PARIS
L’ancien ministre applique à l’Institut du monde arabe les recettes qui ont fait sa réputation.
Paris. Interroger Jack Lang sur les mutations en cours à l’Institut du monde arabe (IMA) n’est pas chose facile. Habitué aux médias depuis plus de quarante ans, le président pratique avec brio l’art de l’esquive et l’envolée lyrique. Ainsi, lorsqu’on le questionne sur l’impact du Covid sur la fréquentation (200 000 visiteurs en 2020 contre 700 000 à 1 million ces dernières années), il répond « qu’il n’aime pas les chiffres » et que ce qui compte c’est le « sentiment du visiteur ».
Pourtant les chiffres de l’IMA sont honorables, grâce à une programmation très « marketing » qui cible des segments de visiteurs larges et bien caractérisés. « Avec “Hip-Hop” [en 2015], détaille le président de l’IMA, des jeunes de toute la banlieue sont venus ; avec “Divas” [en 2020] ou “Hajj. Le pèlerinage à La Mecque” [en 2014], ce sont plutôt les gens du Sud. » La formule semble bien rodée, et l’on voit bien au seul énoncé du titre de ces expositions quels sont les publics visés, de même que pour les « Chrétiens d’Orient » en 2017, ou « Les Juifs d’Orient », prévue en novembre prochain. Et qu’importe si le travail scientifique sur les expositions est, disons, très vulgarisateur, le public est au rendez-vous. D’ailleurs, s’enorgueillit Claude Mollard, son plus proche conseiller, l’âge moyen du visiteur est de 45 ans, autrement dit il est« plus jeune qu’à Orsay ou au Louvre ».
L’inventeur de la Fête de la musique aime le spectacle vivant, les manifestations populaires, les défilés de mode, les concerts, les soirées karaoké (en juin 2020 !). Le rapport d’activités et l’agenda à venir donnent le tournis, c’est à peine si le confinement est passé par là, c’est le coup d’éclat permanent. Mais l’ancien professeur de droit sait aussi soigner l’image de l’IMA auprès des intellectuels et chefs d’entreprise avec des rencontres et débats (Les jeudis de la philosophie, Les rencontres économiques du monde arabe…)
Vient la question du financement de toutes ces manifestations. Jack Lang a réussi à redresser les comptes de l’IMA sans peser sur le budget de l’État. La Cour des comptes ne s’est d’ailleurs plus penchée sur les chiffres de l’IMA depuis 2012. Sa tutelle, le ministère des Affaires étrangères, lui verse une subvention annuelle d’environ 12 millions d’euros, alors que le MuCEM à Marseille reçoit 19 millions d’euros du ministère de la Culture, l’un et l’autre ayant un budget annuel pourtant comparable (environ 23 M€). La différence provient des recettes propres ; à l’IMA on s’efforce de financer par avance chaque projet avec des mécènes et sponsors, et de trouver des recettes complémentaires originales.
Ainsi l’Institut loue-t-il ses expositions. « Cités millénaires. Voyage virtuel de Palmyre à Mossoul » [en 2018-2019] a circulé en Arabie saoudite puis a été montrée à Bonn et à Washington. Des contacts sont en cours pour présenter « Divas » au Bahreïn et en Arabie saoudite. « Il était une fois l’Orient-Express », déjà largement financée par la SNCF et AccorHotels en 2014, est partie (par bateau) à Singapour en fin d’année dernière. Les Singapouriens sont si contents de l’exposition qu’ils envisagent de confier la gestion d’un lieu d’exposition à l’IMA, un lieu qui supposerait une intervention de l’architecte « maison » Jean Nouvel. Une antenne de l’IMA à New York est aussi dans les cartons depuis des années. Mais c’est compliqué, reconnaît Jack Lang : « Il faut faire un travail de persuasion vis-à-vis des Américains parce qu’il y a des préventions très fortes en ce moment à l’égard du monde arabe. »
En bon stratège, Jack Lang s’appuie aussi sur les spécificités de l’IMA pour développer des activités rémunératrices. Parmi celles-ci, des cours payants de langue arabe, au catalogue très fourni et qui font le plein au point de devoir refuser des candidats par manque de place. Il a également mis en place, à l’image du Toefl pour l’anglais, un certificat international de maîtrise en arabe (le Cima, lui aussi payant), financé par les Émirats et le Qatar. Capitalisant sur cette activité d’enseignement, l’IMA vient d’ouvrir un centre de formation pour entrer dans le gigantesque marché de la formation pour adultes via le compte personnel de formation. Comme beaucoup de lieux culturels, il se lance aussi dans la vente d’ingénierie culturelle (sous la marque « Imago »), avec un premier client en Égypte (le Musée d’Ismaïlia sur l’histoire du canal de Suez). Enfin il a su constituer une sorte de fonds de dotation doté de 53 millions d’euros (alimenté en partie par les dettes des anciens pays de la Ligue arabe associés à l’IMA) et qui rapporte bon an mal an 1 million d’euros par an de produits financiers (moins dans les années futures en raison des rendements actuels).
L’ancien ministre intervient peu dans la gestion courante, comme en témoigne son bureau – vide – où il ne s’assied jamais, préférant les fauteuils du coin salon. Comme à la Rue de Valois, il s’entoure d’une équipe de fidèles menée par son lieutenant Claude Mollard, lequel est le plus souvent à la manœuvre. Son conseiller diplomatique Éric Giraud-Telme fait le lien avec le Quai d’Orsay et les pays arabes, et le secrétaire général Jean-Michel Crovesi est le gardien des chiffres. L’équipe de direction vient d’être renforcée avec notamment l’arrivée de Nathalie Bondil à la tête du musée et des expositions, de Frédérique Mehdi à la direction des actions culturelles et de Grégory Fleuriet à la communication et à la stratégie. Jack Lang (82 ans) a été reconduit l’an dernier pour un nouveau mandat de trois ans.
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Comment Jack Lang transforme l’IMA
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°575 du 15 octobre 2021, avec le titre suivant : Comment Jack Lang transforme l’IMA