Parcours bénéficiera cette année de l’affluence de la Biennale des antiquaires, mastodonte ancré sur l’autre rive de la Seine, deux manifestations plus complémentaires que concurrentielles. Si certains marchands choisissent de jouer sur les deux tableaux, d’autres, comme  Alain de Monbrison, se consacrent exclusivement au Parcours des mondes. Une décision motivée, entre autres, par des frais moindres – une participation à Kaos s’élève à 5 000 euros, soit environ 10 fois moins que pour un salon – permettant aux marchands d’investir davantage dans des pièces de qualité, mais surtout par une conception plus libre et décontractée de l’événement. « Les salons ont un côté artificiel. Il est bien plus agréable pour les visiteurs de faire une halte au Café de la Palette qu’à un bar monté pour trois jours », atteste François Pannier, heureux de pouvoir accueillir les clients dans sa galerie Le Toit du Monde. « Les marchands sont de plus en plus nombreux à jouer le jeu. Nous avions insisté sur la possibilité qu’ils avaient d’organiser des expositions thématiques », explique Muriel Marasti. Un encouragement suivi au pied de la lettre par la plupart des participants qui n’hésitent pas à préparer des catalogues originaux, comme le galeriste du quartier Anthony Meyer, dédiant une large exposition aux « appuis-nuques » océaniens, ou son voisin Renaud Vanuxem, qui choisit d’explorer la « présence » animale, tant au propre (plumes, peau, dents…) qu’au figuré, dans l’art tribal.
Si quelques doutes subsistent autour de l’Arlésienne qu’est le client américain, chacun reste confiant : les affaires ont toujours été bonnes à Kaos. Claudie Lebas, de la galerie Accrosonge, située dans le quartier du Marais, a même remarqué le développement d’une clientèle italienne… La diversité des visiteurs, mélange de collectionneurs – « dont une poignée d’accros et de malades parmi lesquels je m’inscris », avoue Rick Gadella ! – et de curieux, confère à l’événement une dimension pédagogique qui n’est pas pour déplaire aux galeristes. Rue Mazarine, Antoine Barrère est prêt à « accueillir des gens qui n’ont pas l’intention de devenir collectionneurs » et à leur faire découvrir un ensemble d’animaux chinois en bois laqué datant des Ier et IIe siècles av. J.-C. dont la ligne sobre rappelle l’art tribal. Kaos permet en effet la présentation d’objets plus pointus, sortant du classicisme ronronnant de la Biennale, mais « cette vocation culturelle fait partie du jeu », poursuit le marchand. Pour sa part, Julien Flak (Galerie Flak) souhaite rester accessible aux jeunes collectionneurs et lier connaissance autour de la première grande exposition d’objets de culte Lobi depuis celle organisée par Jacques Kerchache en 1974. Cet art tribal d’une extrême diversité est également au cœur de « Thìla », un déploiement de la collection Ferrari de La Salle chez Bernard Dulon. Côté Histoire, la galerie Noir d’Ivoire revient sur les débuts de la colonisation au Ghana et au Togo à travers un ensemble de statues « Colon », réalisées dans le but de dialoguer avec l’esprit de l’occupant. Sur un ton plus contemplatif, Laurent Colson, de la galerie Luohan, présente « Formes du ciel », une sélection d’objets façonnés par « la main virtuose de la nature » : pierres lacustres, tablettes réalisées à partir d’entremêlements de racines ou bols creusés dans des excroissances de troncs d’arbres. Tant d’objets qui font la fierté des marchands comme ce masque Bundu datant du XIXe siècle et relatif au culte des femmes en Sierra Leone, visible chez Luc Berthier. Parce qu’elle prend les traits d’un homme, cette pièce est étonnante, à l’image de la manifestation.

KAOS-PARCOURS DES MONDES

Inauguration le 15 septembre de 14h à 21h, du 16 au 19 septembre, 11h-19h, nocturne le 17 septembre jusqu’à 21h, rues des Beaux-Arts, de Seine, Guénégaud, Visconti, Mazarine, Jacques-Callot et quais des Grands-Augustins et Malaquais. Point d’information : Grand Masse des Beaux-Arts, 1, rue Jacques-Callot, 75006 Paris, tél. 01 42 72 05 33, www.par cours-des-mondes.com. À l’occasion de la manifestation paraîtra le numéro 4 de la revue Kaos-Parcours des mondes.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°198 du 10 septembre 2004, avec le titre suivant : De l’ordre naît le Kaos

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