Soient cinq sculptures brillantes qui accrochent la lumière sous la verrière de la galerie Yvon Lambert. Toutes les cinq rejouent des statuettes votives africaines sur une partition occidentale. Lieu d’exposition, tirage en bronze nickelé, scénographie et socles, tous les codes y sont.
Comprendre la mécanique du goût et du marché
À quelques jours de son exposition, Bertrand Lavier vient tout juste de réceptionner ses œuvres. Œil pétillant, sourire gamin, il passe de l’une à l’autre, s’étonne de leur magie, excité comme un enfant un matin de Noël. « Je me suis intéressé à la manière dont la constellation d’art primitif trouvait sa place dans le commerce, explique-t-il. J’ai acheté quelques belles pièces et aujourd’hui, les originaux en bois ont statut de plâtre pour mes sculptures ! »
L’opération en forme de transfert turbulent est de celle que goûte volontiers l’artiste. Brouillage des catégories, examen des mécanismes du goût et de la représentation, exploration critique des codes artistiques comptent parmi les procédures favorites de Lavier. Celles qui lui feront recouvrir un piano ou un radiateur d’onctueux aplats de peinture, pervertir la combinaison socle/sculpture en posant un réfrigérateur sur un coffre-fort ou socler une tronçonneuse à la manière d’une pièce d’art primitif. Un goût agile de la « greffe » et de l’hybridation qu’il pourrait bien avoir emprunté à ses premières amours.
À la vue de l’art contemporain, l’horticulteur choisit la peinture
C’est en étudiant l’horticulture que Lavier se décide à « faire de l’art contemporain ». On est à la fin des années 1960. La tenace petite histoire veut que ce soit en passant chaque jour devant la vitrine de la galerie Daniel Templon, rue Bonaparte à Paris, que le jeune paysagiste se pique au jeu. « Art & Language, César, Wolf Vostell, je ne savais pas ce que je voyais. Je venais de la nuit, d’un trou en Bourgogne », raconte Bertrand Lavier.
La famille Lavier est bourgeoise et cultivée, mais « à la française », occupée d’abord par la littérature. « C’est en regardant un tableau de Turner qu’on a envie d’être peintre, pas en regardant un coucher de soleil. Moi c’est en regardant de l’art contemporain que j’ai eu envie d’en faire », continue l’artiste.
Suit une « période d’incubation » durant laquelle l’artiste travaille encore en horticulteur. Première œuvre : une combinaison de vigne vierge peinte. « Des plantes et de la peinture, s’amuse-t-il. C’est totalement manifeste ! ». Quant aux incubateurs, Lavier compte d’emblée sur Rauschenberg, Journiac et Duchamp bien sûr – qui lui fournit avec le ready-made une transversale essentielle – mais auquel il préfère désormais le loustic Picabia, dandy éclatant, amateur de bolides. La belle automobile justement, élément central du personnage désinvolte, lucide et doué, véhiculée depuis qu’il « est à la mode pour les artistes de communiquer ».
Lavier roule donc en Ferrari – grise – fume le cigare, aime le golf, la musique – follement – se fâche souvent et bien quant aux mécanismes qui régissent l’exercice de l’art. Cheminer en dehors des clous du « clergé de l’art » lui aura finalement coûté moins longtemps qu’attendu. « Les choses n’ont pas si mal tourné », le clergé en question lui réservant une place de choix. Centrale mais d’une belle indépendance. « Pour rester frais, il faut s’intéresser à plein de choses, sourit-il. Je suis très distrait, ni assidu, ni fidèle au poste ».
1949
Naissance à Châtillon-sur-Seine.
Années 1970
Paysagiste de formation, Lavier travaille sur les rapports de l’art et de la réalité quotidienne.
1976
Biennale de Venise.
2005
Monographie au musée d’Art moderne de Saint-Étienne.
2008
Vit et travaille à Paris et à Aignay-le-Duc.
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Bertrand Lavier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°602 du 1 mai 2008, avec le titre suivant : Bertrand Lavier