Peu de temps avant l’ouverture du nouveau « temple » Cartier sur les Champs-Élysées, dont il a réalisé le concept, Bruno Moinard se prêtait encore en toute simplicité à la traditionnelle visite des lieux, guidant le visiteur dans sa déambulation à travers une boutique inspirée de l’hôtel particulier cossu. Exit donc l’idée du concept store au luxe glacé créé par Jean-Michel Wilmotte, pour la même maison, il y a quelques années…
Du vestibule au boudoir, du grand salon à la salle à manger, en passant par la bibliothèque, les évocations de pièces s’enchaînent. Plaquées de chêne clair ou de pierre de Saint-Maximin, elles sont meublées d’élégantes vitrines aux piètements de bronze effilés, de sièges gainés de cuir beige aux lignes classiques. Les luxueux matériaux y jouent la carte de la citation discrète des codes Cartier : marbre Portor sombre sur les façades, guillochage d’une grille de bronze reprenant le motif d’un bracelet, gainage de maroquin de cuir rouge inspiré des écrins, incrustation de moules de pièces de joaillerie dans les murs… D’aucuns verraient même l’emprunte de la célèbre panthère sur les murs peints à l’essuyée…
Après plusieurs années de collaboration avec la marque de haute joaillerie, notamment dans le cadre de la fondation éponyme, pour laquelle il a conçu de nombreuses scénographies d’expositions (« By night », « Être nature », « Amours »), Bruno Moinard signe ce rajeunissement de l’identité visuelle de la marque, déclinable aux quatre coins du monde. Sa touche y est perceptible, mais par défaut… Adepte de l’élégance discrète, de la sobriété luxueuse, l’architecte d’intérieur n’a pas cédé à la tentation décorative ou à la geste stylistique. Ses interventions se veulent subtiles
– certains lui reprochent une certaine sécheresse –, et respectueuses de leur sujet. « J’envisage toujours mon travail dans un étroit rapport d’échange avec mon client, précise l’intéressé. Mon attitude consiste à écouter puis à réaliser un certain nombre de croquis à partir de l’idée développée. » Amoureux du dessin à main levée et revêche au dessin informatique, Bruno Moinard se souvient que c’est cette qualité de dessinateur qui lui permit, après sa sortie de l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art puis une première expérience à Roanne pour les restaurateurs Troisgros, d’intégrer l’équipe d’Écart, l’agence d’Andrée Putman et de Jean-François Bodin. « Une expérience formidable. Andrée et moi entretenions des relations presque télépathiques, parfois en échangeant simplement des dessins. L’agence avait en charge des projets totalement différents… Je me souviens du travail inoubliable que nous avons réalisé sur l’avion mythique qu’était le Concorde. Nous avons réussi à y concevoir un habillage extrêmement léger, une double peau d’une grande technicité, qui redonnait une nouvelle silhouette à l’avion en gardant l’existant. C’était une intervention presque cosmétique… »
Après quinze années passées dans l’ombre de la grande dame du design, Bruno Moinard s’est enfin décidé à créer sa propre agence, en 1995, presque avec timidité. Bien lui en prit ! Moins de dix années plus tard, sollicité de toute part, entouré d’une dizaine de collaborateurs, il n’en finit pas de livrer des projets. Pour Cartier bien sûr, mais aussi François Pinault, pour qui il achève le réaménagement des chais de Château Latour à Pauillac, ou Renault pour qui il a conçu une péniche VIP. Avec toujours une même capacité à se fondre dans les lieux, aussi divers soient-ils, de la station de métro Montparnasse (conception scénographique) au nouveau « tenniseum » de Roland Garros (création d’un musée du tennis), en passant par l’aménagement d’appartements de particuliers, dont « un petit 60 m2 sous combles conçu autour des quelques meubles estampillés Bugatti de sa propriétaire ».
Et d’avouer aimer cette diversité, ce renouvellement des programmes, « surtout pour des clients prestigieux, par goût du sur mesure ».
Prochainement, entreront enfin dans leur phase de réalisation les travaux du Musée des arts décoratifs à Paris. « J’ai gagné ce concours en 2001 en association avec Oscar Tusquets, un architecte catalan, qui a beaucoup travaillé avec Salvador Dali, et qui a un côté très baroque ». Un mariage des contraires en somme, qui portera sur le réaménagement des salles du XVIIe siècle aux années 1930, une décennie qu’il affectionne particulièrement, avec son florilège de créateurs Art déco. « Il s’agit de rendre sa simplicité à cet espace, sans faire de décoration, et de rétablir une cohérence entre toutes les circulations, qui formeront un ruban tournant autour du musée, ponctué de period rooms, dans lesquelles nous essaierons de faire entrer le public au maximum. »
Autre actualité pour Bruno Moinard, l’édition au Japon de quelques-uns de ses meubles. « J’aimerais beaucoup éditer en France, concède-t-il, mais à dire vrai, je ne me sens pas une âme de designer, cela ne correspond pas à mon tempérament… Ces meubles ont été conçus spécifiquement pour un lieu, un appartement japonais, avec ses contraintes en termes d’espace. Ils ne sont pas techniquement révolutionnaires et reprennent mon langage géométrique de base. » Modestie excessive ou crainte perpétuelle d’être hors sujet et de faire – mot honni ! – de la « décoration » ?
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Bruno Moinard, adepte de l’élégance discrète
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°553 du 1 décembre 2003, avec le titre suivant : Bruno Moinard, adepte de l’élégance discrète