Art Basel repense sa stratégie en direction des jeunes galeries pour garder la main sur ce terrain très concurrentiel. Avec l’arrivée d’« Art Premiere », le secteur « Statements » rejoint le hall d’ « Art Unlimited ».
Gratifiée de tous les superlatifs, Art Basel pourrait s’endormir sur ses lauriers. En affinant constamment sa stratégie, elle conserve une supériorité qualitative sur les autres foires d’art contemporain. Le brainstorming auquel elle se soumet régulièrement se traduit chaque année par une nouveauté – ou l’illusion d’une nouveauté. Ce fut le cas avec le lancement des « Art Conversations », et la création en 2005 d’un espace pour les livres d’artistes, ou, pour cette édition, la proposition d’une discussion sur les musées au Moyen-Orient. Cette remise en question se révèle aussi dictée par la concurrence au sein même de Bâle. La cartographie de la ville connaît en effet une évolution saisissante avec un foisonnement de foires off qui donnent à cette bourgade calviniste un parfum de Floride (lire p. VI). Dans une arène où les concepts et les prés carrés se confondent, Art Basel doit veiller au grain !
L’enjeu porte cette année sur les jeunes galeries. Une fois passées par « Art Statements », qui privilégie davantage un projet d’artiste qu’une galerie, les jeunes pousses doivent ronger leur frein du côté des foires alternatives. Ou se résoudre à l’éclipse pour ne pas brouiller leur image dans n’importe quel événement parallèle. La galerie Chez Valentin (Paris), qui a bénéficié d’un éclairage en 2003 avec un « Statement » de Nicolas Moulin, a dû ainsi se passer de toute visibilité bâloise jusqu’à l’obtention cette année d’un nouveau « Statement » avec Pierre Ardouvin. Seuls 20 % des exposants de ce secteur décrochent comme Praz-Delavallade (Paris) un sésame pour la section générale.
Ilôt de résistance
Encouragées à se lancer à corps perdu dans des productions aussi ambitieuses que coûteuses, les jeunes galeries de « Statements » servent toutefois de faire-valoir aux marchands les plus puissants. Ces derniers insufflent une dynamique au marché, mais ont besoin de la fraîcheur d’enseignes plus prospectives. Pour ne pas s’aliéner les forces vives, et surtout éviter le conformisme rampant des allées principales, les organisateurs ont initié cette année la nouvelle plate-forme « Art Premiere » (lire p. V). Profitant de la lucarne, les trois quarts des candidats aux « Statements » ont aussi postulé à ce secteur, réminiscence de feues « Young Galleries ». « Premiere » introduit cette année douze structures aux profils surprenants comme Reena Spauldings (New York), à la fois galerie et collectif d’artistes, ou Nature Morte (New Delhi), ouverte en 1997 par un artiste américain pour la promotion des créateurs indiens. La nouvelle recrue gb agency (Paris) propose de son côté un îlot de résistance, où les notions de « décantage » et de dialogue intergénérationnel échappent au zapping frénétique du marché.
Le lancement de « Première » modifie l’architecture de « Statements », déplacée dans le hall d’« Art Unlimited ». « “Art Unlimited” est une section pour promouvoir les jeunes artistes, tout comme “Statements”, indique Samuel Keller, directeur de la foire. Dans le nouvel espace, des stands peuvent être adaptés à chaque projet. Les galeries en profiteront d’autant plus qu’elles reçoivent les collectionneurs un jour avant les autres. » Un tel regroupement facilite la tâche pour une galerie comme Art: Concept (Paris), laquelle officie à la fois sur « Statements », avec Vidya Gastaldon, et « Art Unlimited », avec Gedi Sibony.
Si le sang neuf attise convoitises et réflexions, c’est du côté des modernes que l’on relevait l’an dernier les œuvres époustouflantes. Malgré le retrait volontaire de la galerie Malingue (Paris), le panel se voit renforcé par l’arrivée de Timothy Taylor (Londres), Richard Feigen (New York), Anisabelle Berès et Hopkins-Custot (Paris). La présence de ces deux dernières en dit long sur l’évolution des goûts. Réputées pour leur compagnonnage avec les Nabis, celles-ci lorgnent de plus en plus vers le XXe siècle, voire l’art actuel. Anisabelle Berès orchestre son stand autour de Fernand Léger, des peintres puristes et d’Henri Laurens. Hopkins-Custot prévoient pour leur part un Picabia de 1925, de la série des « Ripolins », et deux tableaux inédits sur le marché de Joan Mitchell.
Perrotin exclus
Art Basel a toutefois quelques couacs à régler. Le premier étage contemporain de la foire, qui accueille cette année Jan Mot (Bruxelles) et Deitch Projects (New York), doit clarifier ses limites. Bien que ce pôle soit traditionnellement dévolu au premier marché, le second marché s’y insère au galop. « C’est un sujet dont nous discutons beaucoup, admet Samuel Keller. Nous ne voulons pas que les stands se transforment en catalogues de ventes publiques. Le comité de sélection sera plus strict sur ce point, mais on ne peut pas établir des règles qui rompent toute fantaisie. »
Le comité de sélection a ainsi recalé une enseigne new-yorkaise, dont l’accrochage, d’après les professionnels, reposait l’an dernier sur le stock de l’ancienne galerie Anthony d’Offay. Les organisateurs se sont aussi montrés tatillons sur la question des passe-droits avant le vernissage. Le comité a exclu Emmanuel Perrotin (Paris), lequel avait permis en 2005 au courtier Philippe Ségalot d’accéder en avant-première à la foire. Cette soudaine sévérité a toutefois épargné d’autres marchands pourtant habitués à consentir à ce genre de facilité… L’exemplum évitera-t-il d’ailleurs les infiltrations intempestives avant l’ouverture ? « Je ne dis pas qu’il n’y en aura aucune, mais il y en aura beaucoup moins. À Miami, moins de cinq personnes sont rentrées », observe Samuel Keller. Le souci d’une égalité de traitement entre les collectionneurs est justifié. Mais rappelons que ces derniers passent après les exposants, lesquels ont tout loisir de faire leurs emplettes durant le montage !
- Directeur : Samuel Keller - Nombre d’exposants : 297 - Tarifs des stands : « Art Statements » : 9 800 francs suisses (6 318 euros) ; secteur général : 440 francs suisses le mètre carré (283,6 euros) - Nombre de visiteurs en 2005 : 56 000 ART BASEL, 14-18 juin, Halls 1 et 2, Messe Basel, Bâle, tél. 41 58 200 20 20, www.artbasel.ch, tlj 11h-19h
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Abonnez-vous dès 1 €Le comité de la foire de Bâle (1) est-il vraiment impartial ? Est-il représentatif des différentes sensibilités artistiques quand ses membres sont pour moitié berlinois ? Ces questions taraudent les exclus qui pointent une sensibilité générale plus portée sur l’art conceptuel ou le minimalisme. « Je choisis les gens qui ont une expertise sur l’art moderne ou contemporain et de l’expérience, explique Samuel Keller, le directeur d’Art Basel. La galerie doit jouir d’une certaine réputation, sans être forcément la plus célèbre. Une galerie dotée d’une bonne déontologie, capable de faire la différence entre ce qui est bon pour elle et ce qui l’est pour les autres. » D’aucuns reprochent le faible renouvellement des membres du comité, certains y siégeant depuis cinq ans déjà. « Il n’y a pas de règles, certains restent trois ans. On aimerait qu’ils restent au moins cinq ans, car cela requiert beaucoup de travail », précise Samuel Keller. Le travail comprend dix-huit jours de réunion par an et une inspection quotidienne des stands le matin durant la foire. Les membres doivent alors veiller à ce que les stands soient conformes au programme énoncé et vérifier que l’accrochage soit, du début à la fin de la manifestation, à la hauteur du standing de Bâle. S’ils ne sont pas rémunérés pour cette tâche, les membres du comité le sont en revanche pour celle plus diffuse de « conseil ». Depuis l’éviction encore inexplicable de la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois (Paris), celle l’an dernier d’Anne de Villepoix (Paris), et la mise en attente d’autres bonnes enseignes, les professionnels français pestent souvent contre leur faible représentativité dans la section contemporaine. Ils représentent pourtant le quatrième contingent de la foire après les États-Unis, l’Allemagne et la Suisse. Ce positionnement paraît logique par rapport aux parts de marché que détient la France sur le plan international. « Une déformation professionnelle de notre métier est certainement une tendance accrue à croire à la théorie du complot ; les marchands français n’en sont pas exempts, ironise la galeriste Esther Schipper (Berlin) [lire p. 38]. Il suffit pourtant de comparer les catalogues des cinq dernières années pour se rendre compte que beaucoup de choses ont changé. On n’y voit pas seulement une ouverture vers des pays traditionnellement pas représentés, on remarque aussi un grand changement de génération, pour l’Allemagne, mais aussi pour la France. » Inversement, la présence de Florence Bonnefous, directrice d’Air de Paris (Paris), au sein du comité pour la sélection des « Statements », a souvent favorisé les galeries hexagonales. Cette année, la France a même décroché la timbale avec cinq participations (lire p. IV) ! « Je ne suis pas particulièrement franco-française, je ne revendique pas ce résultat comme une bataille frontale. C’est une raison technique de proximité, non d’amitié, précise Florence Bonnefous. Parfois, il n’est pas évident de comprendre les projets, et je recueille les informations tout de suite. Mais je vais arrêter l’an prochain après quatre ans. Je pense que ça ne serait pas bien de continuer, car j’apporte un filtre, une sélection subjective. » Si le tamis subjectif est admis pour les « Statements », certains refoulés estiment que celui-ci vaut aussi pour la programmation générale. Le galeriste Xavier Hufkens (Bruxelles) récuse fermement la théorie du « club d’amis ». « Il n’y a aucun problème de règlement de comptes au comité, défend Esther Schipper. À six, on se contrôle très bien les uns les autres. Il serait naïf de penser que six galeries différentes ont les mêmes intérêts dans les mêmes règlements de comptes ! » (1) Le comité se compose de Victor Gisler (Mai 36 Galerie, Zurich), Xavier Hufkens (Bruxelles), David Juda (Annely Juda Fine Art, Londres), Claes Nordenhake (Stockholm, Berlin), Esther Schipper (Berlin), Gianfranco Verna (Zurich). Ce dernier, qui quittera prochainement le comité, devrait être remplacé par Tim Neuger (Neugerriemschneider, Berlin).
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°239 du 9 juin 2006, avec le titre suivant : Avant-première