Il a l’air un poil austère, chemise blanche impeccablement repassée, lunettes sévères et français taillé à la serpe. Raideur teutonne rapidement évacuée.
Il a l’air un poil austère, chemise blanche impeccablement repassée, lunettes sévères et français taillé à la serpe. Raideur teutonne rapidement évacuée. Carsten Höller n’aime rien de moins que pirouetter, mi-tatillon, mi-voltigeur. Ne jamais perdre de vue que cet homme-là a déjà enduit les montants d’une balançoire de champignons vénéneux, déposé des bonbons à un hochet de câbles électriques, et rudoyé sans cesse le visiteur d’expositions à coups d’effets physiologiques décapants. Une constante : l’évacuation de tout principe de certitude. Résultat: sables mouvants pour qui s’entretient avec lui, chaque question venant s’écraser sur une indécision consciencieuse, suivie d’un poli retour à l’envoyeur. Mi-figue, mi-raison.
C’est que les méchancetés hallucinogènes et autres « machines à confusion » de Carsten Höller ont toutes fermenté dans sa première vie de scientifique. Brillant et pressé, le jeune homme fait d’abord dans les sciences agronomiques. Phytopathologie puis entomologie, « comme Robbe-Grillet et Buñuel », précise-t-il. Il enchaîne deux doctorats, et s’enferme « en autiste » dans son labo à Kiehl, petite ville cafardeuse du nord de l’Allemagne, ravagée par la guerre. « Tellement affreuse que j’y travaillais du matin au soir », assure Höller.
En pleine crise de foi quant à la façon dont les sciences produisent leur vérité, il quitte bientôt paillasses et structures de communication entre les insectes. Rideau sur la description du monde. Ou en tout cas sur celle-là. C’est pourtant bien en scientifique défroqué qu’il se construit artiste : goût de l’observation, intérêt gourmand pour la perversion du règne animal et méthodique hygiène du doute. Le succès vient vite.
Double cœur
L’encore jeune artiste se fait une place singulière dans la génération des « relationnels ». Il est de ceux qui examinent l’objet-exposition et lui font subir une batterie d’expériences, spectateur compris. En témoigne la façon dont il duplique symétriquement sa monographie au MAC de Marseille en 2004: deux travées, deux fois le même enchaînement d’installations. L’exposition se plie pour deux expériences distinctes, la première conditionnant la seconde.
Même chose aujourd’hui au Magasin à Grenoble [lire aussi p. 95], où l’artiste allemand place mur droit contre cimaise courbe une collection d’art congolais et japonais. Au spectateur d’emprunter le corridor qui négocie leurs interrelations, un œil sur le Congo, l’autre sur le Japon. « Il y a un potentiel incroyable dans cette idée-là. La structure du cerveau, la symétrie du corps, tout commence par le double.
Je suis convaincu qu’il ne peut pas exister qu’un seul « soi ». Même lorsqu’on réfléchit, il faut bien que quelqu’un d’autre nous écoute! » Carsten Höller magicien tordu du schizo-frame ? « J’ai toujours eu deux cœurs qui battent dans ma poitrine », admet-il. Démonstration pince-sans-rire: « Ça a dû commencer par mon enfance à Bruxelles. À gauche des Wallons, à droite des Flamands. Un parent protestant, l’autre catholique. Deux enfants et deux voitures. Vous voyez ? » Bonus bicéphale : la Suède, où il vit la moitié du temps, et le Ghana, où il s’est construit une maison-tortue, toute de coque de bois et de béton, hissée sur quatre drôles de pattes. À Grenoble, pour enfoncer le clou du déformatage, un groupe de musiciens japonais joue de la musique congolaise. « Une idée perverse, se régale-t-il. Il ne s’agit pas de mettre des choses ensemble, mais d’essayer de le faire. » Moins « banalité de la dualité » que goût de l’addition.
1961 Naissance à Bruxelles.
1985-1992 Recherches en phytopathologie sur la communication olfactive des insectes, à Kiev.
1994 Crée les Lunettes à vision inversée.
1999 Sa voiture Laboratoire du doute parcourt la ville d’Anvers.
2006 Toboggans géants à la Tate Modern (Londres).
2011 Partage son temps entre la Suède et le Ghana.
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Carsten Höller - Génération relationnelle
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°633 du 1 mars 2011, avec le titre suivant : Carsten Höller - Génération relationnelle