Si les formes pop et acidulées prônées par les designers dans les années 1970 s’essoufflent sur le marché, leur contrepoint en métal, plus rationnel, gagne de plus en plus de terrain.
Polyester, acrylique, polyamide, vinyle. Ces dérivés du pétrole aux noms alambiqués ont permis une explosion des formes dans les années 1970. Dans une époque aussi contestataire qu’hédoniste, il n’y a plus de tabous, surtout pas celui des arts décoratifs opposés aux beaux-arts. « Il n’y a pas eu de décennies où autant d’artistes se soient essayés au mobilier, à l’image de Bernard Rancillac, Niki de Saint Phalle, Ruth Franken ou Guy de Rougemont », rappelle le courtier Florent Jeanniard. Le mobilier d’artiste n’est toutefois qu’une niche dans un système qui connaît son apogée en Italie. Ce pays jouit alors d’un outil de production, du financement des grandes entreprises et de supports de diffusion comme la revue Domus. Cette stratégie de l’araignée lui permet de distancer de plusieurs têtes ses concurrents. L’industrialisation rapide a toutefois son revers. Les créateurs ont très vite été happés par les gros réseaux de distribution. Du coup, même si certaines pièces sont devenues iconiques, elles n’en sont pas pour autant valorisées car produites en un grand nombre d’exemplaires, voire rééditées. Celles dont la production fut stoppée résistent à la dépréciation. C’est le cas du canapé Safari du collectif Archizoom dont la galerie bruxelloise 146 Autegarden-Rapin propose un exemplaire pour 28 000 euros. Ce canapé était révolutionnaire en ce sens qu’il modifiait les habitudes d’assise et introduisait la notion de communauté.
Une assise ajustée
En France, Pierre Paulin, exposé jusqu’au 16 septembre à la Villa Noailles à Hyères, sera sans doute le plus novateur en la matière. Son siège Déclive, proche de la chaise longue, modifie aussi notre manière de nous asseoir. De même son confrère Marc Held transforme l’assise en moment ludique avec le fauteuil Culbuto, lequel plafonne actuellement à 4 000 euros.
Le « Chant du Styrène », pour reprendre le titre du film d’Alain Resnais, n’attire plus autant les foules. Certes, on trouvera toujours des prix étonnants, comme les 150 000 euros déboursés par des collectionneurs pour des lustres de Werner Panton, sur le stand de Pierre Passebon (Paris) à la Biennale des Antiquaires de Paris en 2006. Ces lustres avaient pour mérite de sortir du film Barbarella. Mais hormis quelques exceptions, les seventies version pop pédalent dans la semoule. « Ce sont des pièces très singulières qui, inconsciemment ou pas, sont associées à une période utopique qui a finalement coûté cher, indique Fabien Naudan, spécialiste d’Artcurial (Paris). On ne sait plus comment conserver ces meubles, qu’on essaye de mettre sous verre, alors qu’ils étaient voués à être jetés. Il existe tout un discours derrière ces pièces, mais je constate que les gens s’en fichent pas mal. Nous sommes à l’ère du j’aime-j’aime pas. » La roue d’Enzo Mari baptisée E Pur si Mueve avait finalement quelque chose de prophétique. Bien que dotée des trois mots Rivoluzione, riformazione, restaurazione, elle penchait toujours du côté de la restauration ! Une restauration que renforce le choc pétrolier. L’heure est à l’ergonomie et à la rationalisation. Dès la fin des années 1960, une création en acier ou inox plus proche de la haute couture que du beau dans l’utile se développe. Ce pan, que certains qualifient de bourgeois, est très plébiscité aujourd’hui au point de s’insinuer en 2004 à la Biennale des Antiquaires grâce au marchand Yves Gastou (Paris). « Il y a un côté rassurant dans l’inox, on sait que cela ne va pas se détériorer », souligne le marchand parisien Matthias Jousse. « L’inox est l’un des seuls matériaux qu’on peut associer à du mobilier ancien, poursuit Florent Jeanniard. Il fait contemporain tout en respectant les meubles donnés par la grand-mère. »
Présenté longtemps comme anonyme dans les ventes publiques, le travail de Michel Boyer a retrouvé ses lettres de noblesse en 2003 avec l’exposition que lui a consacrée la galerie Jousse Entreprise (Paris). Un tabouret de forme X qu’on trouvait pour 1 000 euros voilà quatre ans, vaut dans les 5 000 euros. Néanmoins, ce créateur a produit peu de modèles, ce qui complique la construction d’un marché. D’ailleurs exception faite des prix de Maria Pergay, en plein boom, les collectionneurs gardent encore la tête froide. Pour le spécialiste Jean-Marcel Camard, les créateurs de cette époque n’atteindront pas les prix des têtes de ponts des années 1950. « Il manque une certaine dimension à ces artistes, observe-t-il. Perriand, Prouvé ou Le Corbusier étaient plus que des dessinateurs de meubles. C’étaient des architectes qui redéfinissaient la notion d’habitat. » On l’a compris, le marché des seventies doit encore prendre de la bouteille.
Le mobilier en inox de Maria Pergay, que la galerie Jousse Entreprise à Paris expose du 8 novembre au 22 décembre, a toujours séduit une certaine élite économique. Et pour cause, ses tables basses valaient quatre fois le SMIC de l’époque ! D’origine moldave, Maria Pergay commence sa carrière en réalisant des vitrines de décoration avant d’ouvrir en 1950 un magasin d’antiquités. Elle débute une collection d’objets en argent avant d’utiliser vers 1967 l’acier inoxydable qu’elle considère « aussi précieux que le plus précieux des bois ». Ce mobilier réalisé grâce à la firme Uginox reste artisanal même s’il s’en dégage une impression industrielle. Cette froideur métallique séduira aussitôt Pierre Cardin, mais aussi nombre d’Américains, de Russes et de Saoudiens. Ses prix progressent actuellement à une vitesse supersonique. Une table basse à trois plateaux que le duo Jeanniard-Rivière proposait pour 35 000 euros au Pavillon des Antiquaires à Paris en mars s’est adjugée pour 80 400 dollars le 22 mai chez Wright à Chicago. À la foire Design Miami à Bâle en juin, la galerie Jousse Entreprise exigeait 49 000 euros du même modèle. De même une banquette plate qui valait 25 000 francs aux Puces voilà six ans était présentée pour 100 000 euros par la galerie new-yorkaise Demisch Danant sur la foire de design à Bâle. Le refus de Maria Pergay de se lancer dans les rééditions, couplé à une demande actuellement exponentielle, pourrait encore doper ses prix.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Conserver l’éphémère