SAINT-PAUL / ÉTATS-UNIS
De nombreuses organisations se sont mobilisées pour soutenir l’universitaire et appeler à protéger la liberté d’expression.
Erika López Prater, professeure adjointe de l'université Hamline de Saint Paul (Minnesota) a été licenciée après avoir montré à sa classe des peintures médiévales représentant le prophète Mahomet.
Bien que cela ne soit pas mentionné dans le Coran, de nombreux musulmans estiment que montrer le visage de Mahomet est un signe d’idolâtrie, proscrit par l’islam. Mais il existe aussi une tradition de peinture de Mahomet, souvent en miniature, notamment en Iran, en Turquie et en Inde. On en trouve des exemples dans les collections de musées tels que le Louvre, le Metropolitan Museum of Art et l'Asian Art Museum de San Francisco. Ce sont deux de ces œuvres d'art, montrées à la classe qui ont coûté son poste au professeur.
L'enseignante a montré les images lors d'un cours en ligne en octobre 2022. Un avertissement de deux minutes avait été diffusé avant la projection des œuvres, afin de permettre aux étudiants de ne pas regarder ces images potentiellement offensantes s'ils estimaient qu'elles allaient à l'encontre de leur foi. Le but de l’enseignante était de rappeler la diversité des questions de représentations dans la culture islamique.
L'une des œuvres était une illustration de l'archange Gabriel délivrant la première révélation du Coran à Mahomet, tirée d’un manuscrit du XIVe siècle, le Compendium des Chroniques, une histoire universelle du persan Rashīd al-Dīn. L’image est « un chef-d'œuvre de la peinture de manuscrits persans », selon Christiane Gruber, professeur d'art islamique à l'université du Michigan. Elle est conservée à l'université d'Édimbourg. L'autre était une œuvre du XVIe siècle de Mustafa ibn Vali montrant le prophète avec un voile et une auréole.
Une étudiante, présidente de l'Association des étudiants musulmans de l'université, s'en est plaint au professeur par la suite. L’étudiante a porté l'affaire devant les administrateurs de l'université, arguant que le cours avait été irrespectueux pour ses condisciples musulmans. Les responsables de l’université ont alors indiqué à Erika López Prater que ses services n'étaient plus nécessaires au prochain semestre. Dans des courriels adressés aux étudiants et au corps enseignant, ils ont déclaré que l'incident était clairement islamophobe. La présidente de Hamline a cosigné un courriel dans lequel elle écrivait que le respect des étudiants musulmans « aurait dû primer sur la liberté académique ».
Les partisans de la liberté d'expression ont répliqué par une campagne de soutien au professeur. Christiane Gruber a lancé une pétition sur Change.org en faveur de l'enseignante, signée par au moins 2 500 universitaires et étudiants demandant au conseil d'administration de l'université d'enquêter sur cette affaire.
Des groupes et publications de défense de la liberté d'expression se sont mobilisés ; l’association d’écrivains PEN America a qualifié cette action de « violation flagrante » de la liberté universitaire. La controverse a maintenant pris une ampleur nationale aux États-Unis.
Les débats sur la liberté universitaire sont particulièrement tendus dans les petites universités (colleges) comme Hamline, qui sont confrontés à une baisse des inscriptions et à des pressions financières croissantes. Pour attirer les étudiants, beaucoup de ces établissements ont diversifié leurs programmes et essayé d'être plus accueillants pour les étudiants qui ont été exclus de l'enseignement supérieur. La situation de Mme López Prater était également précaire. Elle fait partie de la catégorie des enseignants de l'enseignement supérieur, travaillant pour un faible salaire et bénéficiant de peu de protections sur le lieu de travail.
Christiane Gruber a expliqué que la présentation de l'art islamique et des représentations du prophète Mahomet est devenue plus courante dans les universités, en raison de la volonté d'élargir les programmes d'études au-delà du modèle occidental. Pour elle, les images ont été réalisées « par des artistes musulmans pour des mécènes musulmans, dans le respect et l'exaltation de Mahomet et du Coran ». Elle déplore également dans une lettre publique, que l’université d’Hamline ait « privilégié un point de vue musulman ultraconservateur sur le sujet, qui coïncide avec le cliché occidental séculaire selon lequel il est interdit aux musulmans de voir des images du prophète », ajoutant qu'étudier l'art islamique sans l'image du Compendium des Chroniques serait « comme ne pas enseigner le David de Michel-Ange ».
« Ces images font partie de la tradition artistique islamique, et il est très important pour nous de les apprécier et de les étudier », a déclaré Mark Berkson, directeur du département des religions de l'université Hamline, en soutien à sa collègue. Il rappelle que si certains élèves ne veulent pas les regarder, c'est leur droit, mais que « leur interdiction ne peut pas être imposée à tous les autres ».
L'Academic Freedom Alliance a également publié une lettre de soutien à Erika López Prater, demandant sa réintégration immédiate. « Si un professeur d'histoire de l'art ne peut pas montrer à des étudiants des œuvres d'art importantes de peur que des étudiants ou des membres de la communauté offensés ne le fassent renvoyer, alors il n'y a tout simplement pas d'engagement sérieux envers la liberté universitaire », écrit Keith Whittington, membre du comité académique de l'alliance et professeur de science politique à l'université de Princeton, dans la lettre.
Dans un autre courriel adressé à la communauté de Hamline le 31 décembre, le président de l'université a continué à défendre la décision de ne pas renouveler le contrat de Erika López Prater, au nom du respect des étudiants, ajoutant que l’enseignante adjointe enseignait pour la première fois à Hamline, avait reçu une lettre de nomination pour le semestre d'automne et enseigné le cours jusqu'à la fin du trimestre.
En réponse, la Fondation pour les droits individuels et l'expression (FIRE), qui défend les libertés civiles dans les campus universitaires, a déposé une plainte auprès de la Higher Learning Commission le 4 janvier, demandant que l’organisme d'agrément des établissements d'enseignement postsecondaire tienne l'université Hamline responsable de la violation des normes d'accréditation concernant la liberté académique.
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Aux États-Unis, une enseignante licenciée pour avoir montré des peintures médiévales de Mahomet
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