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Comment la Thaïlande événementialise ses restitutions

BANGKOK / THAÏLANDE

Un accord-cadre avec le Met de New York ouvre la voie à une coopération entre les deux musées.

Statue de Shiva datant du XIe siècle et restituée par le MET au Musée national de Bangkok. © MET
Statue de Shiva datant du XIe siècle et restituée par le MET au Musée national de Bangkok.
© MET

Bangkok (Thaïlande). Si les restitutions de biens culturels visent d’abord à réparer un préjudice, elles peuvent aussi déboucher sur des opportunités. La restitution en mai 2024 de deux statues en bronze du XIe siècle au Musée national de Bangkok par le Metropolitan Museum of Art (Met) de New York a donné lieu à une événementialisation à la fois muséographique, académique et diplomatique. Dès leur retour en Thaïlande, les deux sculptures ont été exposées dans une salle spécifique du musée, dans une aile récemment rénovée.

Provenant de la province de Buriram, située au nord-est de Bangkok, ces deux œuvres, remarquablement bien conservées, avaient été pillées avant de rejoindre les collections du Met. Elles y étaient entrées respectivement par achat en 1972 auprès de Doris Wiener, trafiquante d’antiquités, et par donation en 1988 du collectionneur et magnat américain Walter H. Annenberg.

Une muséographie « ad hoc »

Les conservateurs du musée ont conçu une muséographie ad hoc, plaçant au centre de la pièce la statue la plus imposante, une figure debout représentant un roi déifié à l’image de Shiva. Cette mise en scène l’associe à d’autres œuvres de la même période, issues des collections permanentes. La seconde sculpture, représentant une femme agenouillée se prosternant, les mains jointes dans un geste rappelant le wai thaïlandais, est exposée dans la même salle. Dès l’ouverture au public, ce fut une file ininterrompue de visiteurs. Cette ferveur est également liée à l’aura spirituelle de telles pièces dont la signification religieuse reste très importante pour les Thaïlandais.

Organisé en mai dernier, un volet académique et cérémoniel est venu compléter ce rapatriement patrimonial, avec un programme de conférences présenté par John Guy, conservateur au Met. Cette collaboration étroite entre les deux musées n’allait pas de soi, étant donné la procédure judiciaire qui a précédé ces restitutions : « C’est à la suite d’un accord entre la justice américaine et le Met que ce dernier a décidé de restituer les statues à la Thaïlande », souligne ainsi Étienne Clément, juriste spécialisé en droit international et ancien directeur à l’Unesco.

Un accord-cadre pour le futur

En 1988 déjà l’Art Institute of Chicago avait restitué à la Thaïlande un précieux linteau représentant Vishnu, volé dans les années 1960 au temple khmer de Prasat Hin Phanom Rung, situé dans la même province de Buriram. Très médiatisé à l’époque, cet épisode avait fortement marqué l’opinion publique. L’accord de 2024 lie à nouveau un musée américain privé, le Met, au gouvernement thaïlandais. Cette fois, un accord-cadre de collaboration et d’échanges accompagne les restitutions. Signé par Max Hollein, directeur du Met, et Nitaya Kanokmongkol, directrice des musées nationaux au sein du ministère de la Culture thaïlandais, il prévoit que tous les contentieux entre la Thaïlande et le musée américain seront résolus bilatéralement et à l’amiable, sans recours judiciaire ni intervention d’une organisation tierce. Ce point est important car le musée new-yorkais détient d’autres biens culturels que la Thaïlande souhaite récupérer.

Contrairement au Cambodge, à la Chine et à la Corée du Sud, la Thaïlande n’a pas signé à ce jour la convention de l’Unesco contre le trafic illicite des biens culturels. Le pays préfère adopter une approche au cas par cas, tout en répondant aux requêtes des pays signataires lorsqu’une affaire de trafic a transité par son territoire. Seul pays d’Asie du Sud-Est à n’avoir jamais été colonisé et partenaire militaire et économique des États-Unis de longue date, la Thaïlande ne porte pas l’amertume compréhensible des anciens pays colonisés envers les anciennes puissances coloniales dans le règlement des pillages, comme le fait remarquer Étienne Clément. Ce cas thaïlandais montre que la restitution de biens culturels ne se limite plus à la simple réparation d’un préjudice et peut devenir un levier de coopération entre musées.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°639 du 20 septembre 2024, avec le titre suivant : Comment la Thaïlande événementialise ses restitutions

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