Daniel Templon a ouvert sa galerie en 1966 à Paris, d’abord rue Bonaparte (Paris-6e) avant de s’installer en 1972 au 30 de la rue Beaubourg, dans le 3e arrondissement, où il est toujours. Christian Boltanski, Claude Viallat, Jean-Pierre Raynaud ou Ben figurent parmi les artistes français qu’il a exposés, tout en développant une attention particulière pour la scène américaine (Kosuth, Carl Andre, Bruce Nauman). Il présente actuellement et jusqu’au 24 avril une exposition de Gérard Garouste. Il commente l’actualité.
Vous revenez de New York où vient de se dérouler l’Armory Show. Depuis l’installation d’Art Basel Miami Beach, la foire connaît une certaine concurrence. Comment analysez-vous le paysage des foires d’art moderne et contemporain aux États-Unis et la situation du marché de l’art ?
Pendant vingt-cinq ans, la première foire des États-Unis a été celle de Chicago, mais désormais les principales galeries n’y vont plus. C’est en partie à cause de ce vide que les responsables de la Foire de Bâle ont décidé de créer celle de Miami. Celle-ci en est à sa deuxième édition et elle est déjà la première foire américaine. Elle est du niveau de celle de Bâle, les collectionneurs y viennent en nombre, même si Miami reste excentré. À part la visite de quelques grandes collections, les déplacements se cantonnent d’une avenue à l’autre, de celle des hôtels à celle de la foire. Néanmoins, la manifestation est appelée à durer longtemps, car l’Amérique a besoin d’une très grande foire. Les deux autres manifestations de ce type se tiennent à New York : The Art Show, sur Park Avenue, qui est réservé aux galeries nationales, et l’Armory Show, qui se tient depuis quatre ans sur deux des Piers de l’Hudson River. Pour les passionnés de découverte, c’est une foire qui mérite d’être vue. Les galeries viennent du monde entier, on y trouve des artistes jeunes, à la mode et pratiquement pas d’« artistes classiques ». Reste que, à terme, il peut très bien y avoir une grande foire internationale à New York, du niveau de Bâle, auquel cas, cela signerait le déclin de Miami. Certains pensent déjà à son organisation… Cela me rappelle une phrase de Leo Castelli à qui j’avais demandé s’il participerait à une foire new-yorkaise : « Pourquoi faire une foire à New York ? Ici, c’est la foire tous les jours. » Sa réponse a quinze ans, les temps ont changé, mais elle résume assez bien la situation. Même si, en chiffre d’affaires, l’Europe représente la moitié du marché international, les grandes décisions se prennent toujours à New York. Un artiste européen, pour « monter en grade », doit obtenir la reconnaissance des États-Unis. Je le regrette, les Européens étant, depuis longtemps et encore plus maintenant, au même niveau que les Américains. Mais c’est ainsi.
Pour répondre à la deuxième partie de votre question, le marché aux États-Unis est exceptionnellement fort. Il a été à son sommet en 1989, il a connu la crise en 1991. Mais, à partir de 1998, il a redémarré et n’a fait que se développer depuis. C’est aussi valable pour l’Europe. En ce qui me concerne, l’année 2003 a été sans doute la meilleure depuis 1989.
Votre galerie est une habituée des foires internationales. Depuis son ouverture en 1966, celles-ci se sont multipliées. Comment jugez-vous cette inflation ?
Ce n’est pas un mal, mais ce n’est pas un bien. Participer à une foire est un gros travail, cela ne se règle pas en trois jours, il faut des mois de préparation pour trouver les bonnes œuvres et c’est techniquement assez lourd. Cette inflation correspond à l’accroissement général de l’intérêt pour l’art. Je dirige cette galerie depuis trente-sept ans, je peux dire que le public a augmenté de façon considérable. Le nombre de visiteurs comme celui des acheteurs potentiels a été multiplié par dix, par vingt peut-être. L’accroissement a été mondial. Au début des années soixante, la scène artistique se cantonnait à la France, l’Allemagne, la Suisse, la Belgique et les États-Unis. Peu de chose se passait en Angleterre, rien en Espagne, en Asie, en Amérique du Sud. Maintenant, tous ces pays bénéficient d’un large public, d’où le développement des foires. Au fond, je considère qu’il y en a trop. Une galerie doit donc faire des choix en fonction de la conjoncture. Cette année, pour moi, ce sera Bruxelles, Milan, Bâle et Paris.
Cette question renvoie au paysage français. La FIAC a annoncé un certain nombre de nouveautés : exposition d’un musée imaginaire des galeristes, nouveau secteur pour les très jeunes galeries, ouverture au design… Que pensezvous de cette évolution ?
Ces trois idées sont bonnes, comme tout ce qui peut attirer un public plus large. Toutefois, le problème de la FIAC n’est pas celui des organisateurs, mais de la place de la France dans le marché de l’art mondial. Pourquoi la France n’attire-t-elle plus les grandes galeries étrangères et les collectionneurs les plus importants ? Parce que le marché y est faible comparé aux autres pays prescripteurs ? C’est un problème qui relève des structures économiques de la France, de son conservatisme, du poids exorbitant de l’État dans la culture et de l’absence de contrepoids du secteur privé. En somme c’est un problème politique. Seule une orientation libérale rendra à ce pays toute sa créativité et son rayonnement international. Voyez l’Angleterre.
Vous travaillez, ou avez travaillé, avec quelques-uns des artistes français les plus reconnus à l’étranger (César, Buren, Bustamante…). Avez-vous ressenti une évolution de l’intérêt des étrangers pour la scène française ?
La notoriété des Français s’est améliorée, mais on est encore loin du compte. Daniel Buren a sa place dans l’histoire, mais en termes marchands… Un beau Gerhard Richter de la fin des années 1960 vaut 100 fois plus qu’un Daniel Buren ! C’est totalement anormal. Un autre de nos grands artistes est Christian Boltanski, et ses œuvres valent quatre fois moins que celles de ses homologues étrangers. Pourquoi ? La France est le pays qui consacre le plus d’argent à la culture, mais, parmi les dix grands pays, c’est celui qui a le marché le moins efficace. Le marché intérieur est convenable, mais les artistes attendent une reconnaissance internationale et elle n’est toujours pas là. L’art contemporain français s’exporte très mal. Le rapport Quemin (1) expliquait très bien, avec une extrême justesse, la situation : nous avons besoin du soutien de l’État et, dans le même temps, c’est lui qui paralyse le marché. Un paradoxe que nous constatons de façon permanente. Il n’est pas question de demander à l’État de se retirer du secteur des arts plastiques, mais de demander que le secteur privé puisse jouer un rôle à sa mesure. Lui donner ce rôle, c’est d’abord développer le mécénat. Malgré ces quelques améliorations, la loi actuelle ne produira pas plus d’effets qu’auparavant. Passer le montant des déductions fiscales de 50 à 60 % n’est pas une mesure incitative pour une entreprise. La mesure que nous, galeristes, demandions était la modification d’une demi-ligne du projet de loi : permettre aux entreprises de pouvoir acquérir des œuvres d’art sans qu’il soit indispensable « de les rendre accessibles au public ». La plupart des chefs d’entreprise refuseront d’acheter des œuvres, car ils auront toujours la crainte d’un redressement fiscal le jour où un inspecteur des impôts leur expliquera que les bureaux de la société ne sont pas un lieu public. Je parlais de volonté politique et c’est fondamental. Les choses vont rester inchangées alors qu’en Allemagne un tiers des ventes sont faites aux entreprises. Je ne parle pas de la situation américaine ! Nous sommes maintenus en permanence en état d’infériorité par rapport à nos homologues étrangers.
Avec l’ouverture de l’Espace 315 dédié à la jeune création (lire p. 13), le Musée national d’art moderne a voulu redonner une visibilité à sa mission dans ce domaine. Comment percevez-vous la place faite à l’art contemporain dans le paysage institutionnel français ?
On ne peut pas reprocher aux musées français de ne pas montrer d’artistes contemporains. Je dirais même le contraire : on en montre trop, il y a trop de lieux. En France et à l’étranger, leur nombre est maintenant infini. L’intention de les créer est louable, mais avec quoi remplir ces lieux ? S’il y en avait 20 en tout en France dans les années 1970, aujourd’hui il y en a 200. Avant de les ouvrir, on ne s’est jamais vraiment posé sérieusement la question de leur fonctionnement. Le nombre de bons artistes est lui toujours le même. On remplit les musées et les centres d’art en tout genre de travaux mineurs, ce qui crée une confusion totale des valeurs. L’idée est généreuse mais elle a eu des effets inverses. Au lieu de mettre en valeur les bons artistes, elle les a noyés au milieu des mauvais.
Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
J’ai bien aimé la Biennale du Whitney Museum à New York. À mon avis, c’est une des meilleures éditions de ces dix dernières années. Composée d’une sélection d’artistes américains ou étrangers vivant aux États-Unis, elle est parfaitement éclectique dans ses choix esthétiques, elle ne privilégie plus la photo, la vidéo et les installations au détriment de la peinture. Il n’y a jamais eu autant de peintres dans cette biennale et c’est un signe, celui de la lassitude pour ce foisonnement des nouveaux médias. L’artiste qui a quelque chose à dire le dit avec de l’acrylique, de l’huile, de la vidéo, de la photographie, des objets. Le médium ne fait pas le bon artiste. Ici, depuis quelques années, utiliser la peinture revenait à être condamné, et pas seulement dans les institutions. Nous avons même entendu célébrer sa mort l’année dernière à la radio par l’ancien président du Cofiac. Il est heureux que le Whitney montre l’exemple que la France ferait bien de suivre.
(1) publié aux éditions Jacqueline Chambon : Alain Quemin, L’Art contemporain international : entre les institutions et le marché, 2002.
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Daniel Templon, galeriste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°190 du 2 avril 2004, avec le titre suivant : Daniel Templon, galeriste