Être le parangon de la société de consommation, telle est la démarche de Claude Closky. Pour cela, il en appelle à toutes les techniques et à tous les supports : collage, photographie, vidéo, affiche, internet..., afin de procéder à de multiples détournements et trafics de sens.
Les 1 000 premiers nombres classés par ordre alphabétique ; Les 365 jours de l’année 1991 classés par ordre de taille ; Tout ce que je peux faire ; Tout ce que je peux être ; Tout ce que je peux avoir ; 8 560 nombres qui servent à donner l’heure ; 1 000 raisons de compter jusqu’à mille... Les titres des œuvres de Claude Closky sont révélateurs : cet homme est obsédé. Par les nombres. Par les mots. Par les images. Il faut dire qu’il a de quoi faire dans le monde qui est le nôtre ; c’est d’ailleurs là que siège la pertinence de sa démarche. Après que ses aînés ont célébré la société de consommation au travers de toute une production d’objets les plus surprenants qui soient, Claude Closky s’est inventé une posture en phase avec son temps : être le parangon de la société de la communication.
Nombreux sont les visiteurs qui se souviennent avoir découvert à la Biennale de Lyon, en 1995, le travail de l’artiste à travers l’œuvre qu’il y exposait intitulée Mille choses à faire. Constituée d’une succession de formules impératives découpées dans les magazines, celle-ci alignait à la queue leu leu sur une dizaine de mètres et étageait sur une douzaine de niveaux un millier de propositions
diverses et variées : « Habillez votre regard », « Surfez tout l’été », « Cherchez la femme », « Buvez », « Consultez », « Découvrez la cuisine légère », « Partez à l’aventure », etc. L’œuvre de Closky se déployait sur la cimaise comme une frise anthologique révélant l’autorité terrifiante des slogans d’un monde qui vise à tout gérer de nos vies. Coutumier de ce genre de prestation, l’artiste n’a de cesse depuis une dizaine d’années d’imaginer toutes sortes d’entrées et de lectures inédites de notre univers chiffré, lettré et imagé. Pense-t-il au livre de poche : le voilà qui conçoit une œuvre qui en rassemble tous les numéros 1 sur les trois étagères d’une petite bibliothèque murale en kit, prenant le soin de les classer pour qu’au dos du livre, le chiffre 1 suive une ligne descendante ! Aspire-t-il à traiter le genre du portrait : le voilà qui imagine un logiciel alignant en file indienne tous les jours de votre vie sur un papier au format identique quel que soit l’âge du sujet « représenté » ! Participe-
t-il en l’an 2000 à la grande fête de La Méridienne verte : le voilà qui réalise toute une série de collages sur le thème « Pique-Nique à Sully-sur-Loire », empruntant ses personnages à la publicité et les installant après les avoir détourés sur un tapis de quelques traits de stylo à bille vert !
À la fois proliférant, systématique et laborieux, l’art de Claude Closky en appelle à toutes les techniques et à tous les supports de la communication contemporaine. Du dessin au livre d’artiste, du collage à la photographie, de la vidéo au signal audio, de l’affiche au papier peint, d’internet au diaporama, de l’intervention dans la presse au briquet jetable, tout lui est bon dès lors qu’il peut y opérer détournements et trafics de sens. Rien ne l’intéresse plus que ce qui touche au concept de communication, entendu au sens le plus large du mot : édition, documentation, information, transmission, message, iconographie, etc. Énumération, classification, accumulation, ellipse sont les modes récurrents de son travail dans cette mesure où ils sont l’expression d’un vide. Sinon d’un vide, du moins d’une forme de vanité contemporaine, qu’illustrent tant notre quotidien, où nous sommes réduits à répéter les mêmes gestes, que notre environnement, débordés que nous sommes par les objets et contraints à les stocker, les ranger et les classer. Claude Closky ne cherche rien d’autre finalement qu’à interroger « la façon dont on perçoit le monde autour de soi » et l’image que les médias – mais aussi l’environnement extérieur – nous renvoient de nous-mêmes, de nos désirs et de nos fantasmes. La richesse et la diversité de l’œuvre qu’il constitue – dans une manière qui peut être comparée au travail d’affiches lacérées anonymes de Jacques Villeglé – s’offrent à voir au moins sous trois angles différents. Sur le mode sociologique, tout d’abord, car l’œuvre compose comme un livre d’heures critique des nombres, des mots et des images de notre époque. Sur le mode « oulipien » ensuite, car elle procède d’une mise en pièces de notre société et d’une sorte de « vie mode d’emploi » à la Perec. Sur le mode esthétique, enfin, car elle fait l’éloge du trivial, de l’insignifiant, voire de « la pacotille » (Frédéric Paul).
Que Closky se soit vu décerner en 1999 le Grand Prix national de peinture par le ministère de la
Culture peut paraître paradoxal. Que sa « petite entreprise » – comme il l’appelait en 1995 – ait pris de l’envergure et intégré les fonctions d’une agence de communication (cf. son site : www.closky.online.fr) n’empêche toutefois pas qu’elle conserve un caractère artisanal. Qu’il se confronte aux technologies les plus sophistiquées, jouant aujourd’hui du numérique et demain d’on ne sait quelle nouvelle immatérialité, n’exclut pas sa passion pour l’écriture, le dessin et le livre. La quarantaine toute fraîche, Claude Closky est un artiste qui a les pieds dans le réel et qui vise tout simplement à construire des affirmations : « J’aime jouer avec les messages, sans prendre parti, tout aplatir. Il n’y a pas de début, pas de fin, pas de profondeur. » Voilà du moins qui a le mérite d’être net et précis.
« Claude Closky », BIGNAN (56), domaine de Kerguéhennec, centre d’art contemporain – centre culturel de rencontre, tél. 02 97 60 44 44, 6 avril-15 juin.
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Claude Closky, des nombres, des mots, des images
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°548 du 1 juin 2003, avec le titre suivant : Claude Closky, des nombres, des mots, des images