Combien coûte une exposition ? Comment les conservateurs obtiennent-ils les œuvres en prêt ? Quelles tractations, parfois diplomatiques, se jouent avant l’ouverture ? Pour ses lecteurs, L’œil a mené l’enquête...
Succès de « Courbet » au Grand Palais, file d’attente devant l’entrée du musée du Sénat pour « Arcimboldo », fréquentation plus que satisfaisante pour le Louvre avec « Ingres »... Il semble que les musées se soient lancés dans une démarche visant à battre des records d’affluence à coups d’expositions médiatiques. Indéniablement, visiteurs et touristes sont séduits. Mais mesurent-ils à quel point organiser ces événements s’avère complexe ?
L’œil convie ses lecteurs à une visite privée des coulisses de ces expositions temporaires, à leur making off. Combien de temps à l’avance une rétrospective est-elle préparée ? Comment se déroulent les négociations avec les propriétaires des œuvres ? Quels obstacles jalonnent la réalisation d’une manifestation ? Si les considérations économiques ou logistiques sont les plus prégnantes, les aspects politiques ou religieux interfèrent parfois également comme l’a montré l’annulation récente de « Chefs-d’œuvre du Delta du Gange ». Tracasseries administratives, réticences d’archéologues locaux... sur 188 pièces devant être prêtées au Musée national des arts asiatiques Guimet, seules 42 pièces ont été acheminées en France. Le vol de deux statuettes de Vishnou (ci-contre) à l’aéroport de Dacca a définitivement enterré l’exposition. « Les opposants au gouvernement du Bangladesh n’ont eu de cesse de faire croire à l’opinion publique que la France spoliait les pays étrangers de ses œuvres d’art », a dénoncé le conservateur de Guimet, Vincent Lefèvre. Un bilan lourd : cinq années de travail perdues, une ardoise de 400 000 à 600 000 euros, sans compter les difficultés pour trouver des transporteurs acceptant d’assurer le retour des œuvres dans ce contexte détestable...
Quelque temps auparavant, la rétrospective « Sots Arts. L’art politique en Russie » tournait au cauchemar pour la Maison Rouge. Sur près de 200 œuvres demandées, 20 manquaient à l’appel, retenues par le prêteur, la galerie Tretiakov, sur les conseils del’Agence fédérale russe pour la culture ; les pièces incriminées heurtaient trois tabous ou thématiques politiquement incorrectes : le sexe, la religion, et... Poutine.
Demain, l’organisation d’une exposition temporaire pourrait devenir plus aléatoire encore. Les prêts d’un musée à un autre, généralement gratuits, le resteront-ils alors que la concurrence s’exacerbe entre les institutions ? Les négociations de prêts d’œuvres, déjà délicates entre musées occidentaux pourtant coutumiers du fait, s’avèrent de plus en plus complexes avec certains pays émergents qui négocient des contreparties : formations de personnels, restaurations d’œuvres, voire compensations financières comme l’a fait l’Égypte pour l’exposition « Toutankhamon » à Londres, exigeant que 75 % du prix des billets et des recettes du magasin de souvenirs lui soient reversés afin de préserver ces trésors et de construire un nouveau musée au Caire.
Les œuvres risquent-t-elles de devenir une denrée rare du fait de cette compétition ? D’autant que la fréquentation étant devenue l’audimat des musées, ces expositions temporaires observent souvent une même saisonnalité, répondent aux mêmes phénomènes de mode pour faire recette. Ainsi, à l’occasion de la commémoration de la mort de Gauguin en 2003, de nombreux musées souhaitant faire une large rétrospective sur cet artiste, aucun de ces candidats n’a voulu prêter ses œuvres ! Pierre Rosenberg, ancien président-directeur du Louvre, dénonçait déjà en 2004, dans un éditorial rédigé pour le magazine de la Fédération française des sociétés d’amis de musées, « l’événement à tout prix au détriment des collections permanentes, la course à l’événement au détriment de la recherche et du travail scientifique... les expositions tuent les musées ».
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°600 du 1 mars 2008, avec le titre suivant : Combien coûte une exposition ?