Tandis que s’ouvre ce mois-ci l’exposition Astérix à la BNF et que sort le premier album « apocryphe », Astérix chez les Pictes, passage en revue des influences artistiques et archéologiques qui nourrissent l’œuvre d’Uderzo et Goscinny.
Si l’on évoque souvent la capacité d’Astérix à susciter la curiosité du jeune public pour l’histoire, on souligne rarement que cette bande dessinée constitue, aussi, une porte d’accès sur l’art. Et pourtant, Goscinny et Uderzo ont jalonné les aventures du Gaulois de références artistiques. Les pastiches y sont notamment légion et reposent sur différents niveaux de lecture ; du pur clin d’œil à l’élément constitutif du récit. Dans Astérix légionnaire, les pirates, qui font systématiquement naufrage dans les albums où ils apparaissent, rejouent ainsi Le Radeau de la Méduse de Géricault. Composition, dialogues, attitudes et attributs des personnages rendent la citation savoureuse. Ailleurs, le comique de situation relève de la répétition et de l’anachronisme : comme dans Les Lauriers de César, où trois allusions artistiques rythment une même planche. Un personnage y réinterprète des icônes de la sculpture : le Discobole, le Laocoon, mais aussi Le Penseur de Rodin. Chez Astérix, le pastiche n’est qu’exceptionnellement signalé comme tel et se fond dans la planche, sans rupture avec la narration ou l’esthétique de celle-ci. Quelques exemples dérogent cependant à cette règle, à l’instar de la kermesse villageoise d’Astérix chez les Belges. Cette relecture du tableau de Bruegel l’Ancien, Le Repas de noces, se distingue par sa taille – il occupe une planche à part – et jouit d’un traitement plus pictural que le reste de l’album, se rapprochant ainsi davantage de l’hommage que de la parodie. Autre exemple, plus récent, de ce goût du détournement : le musée gaulois imaginé dans L’Anniversaire d’Astérix et Obélix. Ici, l’effet comique repose clairement sur l’accumulation de références, puisque nombre de chefs-d’œuvre de la peinture sont transposés dans l’univers plastique de la BD : Mona Lisa adopte ainsi les traits de Falbala, tandis qu’Astérix est portraituré à la manière d’Arcimboldo et que Bonnemine incarne la Liberté guidant le peuple.
Un univers inspiré par la peinture d’histoire
Outre les pastiches, la culture des auteurs se repère également dans les sources iconographiques et archéologiques utilisées pour façonner l’univers et l’atmosphère de la BD. « René Goscinny avait une bibliothèque très fournie, il lisait notamment Paul-Marie Duval, auteur, entre autres, de La Vie quotidienne en Gaule pendant la paix romaine », explique Carine Picaud, conservatrice à la BNF et commissaire cet automne de l’exposition « Astérix ». À travers cette documentation, il cherchait à restituer les costumes et l’architecture gaulois. Pour reconstituer l’architecture romaine, Uderzo s’est également inspiré de la maquette de Rome conservée au Musée de la civilisation romaine ». Malgré cette recherche de vraisemblance historique, Astérix est encore largement tributaire de la vision mythifiée des Gaulois, forgée à la fin du XIXe siècle, et profondément remise en cause par les fouilles au cours des trente dernières années. On sait aujourd’hui que « nos ancêtres les Gaulois » n’étaient pas ce peuple hirsute, coiffé de casques ailés, symboles de victoire, et habitant des villages au cœur de vastes forêts. Cette vision d’une culture fruste, civilisée par la conquête romaine, révèle la conception des Gaulois véhiculée par l’historicisme patriotique, célébré par le Second Empire et la Troisième République.
Emblème de ce courant, la statuaire publique – le Vercingétorix de Millet ou la Statue équestre de Vercingétorix de Bartholdi – alimente l’iconographie de la BD. Une peinture d’histoire de cette école, Vercingétorix jette ses armes aux pieds de César de Lionel Royer, est même clairement identifiable dans la BD. Ce tableau pompier, popularisé par l’imagerie populaire, les manuels scolaires et même les bons points, ouvre ainsi symboliquement le premier album, Astérix le Gaulois. Mais ici, comme souvent chez Astérix, on assiste à une relecture humoristique, car le chef vaincu jette ses armes sur les pieds du Romain. « Il y a toujours une distanciation, la volonté de faire rire à partir d’un substrat historique commun que l’on détourne ; sans jamais se prendre au sérieux », souligne la commissaire. Car si Astérix n’est pas la première BD située dans le monde gallo-romain – elle a été précédée par Alix et Aviorix, un surprenant comic strip gaulois –, l’œuvre de Goscinny et Uderzo marque un tournant dans la représentation du Gaulois en désacralisant le sacro-saint mythe issu du roman national, par les scènes parodiques, mais aussi par des parallèles avec la culture moderne.
Une création nourrie de la culture de son temps
En effet, les sources d’inspiration des auteurs ne se cantonnent pas à l’art ancien et aux connaissances archéologiques. Astérix est aussi le miroir de la culture contemporaine ; de la plus pointue à la plus populaire. Les péplums occupent évidemment une place de choix dans leurs références. Astérix et Cléopâtre puise ainsi explicitement dans le film Cléopâtre de Mankiewicz. Une influence omniprésente dans l’album, revendiquée jusque dans sa couverture, qui cite l’affiche du film dans sa composition et sa typographie. D’autres films irriguent l’univers d’Astérix, notamment dans Astérix gladiateur, où les scènes d’entraînement des combattants évoquent le Spartacus de Kubrick, et où une scène de course de chars dans l’arène parodie ouvertement Ben Hur. Plus surprenant, Astérix chez les Helvètes transpose l’univers sombre du Satyricon, où un certain Fellinus organise des orgies dont les participants arborent le maquillage outrancier et les mœurs décadentes des personnages felliniens. Mais les clins d’œil au cinéma vont largement au-delà de la parodie et traduisent la passion de Goscinny pour ce médium. « D’ailleurs l’auteur travaillait de manière très cinématographique », souligne Carine Picaud, qui remarque que « les scenarii sont construits à la manière de scripts. Sur la colonne de gauche figure la description de chaque case – l’action qui s’y déroule, le décor – et sur celle de droite, les dialogues ainsi que les effets : les travellings, les plongées et les cadrages ». Rien d’étonnant donc, à ce que les auteurs aient, par la suite, réalisé plusieurs adaptations animées de la BD, ainsi qu’un projet, Les Douze Travaux d’Astérix, écrit spécifiquement pour le grand écran.
Nouvel album aux éditions Albert René. Sortie le 24 octobre 2013
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A[RT]stérix, gaulois MAIS pas béotien
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°662 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : A[RT]stérix, gaulois MAIS pas béotien