Daniel Arasse, historien de l’art, a été emporté le 14 décembre dernier par la maladie de Charcot. Les hommages, légitimes, n’ont pas manqué, jusque et y compris dans la grande presse. Cette célébration est opportune, elle rend justice à un intellectuel encore jeune et à l’activité abondante,
brisée en pleine course comme on l’imagine (Daniel Arasse avait moins de soixante ans et préparait pour les éditions du Regard, demeuré inachevé, un ouvrage consignant sa propre théorie de l’art). Qu’on se rappelle ainsi, déjà, l’érudit qu’il fut, normalien, universitaire spécialiste de la Renaissance et l’auteur de plusieurs « sommes » lumineuses : sur Léonard de Vinci, Raphaël, l’Annonciation dans la peinture italienne ou encore Le Détail, base de cette histoire « rapprochée » de la peinture pour laquelle il plaidait. Le serviteur de la culture, encore, directeur, entre 1982 et 1989, de l’Institut français de Florence, où il initia un festival de cinéma et d’analyse filmique qui fit date. Le médiateur, aussi bien, rédacteur enjoué d’On n’y voit rien, petit livre à l’intelligence déliée à l’origine du cycle des Histoires de peinture diffusées l’été passé à la radio, sur France Culture, deux succès publics. Sans oublier enfin le commissaire d’exposition. Daniel Arasse, on s’en souvient, est l’un des maîtres d’œuvre de l’exposition « Botticelli » accrochée ces mois derniers, à Paris, au palais du Luxembourg.
Sauf le vide qu’il laisse à ses amis – dont fut l’auteur de ces lignes –, que nous lègue Daniel Arasse ? Aux historiens, il fournit une méthode singulière mixant intuition et savoir, prospective biaise et information accumulative sur les faits ou les œuvres : penser la Révolution française, ainsi, au-delà de ses principes positifs, à l’aune de la guillotine et de cet Imaginaire de la Terreur dont il rendit compte, en 1988, dans une exposition remarquable. Aux esthéticiens, il offre une invite à la divagation transhistorique, évidemment contrôlée mais ouverte aux chemins de traverse : lui-même, de la sorte, ne s’est pas interdit de penser Greuze et Andres Serrano, Boucher et Cindy Sherman, Chardin et Michael Snow ou Anselm Kiefer, en de récurrents allers et retours entre classicisme et contemporanéité jouant la permanence du fait artistique contre sa segmentation ou sa clôture chronologique. Aux hommes de culture, Daniel Arasse signifiera enfin post mortem, par son apologie de l’analyse de « détail », toute l’équité intellectuelle que prodiguent étude savante et « rapprochement » maximal entre l’intellect et son sujet d’étude : l’occasion de nier légèretés ou séductions faciles, tout à la fois, du Fast Thinking et du Spectacle. Dans une période, la nôtre, livrée tant et plus aux approximations mentales et aux analyses de comptoir (ou de ce comptoir à peine élargi qu’est le plateau télé), l’approche de Daniel Arasse se présente comme un contre-pied salutaire. Une approche qui ne s’en laisse compter ni par le préjugé, ni par la hâte de conclure, soucieuse d’abord de l’expertise tous azimuts.
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Daniel Arasse expert et esthète
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°555 du 1 février 2004, avec le titre suivant : Daniel Arasse expert et esthète