Le collectionneur de livres Julien Bogousslavsky, dont une partie de la bibliothèque doit passer en vente chez Christie’s à Paris le 23 mai, a été incarcéré pour détournement de fonds.
LAUSANNE - La collectionnite pousse parfois au crime. D’après le quotidien vaudois 24 heures, l’éminent neurologue suisse Julien Bogousslavsky aurait détourné des sommes estimées entre 1,1 et 2,1 million(s) de francs suisses (entre 704 400 euros et 1,3 million d’euros) pour satisfaire sa passion des livres rares. Alors que sa collection devrait être dispersée le 23 mai chez Christie’s à Paris, le scientifique a été arrêté le 28 avril et inculpé pour escroquerie, abus de confiance, gestion déloyale des intérêts publics et faux dans les titres.
D’après le quotidien suisse, les montants auraient été prélevés depuis 2003, voire 2001, sur le Fonds de service et de recherche dont Bogousslavsky avait la responsabilité, ce via de fausses factures émanant de sociétés fictives. Ces sommes ne relèvent pas du budget ordinaire du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), dont il codirigeait le service de neurologie, mais d’un compte alimenté par les honoraires que les médecins perçoivent auprès de leurs patients privés. Julien Bogousslavsky a été licencié le 26 avril par le Conseil d’État. L’université de Lausanne a quant à elle résilié son mandat de professeur ordinaire à la faculté de biologie et de médecine. Selon 24 heures, l’intéressé aurait reconnu la plupart des faits tout en en contestant l’illégalité. Selon lui, l’argent aurait servi à l’acquisition de livres anciens dans le cadre de ses recherches. Il aurait déclaré être disposé à tout rembourser. Peu convaincu par ses explications, le Conseil d’État a déposé une plainte pénale. Si le vol n’est pas un vice génétique, le père de Julien Bogousslavsky, sculpteur de son état, avait dérobé en 1939 L’Indifférent, de Jean-Antoine Watteau, au Musée du Louvre !
Reste à voir si Christie’s pourra mener à bien la vente de 133 livres orientés principalement sur l’art et la poésie. Signée le 1er janvier et présentée comme « la bibliothèque d’un grand amateur européen », cette dispersion pourrait rapporter entre 3,5 et 4,9 millions d’euros. Une somme a priori supérieure à la valeur estimée de la fraude. Le catalogue affiche notamment une série d’autographes de Kandinsky estimée entre 40 000 et 60 000 euros et un exemplaire de la Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars et Sonia Delaunay pour 70 000 à 90 000 euros. Dès le 1er mai, la maison de ventes a pris contact avec le juge de Lausanne, habilité à annuler ou maintenir la vacation. Celui-ci devrait donner sa réponse dans les prochains jours. « Nous sommes partants pour la faire, nous a déclaré l’expert de la vente, le libraire Jean-Claude Vrain. Nous mettrons peut-être des réserves moins importantes que prévues. Cela reste une belle collection, bien choisie, même s’il n’y a pas que des chefs-d’œuvre. Cette histoire n’empêchera pas les gens d’acheter les livres qui les intéressent, d’autant plus que l’essentiel de sa collection s’est fait avec son propre argent. » Qui bénéficierait alors du produit de cette dispersion ? Celui-ci serait-il versé sur un compte bloqué ? Quelle sera aussi l’option de Christie’s en cas de refus du juge ? Habituellement, lorsqu’un client annule une vente, Christie’s peut lui réclamer 20 % de frais, calculés sur l’estimation basse, ainsi que les dépenses d’illustration, d’assurance et de transport. Habituellement. Mais nous voilà face à un cas bien particulier !
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De la passion au détournement
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°237 du 12 mai 2006, avec le titre suivant : De la passion au détournement