Changement d’ère pour les musées ?

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 19 novembre 2007 - 841 mots

Le débat sur l’inaliénabilité des œuvres des collections publiques attise l’inquiétude dans un climat déjà tendu.

Un an après l’émotion suscitée par la vente de la marque « Louvre » à l’émirat d’Abou Dhabi (Émirats arabes unis), le monde des musées est à nouveau dans la tourmente. Le 27 septembre, le député Jean-François Mancel (UMP) – visiblement inspiré par le rapport Jean-Pierre Jouyet-Maurice Lévy sur « l’économie de l’immatériel » (lire le JdA no 249 du 15 décembre 2006, p. 3) – a introduit à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à « commercialiser une partie des œuvres des collections publiques ». Par ailleurs, reprenant les attendus de la lettre de mission que lui a adressée le président de la République, la ministre de la Culture a décidé de confier une mission sur l’inaliénabilité à Jacques Rigaud. Ce dernier a manifestement été choisi par le cabinet de Christine Albanel pour ses multiples casquettes, à la fois dans le secteur public et privé. Membre du Conseil d’État, ancien directeur de cabinet de Jacques Duhamel Rue de Valois, Jacques Rigaud a aussi piloté la création du Musée d’Orsay, avant de devenir P.-D. G. de la station de radio RTL puis de promouvoir le mécénat d’entreprise au sein de l’Admical. Il a également assumé la présidence du FRAC (Fonds régional d’art contemporain) Aquitaine. La mission devra s’attaquer à un tabou pour les professionnels des musées, mais aussi aux nombreux fantasmes véhiculés sur les prétendues réserves inépuisables des institutions culturelles.

« Libres d’utilisation »
Sans cette règle de l’inaliénabilité, de nombreux chefs-d’œuvre auraient été vendus avant que l’histoire de l’art ne réévalue leur importance. Les premiers visés par la remise en cause de ce principe ont été les Fonds régionaux d’art contemporain, cibles régulières de quelques élus rétifs aux créations d’aujourd’hui. Le 30 octobre, devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Christine Albanel a précisé son point de vue : « Le FNAC [Fonds national d’art contemporain] et les FRAC n’ont pas vocation à être des musées et il faut se demander si l’on considère que tout ce que la puissance publique a acheté doit demeurer en sa propriété ou si l’on peut aller vers une gestion plus dynamique des fonds. » L’idée s’est aussi propagée aux collections de musées. Le rapport Jouyet-Lévy préconisait déjà de classer leurs collections en deux catégories : les trésors nationaux et les œuvres dites « libres d’utilisation », c’est-à-dire cessibles. Si la loi musée de 2002 a mis en exergue, à juste titre, le principe fondateur de l’inaliénabilité, elle a également introduit une brèche dans le dispositif de protection. L’article 11 rappelle qu’en tant que biens du domaine public de l’État les collections de musées peuvent, à l’égal d’un immeuble, être déclassées et donc devenir aliénables. Exception faite des dons et legs ainsi que des acquisitions réalisées avec le concours de l’État. Le dispositif n’a certes encore jamais été utilisé, mais rien ne garantit d’un changement d’état d’esprit qui viendrait modifier la donne. D’autant plus que, comme à son habitude, la direction des Musées de France (DMF) reste muette sur le sujet.
Les musées français se préparent-ils donc à entrer dans une nouvelle ère ? Face à une raréfaction des subventions publiques et dans le contexte d’une course à l’événementiel, leurs collections pourraient devenir de simples actifs à faire fructifier. Une attitude mercantile déjà dénoncée dans le cadre des prêts d’œuvres dont le monnayage se généralise, de façon plus ou moins détournée. Chez les conservateurs, l’inquiétude est de mise. Beaucoup redoutent de ne pas être associés au débat et de devoir simplement prendre acte des décisions. En coulisse, les professionnels reconnaissent qu’une poignée d’entre eux tirent aujourd’hui les ficelles de la politique des musées de France. Le Musée du Louvre est ainsi considéré comme étant omnipotent au ministère de la Culture. Sa tentative de délogement – avant celle annoncée de l’École du Louvre ? – du Centre de recherche et de restauration des Musées de France (C2RMF), sis actuellement au pavillon de Flore, a quasiment abouti, ce dans l’indifférence générale. Ce laboratoire de pointe, envié par les musées étrangers, serait délocalisé en banlieue parisienne avec les risques que cela entraîne pour le transport des œuvres. Mais l’heure n’est, semble-t-il, plus à la prise en compte de ces risques qui jadis empêchaient la tenue de certaines expositions scientifiques. Le grand mouvement de modernisation des réserves des musées de France, préconisé par un rapport sénatorial en 2003, n’a d’ailleurs jamais été lancé.
Depuis qu’il a octroyé davantage d’autonomie à quelques-uns de ses musées, devenus établissements publics, le ministère de la Culture semble parfois voir la situation lui échapper. Interpellée par le député Nicolas Perruchot (NC) sur une éventuelle réforme de la gouvernance des musées, la ministre a annoncé que tout serait remis en question dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). « Il existe plusieurs pistes, mais rien n’est tranché [...]. Faut-il rapprocher la Réunion des musées nationaux et le Centre des monuments nationaux ? Il y aura certainement des changements importants cette année en ce qui concerne la politique des établissements publics. » Sans en dire plus, Christine Albanel annonce une réforme administrative du ministère de la Culture. Profitera-t-elle enfin aux musées ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°269 du 16 novembre 2007, avec le titre suivant : Changement d’ère pour les musées ?

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