Connu du grand public pour son œuvre littéraire, Daniel Rondeau est l’actuel ambassadeur de France à l’Unesco où il remplace Rama Yade depuis novembre 2011.
L’œil : Journaliste, écrivain, diplomate… vous avez eu plusieurs vies en une. Quelle est celle qui a votre préférence ?
Daniel Rondeau : J’ai dédié toute ma vie au livre, l’écriture fut ma vocation. Le terme est un peu sévère puisqu’il est à connotation religieuse, mais il correspond à la réalité. Seule parenthèse, celle de mes 20 ans en 1968, pour une autre vocation, plus messianique : la révolution. Puis je suis retourné aux livres et à mon souci d’écrire. Je lisais déjà beaucoup enfant. Mes parents étaient instituteurs en Champagne et mon père m’avait ouvert un compte dans une librairie lorsque je suis entré en sixième. Je regardais la vitrine de ce libraire, la littérature française était un jardin : Giono, Aragon, Malraux, Camus… j’ai ressenti très tôt l’appel des mots. Mais pour écrire, il faut vivre. J’ai eu cette chance de pouvoir vivre différents métiers, tous passionnants : le journalisme, l’édition, la diplomatie. Et pour chacun d’eux, d’avoir été appelé.
L’œil : C’est-à-dire ?
D. R. : Par conviction, j’étais parti travailler en usine en Lorraine quand j’avais 20 ans. J’étais un « établi ». On ne sort pas de ces années si facilement. Après ce temps d’abstinence intellectuelle, de diète culturelle, je suis retourné vers ce que j’avais failli perdre : les livres, la musique, l’opéra. J’ai commencé à travailler pour la radio, sur une station locale à Nancy, et j’ai décidé d’écrire mon premier livre. En même temps, j’ai envoyé quelques articles à Libération, dont j’avais participé à la fondation comme tout militant de cette époque. Des articles sur des écrivains et un long récit-interview de Leonard Bernstein, que j’avais rencontré à Vienne.
Ces articles ont eu un certain retentissement et Serge July m’a appelé pour diriger les pages livres de Libération. J’ai d’abord refusé, je ne me sentais pas prêt et j’étais en train d’écrire mon premier roman. Un an plus tard, la proposition m’a été faite de nouveau et j’ai quitté Nancy pour Paris. Le journalisme à Libération, à cette époque, m’a beaucoup appris.
L’œil : Et c’est ainsi que vous avez côtoyé le monde de l’édition ?
D. R. : J’ai reçu un jour un appel du notaire et homme d’affaires, Gérard Voitey, qui m’a demandé de fonder une maison d’édition. Je sortais de trois ans de journalisme, d’une vie intense à fabriquer un quotidien, avec de multiples rencontres et voyages, mais j’avais en tête la phrase de Paul Morand à Roger Nimier : « Attention : pas trop de journalisme ! » Gérard Voitey souhaitait lancer une petite maison d’édition, avec dix titres par an, il m’a donné carte blanche. C’est ainsi que sont nées les éditions du Quai Voltaire. Je me suis engagé pour trois ans. On était une minuscule équipe, c’était prenant, amusant, vivant. Nous avons notamment fait redécouvrir l’écrivain américain Paul Bowles.
L’œil : Votre troisième carrière, diplomatique, est-elle liée à ce déjeuner réunissant à l’Élysée des écrivains, et au cours duquel vous avez échangé avec Nicolas Sarkozy sur le Bassin méditerranéen ?
D. R. : Je m’étais installé dans ma ferme, solitaire, près d’Épernay où j’ai passé dix ans à écrire : Dans la marche du temps, mais aussi des livres sur les portes de la Méditerranée, Tanger, Alexandrie, Istanbul, Carthage. Et je reçois un appel du ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner. C’était un « copain » depuis longtemps, du temps du gauchisme, mais aussi de mes voyages au Liban. Mais je ne lui avais pas parlé depuis sa nomination au Quai, et j’étais alors aussi proche d’Hubert Védrine, ou plus encore de Dominique de Villepin. Kouchner me dit : « On va te proposer un poste d’ambassadeur. » Et je me suis retrouvé à Malte.
L’œil : Avez-vous accepté parce que vous étiez attiré par la diplomatie ou parce que vous êtes passionné par la Méditerranée ?
D. R. : Parce que c’était une opportunité de vie neuve, parce que j’étais fier de servir mon pays, ma langue. C’était un cadeau qui tombait du ciel. Cela faisait vingt ans que je tournais autour de la Méditerranée, en harmonie avec cet univers. Et l’on m’offrait un porte-avions au milieu des eaux… Nommé à 15 heures, j’avais imaginé mon plan d’action pour Malte à 17 heures ! J’ai d’emblée pensé à un voyage politique et poétique avec un bateau de la Marine nationale pour défendre les idées méditerranéennes qui nous sont chères et communes, songé à organiser un concert israélo-palestinien…
L’œil : Ce poste d’ambassadeur a-t-il correspondu à vos attentes ?
D. R. : J’ai fait vivre une influence française forte, en occupant tous les créneaux possibles : politique, économique, culturel. Des astrophysiciens français, comme Pierre Léna, sont venus à Malte, des économistes, comme Christian de Boissieu, des écrivains, tels Charles Dantzig ou Michka Assayas, des cartoonistes, comme Jul. J’ai aussi organisé une exposition autour de Rock Dreams de Guy Peellaert. Il y avait un flux constant, dans ce pays anglophone, de conférenciers français.
Mais j’ai aussi découvert la tragédie des boat people, avec trois mille Africains cherchant à arriver à Malte chaque année et mille cinq cents mourant dans le silence de la mer, à 20 km des côtes touristiques, et j’ai essayé de m’attaquer à ce dossier-là : j’ai publié deux pages dans Le Monde, monté deux charters à l’envers avec une centaine d’Africains accueillis en France chaque fois, des rescapés.
L’œil : Aviez-vous les moyens de vos ambitions dans ce petit pays ?
D. R. : J’avais un budget modeste, mais un poste correspond à ce que l’on en fait. J’ai reçu le soutien des autorités et de fondations maltaises, d’entreprises françaises basées à Malte, comme PSA Insurance, du champagne Pommery et de Moët Hennessy, un partenaire précieux et fidèle, avec qui j’ai organisé trois jours sur l’art de vivre à la française. Car tout est lié, l’économie, le militaire, la politique, la culture. Nous avons tenté de donner un peu de visibilité à toutes nos actions. La presse française m’a semblé en phase avec mes ambitions, et j’ai même eu un grand papier dans le Financial Times ! Je crois que la France a été, pendant toute cette période, très vivante à Malte, et un peu plus aimée.
L’œil : Quelle vision avez-vous du soft power à la française aujourd’hui ?
D. R. : Le soft power est fondamental. Notre pays a été connu dans le monde d’abord par sa culture : ses écrivains, tels Hugo, Baudelaire, Flaubert, Sartre, Camus, ses cinéastes, comme Godard et la nouvelle vague, ses peintres (Poussin, le Lorrain, Delacroix, Cézanne), ses plasticiens, comme Buren, ses architectes (Nouvel, Wilmotte), tous contribuent à l’image créatrice de la France. Tout autour de la Méditerranée, nombreux sont ceux qui sont attachés à la culture et à la langue françaises, beaucoup plus que nous, qui sommes un peu les enfants gâtés de notre propre histoire. Beaucoup de pays sont prisonniers de situations complexes, parfois inextricables ; la France permet à chacun d’entretenir un rapport à l’universel.
Peu de nations, peu d’États ont eu cette vocation universelle, portée non seulement par notre culture mais aussi par notre histoire, par la Révolution bien sûr, par la formation du goût français au XVIIe siècle, par la France libre et rebelle… Tout cela participe d’un imaginaire qui se manifeste encore avec beaucoup d’énergie, contrairement à ce que l’on croit.
Ainsi Beyrouth est un concentré de toutes ces passions françaises à l’extérieur de la France. Il faut considérer que cette langue et cette culture françaises appartiennent aussi aux étrangers qui les aiment et les font vivre au moins autant que nous, Français de l’Hexagone.
L’œil : Que pensez-vous de la réforme de notre diplomatie culturelle, avec la création de l’Institut français et la reprise en mains des Affaires étrangères sur la culture ?
D. R. : La création de l’Institut français a apporté une unité, une visibilité. Il est entre les mains de Xavier Darcos, qui est un homme de culture et un responsable expérimenté. Dans certains pays, nos structures diplomatiques étaient trop disséminées, elles allaient parfois à hue et à dia. Il faut organiser cette planète culture, pouvoir impulser des choix, des priorités, et il me semble normal que l’unité d’impulsion et de choix revienne au bout du compte à l’ambassadeur de France en place dans le pays. Naturellement, il ne faut pas négliger Internet qui révolutionne tous nos échanges.
L’œil : Tous les ambassadeurs ont-ils cette compétence, cette appétence culturelle ?
D. R. : C’est comme partout, il y en a des bons et quelques-uns dont on pourrait se passer… Et surtout il y a des passionnés. Ce sont eux qui font bouger les choses. Vous connaissez la phrase de Chamfort : « Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. » Vivons !
L’œil : Venons-en à votre mission actuelle d’ambassadeur de France à l’Unesco, où vous avez succédé à Rama Yade. Vous étiez candidat ?
D. R. : Je n’y avais jamais songé, mais je ne souhaitais pas rester une quatrième année à Malte où j’avais l’impression d’avoir exploré toutes les possibilités de ma mission au service d’une influence française forte. C’est le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, qui m’a proposé l’Unesco.
L’Unesco est une immense sphère diplomatique, avec cent quatre-vingt-quatorze ambassadeurs étrangers. La France est le pays hôte, nous nous battons pour attirer des organisations internationales sur notre territoire, comme Interpol, mais nous leur parlons peu, nous les négligeons. Alors que l’Unesco est une bulle d’influence énorme !
L’œil : Quelles propositions faites-vous pour que cela change ?
D. R. : J’ai constaté que j’étais très attendu, c’est assez sympathique, l’on me dit dans les couloirs : « La France renoue avec sa tradition des écrivains ambassadeurs. » Récemment, j’ai parlé pendant deux heures de culture et de politique devant une cinquantaine d’ambassadeurs. J’en ai emmené en visite privée au château de Versailles, l’un des premiers sites inscrits au patrimoine mondial, et je les conduirai à Nancy (autre site d’importance), où le maire, André Rossinot, est prêt à les accueillir. Je vais organiser pour certains d’entre eux un séminaire sur l’histoire et la géostratégie en Méditerranée à Toulon, avec la Marine nationale. Je prévois aussi un hommage à Václav Havel, avec André Glucksmann, Jack Lang, l’écrivain Klima…
Enfin, je veux aussi aider l’Unesco à sortir de l’ornière des relations israélo-palestiniennes qui a causé le retrait financier des Américains de cet organisme : ils n’ont pas payé leur cotisation de 2011 et ne paieront pas celle de 2012. C’est d’ailleurs assez choquant. Pour cela, je vais essayer d’organiser un colloque de scientifiques israéliens et palestiniens en mai.
L’œil : Quel est le rôle exact de l’ambassadeur de France à l’Unesco ?
D. R. : Les grandes priorités sont l’éducation, les sciences, la paix, le patrimoine. Le classement mondial des sites est l’action la plus connue. En France, nous avons une trentaine de sites inscrits ; la grotte Chauvet comme les climats de Bourgogne sont bien placés, et je vais faire de mon mieux pour les défendre. J’essaie d’échapper à la tentation bureaucratique de cette maison, de bâtir des projets autonomes, de nouer des relations privilégiées avec un maximum d’ambassadeurs et de faire vivre notre influence, encore une fois, dont le film The Artist, cinq fois récompensé aux Oscars, est un exemple.
L’œil : Comment la France est-elle perçue à l’Unesco ?
D. R. : Les Français sont dans une dépression nerveuse généralisée depuis trente ans, nous réussissons à paraître à la fois arrogants et comme doutant de nous-mêmes. Mais nous restons une grande puissance sur le plan économique, militaire. La France joue un rôle évident à l’ONU, à l’Unesco, elle apporte des idées et une capacité d’initiative et de création. La culture plus une certaine idée de la liberté, c’est véritablement notre ADN. Et c’est aussi ce que l’on attend de nous.
L’œil : Dans le débat présidentiel, la culture est-elle assez présente ?
D. R. : Elle ne l’est jamais assez. Comme l’éducation d’ailleurs, à qui il faut rendre une ambition, un idéal, une considération. Il existe un axe fondamental pour l’avenir d’un pays comme le nôtre : éducation-recherche-défense.
L’œil : Quelles sont les personnalités qui vous ont le plus marqué au long de votre parcours si varié ?
D. R. : Soljenitsyne, que j’ai rencontré dans le Vermont pendant son exil américain, pour sa lutte à mains nues contre le système soviétique. Le pouvoir des mots ! Le cardinal Lustiger et Jean-Paul II, à cause du lien essentiel qu’ils ont réussi à faire revivre entre la foi juive et la foi catholique, Milan Kundera, Mario Vargas Llosa, Yachar Kemal, en tant qu’homme et écrivain. J’ai aussi beaucoup d’estime et d’amitié pour le philosophe et l’orientaliste Christian Jambet, notre meilleur spécialiste de l’islam chiite.
L’œil : Et vos musées méditerranéens préférés ?
D. R. : Combien d’heures passées à la cathédrale Saint John de La Valette entre les deux tableaux du Caravage : Décollation de saint Jean-Baptiste et Saint Jérôme. J’aime aussi beaucoup le Musée des beaux-arts de Malte qui a une très belle collection de Favray, le petit musée Yves Saint Laurent à Tanger, le Musée de Beyrouth, le Musée archéologique d’Istanbul, le Musée du Bardo à Tunis, à cause notamment d’une mosaïque qui représente Virgile, le Musée de Carthage avec ce squelette d’un homme retrouvé dans un sarcophage du IVe siècle avant Jésus-Christ entouré d’objets représentant toutes les religions du vieil Orient : c’est passionnant de voir comment les mœurs, les religions voyagent et ressuscitent. Assez curieusement, quand j’ai écrit sur Carthage, les archéologues de Tunis ont organisé une exposition avec ce sarcophage, et ils m’ont appris que le squelette avait été baptisé Daniel par le Français qui l’avait « inventé ». Je leur ai écrit un petit texte : Daniel parle à Daniel.
L’œil : Quand vous vous retournez sur votre vie aussi riche, qu’est-ce que vous vous dites : « Je suis très compétent » ou « Je suis né sous une bonne étoile » ?
D. R. : Je ne me retourne pas ! J’ai le privilège de ma liberté, je me suis battu pour vivre comme j’avais imaginé de le faire, j’ai accepté des renoncements, j’ai pris des risques, j’ai quitté des positions acquises pour la solitude et l’écriture en Champagne. La vie, c’est comme l’amour : toujours à construire. Les choses sont arrivées, peut-être que la bonne étoile est là. La bonne étoile a pour moi deux noms : Travail et Providence.
1948
Naissance au Mesnil-sur-Oger, en Champagne.
1987
Il fonde les éditions du Quai Voltaire.
1985-1998
Grand reporter au Nouvel Observateur. En 1998, il reçoit le Grand prix Paul Morand de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre.
1998-2007
Éditorialiste à L’Express.
2004
Publication de son roman Dans la marche du temps.
2008
Il est nommé ambassadeur de France à Malte.
2011
Daniel Rondeau est nommé ambassadeur de France à l’Unesco.
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Daniel Rondeau : « Peu d’États ont eu la vocation universelle de la France »
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Organisation des Nations unies fondée en 1945, l’Unesco est basé à Paris, place de Fontenoy, et regroupe 195 États membres. Les bâtiments qui composent son siège ont été conçus par trois architectes : Marcel Breuer (Américain), Pier Luigi Nervi (Italien) et Bernard Zehrfuss (Français). L’éducation, la science et la culture sont les trois domaines d’action de l’organisation qui œuvre à travers eux à la paix, au dialogue entre les nations et à l’éradication de la pauvreté. C’est l’Unesco qui initie par exemple en 1960 la campagne de sauvetage du temple d’Abou-Simbel qui durera vingt ans et qui adopte, en 1972, la Convention pour la protection du patrimoine. Les premiers monuments sont inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial six ans plus tard. La Bulgare Irina Bokova a été élue à sa tête en 2009, le dixième directeur général et la première femme depuis sa création.
Un récit 100 % pur Malte
Dans Malta Hanina, son dernier livre paru en janvier dernier aux éditions Bernard Grasset, Daniel Rondeau raconte « Malte la généreuse » (Malta Hanina), ce pays qu’il a vécu de l’intérieur lorsqu’il y était ambassadeur de France. Mais c’est l’occasion aussi pour l’écrivain de parler de la France, de l’Europe tentée par l’oubli et de sa vie d’écrivain. Malta Hanina, Grasset, 306 p., 18,50 €.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°645 du 1 avril 2012, avec le titre suivant : Daniel Rondeau : «”‰Peu d’États ont eu la vocation universelle de la France”‰»