Comprendre l’Inventaire général du patrimoine culturel

Le Journal des Arts

Le 16 octobre 2024 - 1083 mots

Créé il y a soixante ans par André Malraux et transféré il y a vingt ans aux Régions, l’Inventaire général contribue à élargir toujours plus le périmètre des éléments accédant à un statut patrimonial.
1. Quelles sont les origines et missions de l’Inventaire général ?
« L’Inventaire des monuments et richesses artistiques de la France » est créé le 4 mars 1964 par André Malraux, alors ministre de la Culture. C’est l’historien de l’art André Chastel qui a porté l’initiative d’un service indépendant d’inventaire détaché de la conservation, de la restauration et des listes de protection du patrimoine. L’idée d’un « inventaire national du patrimoine » trouve ses origines en 1837, lorsque le Comité historique des arts et monuments propose de créer un répertoire illustré de « tous les monuments qui ont existé ou qui existent encore sur le sol de la France ». Lorsqu’André Chastel réactive ce projet oublié, il imagine un service distinct des autres administrations patrimoniales, qui s’intéresserait à des « ouvrages d’importance secondaire, qui peuvent encore pour un temps subsister ».

Dès sa création, l’Inventaire général se donne donc pour mission d’élargir le champ patrimonial, en révélant la valeur d’éléments peu ou pas regardés jusqu’alors. Son organisation se déploie de manière déconcentrée sur le territoire, à travers des commissions régionales rattachées aux Drac (directions régionales des Affaires culturelles), dont la mise en place s’achève tardivement, en 1983. Il faudra attendre également les années 1990 pour que la méthodologie empirique de l’Inventaire soit uniformisée sur l’ensemble du territoire. Dans les années 1980, l’Inventaire crée une cellule « patrimoine industriel ».
2. Quel périmètre pour le « patrimoine culturel » ?
Le quadrillage du territoire par l’Inventaire a fortement contribué à diversifier les éléments pris en compte par la démarche patrimoniale en France, un phénomène qui s’est accéléré avec la loi de décentralisation de 2004. Le patrimoine industriel, rural, aéronautique, celui des lycées ou des cours d’eau, l’habitat vernaculaire comme les grands ensembles, jusqu’au patrimoine immatériel, sont recensés par l’Inventaire, sans distinction entre le patrimoine protégé ou non. Grâce à l’Inventaire, tous ces éléments accèdent à un statut patrimonial, qui peut se traduire par une reconnaissance à travers un label, une protection, ou l’engagement d’efforts de préservation. Dans le cas de la disparition de l’œuvre, sa fiche d’inventaire constitue une trace documentaire.

La démarche de l’Inventaire repose sur plusieurs principes : une approche systématique et dénuée de critères esthétiques ; une délimitation de chaque programme dans une « aire d’étude » précise ; et un travail in situ, qui repose sur l’observation directe des œuvres. Quelques bornes sont données par le ministère de la Culture pour réduire ce vaste champ d’étude : l’Inventaire ne concerne pas le mobilier détenu par des particuliers ou conservés dans des musées. Il ne peut porter que sur des œuvres datées entre le haut Moyen Âge et trente ans avant le début de l’enquête (1994 pour une étude entamée en 2024 par exemple).
3. Quels en sont les principaux acteurs ?
Depuis 2004, ce sont les Régions qui sont chargées de mener l’Inventaire général du patrimoine. Pour ces collectivités, il s’agit de la seule compétence obligatoire dans le domaine culturel : aussi, le transfert de cette compétence par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a surpris au sein même des conseils régionaux. L’implication des Régions dans la politique patrimoniale n’est cependant pas une nouveauté, un partenariat État-collectivités locales existait dans ce domaine notamment depuis 2001 à travers les « protocoles de décentralisation culturelle » lancés par la ministre de la Culture Catherine Tasca.

L’Inventaire reste une compétence partagée avec l’État, qui contrôle la rigueur scientifique et établit les normes de ce travail, les Régions étant responsables de la mise en œuvre opérationnelle. Elles doivent ainsi programmer l’Inventaire général sur leur territoire, et sont garantes de la diffusion des résultats auprès du public. La réussite de l’Inventaire repose également sur les partenariats noués avec les autres collectivités et les institutions, au nombre de 155 en 2023. Des protocoles d’accompagnement sont ainsi signés avec des communes, agglomérations ou départements, mais aussi avec des associations et des universités, pour mener un travail d’inventaire sur une thématique définie.
4. Comment les services de l’Inventaire sont-ils organisés au sein des Régions ?
Le sigle « SRI » (services régionaux de l’Inventaire) désigne l’ensemble des services réservés à l’inventaire dans les 18 Régions françaises. Dans les organigrammes régionaux, ces services peuvent constituer une direction à part entière, être rattachés à une direction de la culture ou bien être intégrés dans les directions intervenant dans l’aménagement du territoire. Le périmètre d’intervention de ces services dépasse souvent la réalisation de l’inventaire, et peut comprendre l’accompagnement de territoires labellisés « Ville et pays d’art et d’histoire » ou l’instruction de dossiers culturels.

Les SRI sont dirigés par un conservateur régional de l’inventaire, qui opérait avant le transfert de 2004 au sein des Drac. En 2024, les SRI emploient une centaine de chercheurs (historiens de l’art, de l’architecture), une quarantaine de photographes, le même nombre de documentalistes, une vingtaine de gestionnaires de bases de données et neuf dessinateurs cartographes. Ces professionnels documentent par des photographies, parfois des relevés et des plans, les éléments inventoriés lors de chaque campagne. Deux approches différentes existent : l’inventaire topographique, qui inventorie de manière exhaustive le patrimoine mobilier et immobilier d’un territoire donné, et l’inventaire thématique, qui ne s’intéresse qu’à une typologie précise (patrimoine industriel, jardins, décors muraux…) sur un territoire plus vaste. À la demande des partenaires, les SRI peuvent aussi mener des opérations ponctuelles préalables à des travaux ou à un changement d’affectation d’un patrimoine. Tous ces éléments sont ensuite cartographiés et téléversés dans la base de données Gertrude, commune à l’ensemble des régions.
5. Comment l’Inventaire est-il partagé ?
L’un des grands apports de la décentralisation de l’Inventaire vers les Régions a été d’accélérer la diffusion et la valorisation des résultats auprès du public. Intégrant le patrimoine à des objectifs politiques, les Régions sont plus promptes à communiquer et diffuser ce travail patrimonial que ne l’étaient les services de l’État. Vingt ans après le transfert de compétences, la plupart d’entre elles sont ainsi dotées d’un site Internet consacré à l’Inventaire.

Les publications traditionnelles (comme la collection « Cahiers du patrimoine »), le moyen de diffusion de l’Inventaire longtemps privilégié, sont moins nombreuses depuis 2015. Le versement des dossiers de l’Inventaire vers la plate-forme ouverte « POP » (qui réunit les bases Mérimée, Palissy et Mémoire) n’est pas encore réalisé systématiquement par les SRI : le dernier rapport d’activités du Conseil national de l’Inventaire général évoquait un manque d’effectifs et une incompatibilité entre les bases régionales et nationales pour expliquer cette carence.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°641 du 18 octobre 2024, avec le titre suivant : Comprendre l’Inventaire général du patrimoine culturel

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