Charlotte Perriand, décédée le 27 octobre, a eu son ultime exposition dans un musée l’été dernier. Brigitte Hedel-Samson, conservateur du Musée Fernand Léger de Biot, qui a été commissaire de « Charlotte Perriand, Fernand Léger : une connivence », nous livre son témoignage.
C’est à Londres que j’ai rencontré pour la première fois Charlotte Perriand, en 1996. L’idée de faire une exposition au Musée national Fernand Léger ne lui déplaisait pas, mais elle voulait finir son livre : Une vie de création. En mai 98, nous avons commencé à travailler, et lors d’un rendez-vous fixé à Méribel dans sa maison, elle m’a dit : “Je suis très fatiguée mais, pour Léger, nous allons la faire cette exposition”.
Un an de travail, de dialogue, de rencontres, de complicité pour contourner l’inertie des institutions, pour obtenir l’objet souhaité, pour revoir et revoir les listes d’œuvres, de photos choisies, de textes, de formats, de maquettes, de proportions, qui variaient bien sûr un peu, mais il y avait toujours une raison que Charlotte nous expliquait. La mise en place de l’installation décidée par Charlotte a été faite avec Jean-Yves Cousseau. Autour de cette table en forme, dans son espace de travail à Paris, les différents intervenants chargés de l’exposition venaient, et Charlotte, assise sur la chaise conçue en 1955, les recevait avec toujours le même calme, le même sourire, précisant ce qu’elle voulait très clairement, avec une grande fermeté. Notre rôle a été de permettre la réalisation d’une création, en la mettant au propre en partant des nombreux croquis au feutre, de couleurs vives, des textes écrits avec cette belle écriture ronde, des listes préparées par Charlotte qui nous servaient de plan de travail.
Travailler avec Charlotte était un bonheur. J’ai beaucoup appris, et chaque rencontre était pour moi un moment très intense. De 11 heures à 19 heures, avec une halte pour le déjeuner vers 14 heures, servi dans un espace suspendu, à la hauteur des toits de Paris, où les objets des différents voyages se côtoient. Chaque repas était un moment d’échange, sur les sujets les plus variés, où elle était toujours attentive à la situation de l’homme. Un de nos grands sujets fut souvent la montagne. Cette exposition était une création en soi. Ce n’était pas une présentation mais une mise en espace spécifique. Selon le volume de l’espace choisi, qui a ses propres contraintes, de hauteur et de lumière, Charlotte Perriand travaillait selon une grille de mesures ; le Modulor défini par Le Corbusier. Cette échelle de mesures est appliquée à chaque élément : panneau, pupitre, socle, voilure, hauteur des œuvres, taille des cartels, car “tout est une question de proportion”, comme elle nous le disait.
Cette exposition était une promenade avec un cheminement. L’œil allait d’une peinture de Léger à une photo d’une installation déjà réalisée, puis s’arrêtait sur une phrase de transition, ou une date. Depuis 1940, les installations de Charlotte Perriand sont faites sur un sol couvert de galets gris de Dieppe retenus par une corde en chanvre. Cet élément est une signature, c’est aussi une mise à distance fonctionnelle pour protéger les objets. Le public le plus attentif à la création de Charlotte Perriand est un public jeune, d’étudiants, de jeunes artistes qui trouvent dans son travail et dans sa personnalité un ressourcement, une éthique, un fil conducteur pour leur travail et leur vie. Lucide du danger qui pèse sur la nature, comme Charlotte Perriand le dit dans son livre Une vie de création (édité par Odile Jacob en 1998), elle voulait faire prendre conscience qu’un état des lieux de l’arc alpin est à faire, rapidement, par des architectes, des géologues, des botanistes, des artistes, des personnes sensibles au rôle de la nature. Ce travail est à poursuivre d’une manière urgente avant qu’il ne soit trop tard.
Le souhait de Charlotte Perriand était de faire une exposition à Rio de Janeiro, ville qu’elle aimait, où elle avait réalisé l’intérieur de l’appartement de fonction de son mari, alors directeur d’Air France. Ce projet est en cours. Il sera présenté sans doute au Paçio Imperial de Rio, avec l’aide des amis de Charlotte et d’artistes séduits par sa création. C’est en poursuivant cette étude sur l’arc alpin et la préparation de l’exposition pour Rio que nous pourrons le mieux lui rendre hommage.
Depuis le mois de janvier, nous travaillons sur un objet en étroite relation avec l’exposition du Musée national Fernand Léger. Charlotte Perriand voulait réaliser un objet, petit, ludique, qui pouvait être donné ou offert comme un cadeau. Cet objet, dont elle avait approuvé la maquette, est un livret accompagné d’un CD, faisant vivre à travers la voix de Fernand Léger et de Charlotte Perriand cette connivence qui les unissait. À cause des lenteurs administratives des services publics, de France Culture et de l’I.N.A, qui conservent les archives des différentes émissions réalisées avec ces deux artistes, cet objet n’a pas pu encore voir le jour. Nous souhaitons vivement sa présentation pour l’hommage qui sera rendu à Charlotte Perriand, organisé par Pernette Perriand Barsac, sa fille, et tous ses amis à Paris, vers la mi-décembre 1999.
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Brigitte Hedel-Samson
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°93 du 19 novembre 1999, avec le titre suivant : Brigitte Hedel-Samson