Restitutions

Cornelius Gurlitt : « Je ne rends rien de mon plein gré »

Par Isabelle Spicer (Correspondante à Berlin) · lejournaldesarts.fr

Le 18 novembre 2013 - 851 mots

BERLIN (ALLEMAGNE) [18.11.13] - Alors que le ministre de la Justice du Land de Bavière préconisait de passer un accord avec Cornelius Gurlitt pour faciliter la restitution des tableaux retrouvés à Munich, Gurlitt affirme dans un entretien à la presse allemande ne vouloir rendre aucun tableau. La liste de 590 œuvres de provenance douteuse sera publiée par le gouvernement.

« Je ne rends rien de mon plein gré », affirme Cornelius Gurlitt, avant d’ajouter « non, non » pour bien montrer sa détermination. Il s’exprimait pour la première fois dans la presse. Une journaliste de l’hebdomadaire Der Spiegel l’a accompagné pendant trois jours, et on en sait maintenant un peu plus sur ce mystérieux personnage qui n’avait pas d’existence légale en Allemagne.

Son refus catégorique s’adresse à la proposition du ministre de la Justice du Land de Bavière, Winfried Bausback, au sujet des œuvres retrouvées à Munich en février 2012. Celui-ci suggérait dans le Süddeutsche Zeitung que la meilleure solution serait de passer un accord avec Cornelius Gurlitt au sujet des biens spoliés par les nazis. Il en va de la responsabilité de l’Allemagne, il serait insupportable pour les ayant-droits qu’on fasse jouer le délai de prescription, ajoutait-il. C’est bien là que le bât blesse : légalement, les œuvres retrouvées appartiennent à Cornelius Gurlitt. Même s’il s’agit de biens spoliés par les nazis, son père, Hildebrand Gurlitt, pourrait les avoir achetés légalement à l’Etat allemand de l’époque. Cornelius Gurlitt affirme en tout cas que son père n’a jamais acheté de biens à des personnes privées : il les a acquis dans les musées allemands ou via d’autres marchands d’art. Autre problème pour la restitution des œuvres spoliées : le délai de prescription est de 30 ans en Allemagne.

Cornelius Gurlitt affirme que son père était un héros. Défenseur ardent de l’art moderne, considéré comme dégénéré à l’époque nazi, Hildebrand Gurlitt aurait sauvé les œuvres de la destruction, en les protégeant des bombes, des nazis, des soldats soviétiques, et enfin des Américains. Le fils affirme avoir poursuivi la mission de son père. Il ne désire rien d’autre que le retour de ses œuvres : la séparation d’avec celles-ci est plus insupportable que le décès de son père, de sa mère et plus récemment de sa sœur, morte il y a deux ans d’un cancer. Cornelius Gurlitt est gravement malade, et il estime qu’on aurait pu attendre sa mort avant de prendre les tableaux. Il ne comprend pas l’attention médiatique dont il fait l’objet, lui qui vit reclus avec ses tableaux depuis des décennies.

Ces déclarations interviennent alors que le parquet d’Augsburg reçoit de nombreuses demandes de restitutions de biens. Dr. Ingeborg Berggreen-Merkel, directrice de la taskforce en charge de faire la lumière sur les œuvres retrouvées à Munich, a annoncé le 14 novembre la publication imminente des œuvres de provenance douteuse. Sur 1406 œuvres, environ 590 pourraient s’avérer être des biens spoliés par les nazis avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. La publication de cette liste se fait avec l’accord des autorités fédérales et du Land de Bavière concernées. Comme pour les 25 premières œuvres, la liste sera publiée sur le site www.lostart.de.

Ce site, qui en temps normal reçoit 50 000 visites par jour, a rencontré d’importants problèmes techniques en raison d’une hausse considérable de trafic. Mardi dernier, le lendemain de l’annonce de la publication des vingt-cinq œuvres, 4,8 millions de visites avaient été enregistrées avant que les serveurs ne tombent en panne. La capacité du site a depuis été améliorée. Le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) remarque pour sa part que la publication des œuvres pourrait faire jurisprudence. Tout en regrettant qu’« on demande plus de transparence sur les biens spoliés aux personnes privées qu’aux institutions publiques». Selon le FAZ, les réserves des musées allemands contiendraient de nombreuses œuvres potentiellement spoliées par les nazis, ce que ces musées se gardent bien de rendre public. Cornelius Gurlitt est du même avis : « Qu’est-ce que cet Etat qui montre ma propriété privée ? », a-t-il déclaré à Der Spiegel.

La taskforce a également été chargée d’enquêter sur la provenance des vingt-deux nouvelles œuvres trouvées samedi 9 novembre dans un appartement près de Stuttgart, probablement chez le beau-frère de Cornelius Gurlitt.

Pendant ce temps, les politiques locaux n’en finissent pas de régler leur compte. La ministre de la Justice du Land de Bavière de l’époque affirme n’avoir pas été informée de la découverte des œuvres. Une administration du gouvernement fédéral aurait cependant été avertie dès mars 2012. Le SPD, parti d’opposition en Bavière, réclame la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire. La politique culturelle en Allemagne relève des Länder, et la Bavière dispose d’un ministre en charge de l’éducation, du culte, de la science et de l’art. Celui en poste en 2012 au moment de la découverte du trésor de Munich, Wolfgang Heubisch, (FDP, parti libéral), affirme au Süddeutsche Zeitung n’avoir pas été averti et avoir découvert l’affaire dans la presse : « J’ai tout de suite pensé : est-ce qu’on est le 1er avril aujourd’hui ? », avant de conclure que cette affaire est une catastrophe pour la Bavière.

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Vue de l’immeuble d’habitation où se situait la cache des 1406 tableaux retrouvés. © Staatsanwaltschaft Augsburg

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