Installé dans un vallon désertique, à moins d’un kilomètre des terres cultivées de la vallée du Nil, en Haute-Égypte, le site de Deir el-Médineh a révélé les vestiges d’un village d’artisans et d’ouvriers, installés avec leurs familles au début de la XVIIIe dynastie (vers 1500 avant J.-C.), pour creuser et décorer les tombeaux des pharaons. Aujourd’hui présentés au Musée du Louvre, les divers objets mis au jour – chaises, paniers, vaisselles, éléments votifs, dessins, documents administratifs, lettres, poèmes – permettent de s’immiscer dans le quotidien et l’intimité de ces Égyptiens.
Pendant près de cinq siècles, de 1500 à 1050 avant notre ère, les “artistes” du village de Deir el-Médineh, en Haute-Égypte, ont travaillé pour la postérité des pharaons en creusant et décorant les tombes de la Vallée des Rois et de la Vallée des Reines. Si les archéologues utilisent plus volontiers le terme d’ouvrier ou d’artisan – la signification moderne d’”artiste” n’ayant pas d’équivalent dans le vocabulaire des hiéroglyphes –, les travaux qu’ils ont laissés derrière eux, ces “écrins magico-religieux” comme les nomme Guillemette Andreu (lire l’entretien page suivante), sont aujourd’hui considérés comme de véritables œuvres d’art. Dirigée par le vizir de Haute-Égypte, composée de quarante à soixante hommes, la communauté, désignée sous le nom d’”équipe de la Tombe”, était divisée en deux groupes, travaillant chacun sur une moitié de tombeau du roi, pour plus d’efficacité. Les deux chefs d’équipes collaboraient étroitement avec le scribe, en charge de noter toutes les activités des ouvriers – avancement du travail, absence au chantier, approvisionnement, réception des messages –, afin de permettre au vizir de les contrôler. Ce type de documents constitue un témoignage essentiel pour cerner leur vie au jour le jour. Adultère, séparation, procès verbal, délit de vol, héritage, recensement, lettre d’amour, déclaration d’amitié... tout ce qui était important pour la vie de la communauté était écrit sur des papyrus ou des ostraca (un ostracon était un tesson de poterie ou un éclat de calcaire servant de support à l’écriture ou au dessin), dont un nombre important a pu être conservé. “Si ton mari te chasse de sa maison, tu peux aller vivre dans une pièce de ma resserre, car c’est moi qui l’ai construite”, promet un père dans une lettre adressée à sa fille, tandis qu’un papyrus se transforme en véritable chant d’amour : “Sa perfection est éclatante, son teint resplendissant / Charmant est le regard de ses yeux / Sucré est le parler de ses lèvres [...] Sa croupe est pesante et sa taille resserrée / Si bien que ses hanches prolongent sa beauté”. D’autres ostraca mentionnent les salaires des ouvriers versés sous forme de grains – de l’orge pour la préparation de la bière et du blé amidonnier pour faire du pain –, de poisson, et de bois de cuisson, la monnaie étant inexistante. Fait exceptionnel dans l’étude de la société d’Égypte ancienne, les archives nous permettent de connaître non seulement le cursus professionnel et le contexte familial des habitants, mais aussi la personnalité de certains d’entre eux. Plusieurs écrits dressent ainsi le portrait du scribe Qenherkhepeshef, dont le repose-tête orné d’images et de textes magiques, le livre d’interprétation des rêves ou la table d’offrandes couverte de noms des pharaons disparus, témoignent de son goût pour les belles-lettres et l’histoire. De même, la violence, l’immoralité et les exactions du chef d’équipe Paneb sont dénoncées par un membre de l’équipe, dans un papyrus (vers 1178 avant J.-C.) conservé au British Museum : “Il molesta sans arrêt les hommes pendant une réunion nocturne, rapporte le document. Paneb a forniqué avec la citadine Touy, alors qu’elle était la femme de l’homme d’équipe Qenna, il a forniqué avec la citadine Hel, alors qu’elle était avec Hessounebef.”
Des formes inconnues de piété populaire
Outre les traces écrites, les objets exhumés lors des fouilles, principalement dans les tombes des artisans, enrichissent encore le sujet. L’Égyptien se faisait enterrer avec un équipement funéraire très varié, destiné à lui assurer un certain confort dans l’au-delà : vases pour aliments, sièges, chaises, coffrets, chevets, vaisselles, nécessaire de toilette comprenant des récipients à onguents, des étuis à khôl, des sachets de galène, des peignes ou des miroirs. À l’instar des tombes de Khâ (un architecte) et Sennefer (un ouvrier), pour la XVIIIe dynastie, et de Sennedjem (un fonctionnaire), pour la XIXe, plusieurs sépultures ont été retrouvées inviolées et parfaitement conservées, en raison des conditions climatiques du désert égyptien. D’autres vestiges permettent de se rapprocher un peu plus des artistes de Deir el-Médineh. Les stèles et les bustes anthropomorphes, installés dans les maisons ou citadelles votives, révèlent ainsi que les habitants rendaient un culte à leurs ancêtres, les akhou, intermédiaires avec les divinités de leur panthéon. Le site dévoile aussi des formes inconnues et multiples de piété populaire, alors qu’il se situe à quelques kilomètres des grands sanctuaires dédiés aux divinités officielles. Certains monuments votifs figurent ainsi des oreilles, censées inciter les dieux familiers à mieux écouter les prières et exaucer les vœux. Les oreilles pouvaient aussi être sculptées et déposées par paires au pied des sanctuaires. La déesse-serpent Méresger – littéralement “celle qui aime le silence” – caractérise au mieux le culte des divinités animales. Son rôle est multiple : elle peut punir et secourir, juger les actes ou les paroles, frapper de cécité les coupables puis leur pardonner. À la fin de la XXe dynastie, les razzias incessantes des nomades libyens sur la rive gauche du Nil ont poussé les artistes à déménager pour l’enceinte fortifiée de Médinet Habou. Ils y ont résidé jusqu’au tout début de la XXIe dynastie, date à laquelle l’abandon de la nécropole thébaine comme lieu de sépulture des rois provoqua sa fin. Aujourd’hui dévoilés au Musée du Louvre, les artistes de Deir el-Médineh auraient dû tomber dans l’oubli, tandis que leurs travaux, destinés exclusivement aux pharaons, devaient rester dans le secret des dieux...
- LES ARTISTES DE PHARAON – DEIR EL-MÉDINEH ET LA VALLÉE DES ROIS, jusqu’au 22 juillet, Hall Napoléon, Musée du Louvre, 75001 Paris, tél. 01 40 20 51 51, tlj sauf mardi, 9h-17h30 et 21h30 lundi et mercredi. Catalogue, RMN, 328 p., 39 euros. Pour éviter l’attente, les visiteurs de l’exposition peuvent se présenter directement au passage Richelieu.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Dans l’intimité des anciens Égyptiens
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°148 du 3 mai 2002, avec le titre suivant : Dans l’intimité des anciens Égyptiens