Le 23 mars, la Fondation Europalia décidait de \"suspendre provisoirement le travail de préparation du Festival Europalia Turquie\", programmé pour septembre 1996, \"jusqu’à un éclaircissement suffisant de la situation\".
BRUXELLES (de notre correspondant) - S’agissait-il de lier cette manifestation de grand prestige au respect des droits de l’homme, d’éviter la présence officielle dans la capitale européenne d’un pays plongé dans la guerre civile et dans une répression énergique du peuple kurde, de cautionner un régime autoritaire ? Pas du tout. Le communiqué de presse précise, non sans cynisme, " […] qu’en raison de développements étrangers aux aspects culturels proprement dits, le financement en Belgique des manifestations du Festival Europalia Turquie 1996 est soumis à des incertitudes majeures".
Ainsi, tout en signalant qu’un tel festival se devait de mettre en scène la Turquie dans la diversité de ses cultures, le conseil d’administration a préféré renoncer à un projet politiquement instable et économiquement dangereux, puisque la Communauté flamande avait annoncé de longue date sa décision de ne pas se "compromettre" dans le financement d’une telle opération. Les sponsors ont déserté la table, Europalia a remisé son projet.
Sans doute le temps d’une remise en cause du principe même d’Europalia est-il venu. Le festival est une industrie culturelle majeure. L’opération brasse des budgets colossaux qui, ces dernières années, ont tourné entre 700 millions et 1 milliard de francs belges.
En Belgique, une grande part des budgets culturels sont absorbés par Europalia, qui compte dans son conseil d’administration le Parlement européen, le Conseil de l’Europe, la Commission européenne, l’État belge, les Communautés et les Régions, les principales banques, la Sabena, des hommes politiques et des personnalités du monde économique de premier plan. Sans oublier quelques personnalités culturelles médiatiques comme Gérard Mortier, l’ancien directeur du Théâtre royal de la Monnaie, aujourd’hui en poste à Salzbourg.
Grande entreprise culturelle, Europalia en est venue à perdre sa dimension européenne – Japon, Mexique, tandis que le tour d’Europe s’est limité aux pays rentables en termes de marketing – pour rester attachée au phénomène national alors même que l’Europe prenait une coloration régionale. Sur le terrain, la précipitation a souvent causé de gros problèmes : catalogues indigestes truffés de fautes, mal traduits, expositions surnuméraires et d’un intérêt scientifique parfois ténu, ainsi qu’une propension à l’emphase ont parfois mis Europalia au bord du précipice financier.
Le monde politique et le pouvoir économique ont sauvé la mise à un festival qui, critiqué quoique adulé du grand public, n’a jamais remis en question sa formule actuelle. Jusqu’au faux pas d’Europalia Turquie. Faux pas, ou occasion d’évoluer vers une nouvelle formule qui serait enfin le reflet d’une conscience européenne ?
Europalia a été créée dans le prolongement du Festival mondial organisé au Palais des beaux-arts dans le cadre de l’Exposition universelle de 1958. Ce festival devait ranimer tous les deux ans le souvenir des Opalia antiques en accueillant à Bruxelles un pays. L’Italie avait inauguré la formule en 1969, suivie, en 1971 par les Pays-Bas, en 1973 par la Grande-Bretagne, en 1975 par la France, en 1977 par la République fédérale allemande, en 1980 par la Belgique, en 1982 par la Grèce, puis par l’Espagne en 1985, l’Autriche en 1987, le Japon en 1989, le Portugal en 1991, et le Mexique en 1993. En 1988, Europalia est devenue, par arrêté royal, une Fondation internationale.
Europalia organise en près de trois mois un nombre important d’événements mettant en relief la culture d’un pays dans sa diversité et ses richesses. Pour ne citer que les deux derniers festivals, le Portugal a présenté 20 expositions, 159 concerts, 21 représentations théâtrales, 27 manifestations littéraires et colloques, 276 séances de cinéma pour un public de plus d’un million deux cent mille visiteurs. Le Mexique, lui, a présenté 14 expositions, 76 concerts, 8 ballets, 22 représentations théâtrales, 17 manifestations littéraires et colloques, 187 séances de cinéma pour un public de même importance.
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Bruxelles - Europalia privée d’Orient
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : Bruxelles - Europalia privée d’Orient