Une clientèle fortunée chinoise fait monter les enchères du marché des arts sacrés.
Assis en train de se reposer, un moine Luohan, disciple de Bouddha parvenu à l’Éveil, tient son chapelet. Pleins de force, les traits de son visage marqués par l’âge expriment une sérénité empreinte d’une douce ironie. L’un des clous de la 26e Biennale des antiquaires où les arts sacrés asiatiques font une percée, cette sculpture naturaliste chinoise en marbre blanc de la dynastie Song (960-1279) offerte pour 650 000 euros à la galerie Jacques Barrère existe à moins de dix exemplaires dans le monde. « Avec cette exposition la galerie vise clairement le marché chinois. Après avoir collectionné les statuettes en bronze doré, puis les objets bouddhiques de provenance impériale, ces acheteurs s’orientent vers des périodes plus fortes artistiquement », explique l’expert en art d’Asie Antoine Barrère.
Il y a quinze ans, lorsque les prix de l’art chinois étaient bas, seuls des collectionneurs occidentaux et quelques musées internationaux se disputaient des trésors provenant des sacs du Palais d’Été à Pékin par les armées françaises et anglaises en 1860 et 1900, comme des stocks importés dans l’entre-deux-guerres.De nos jours, la Chine qui s’enrichit et le développement d’une vingtaine de musées en Asie et au Moyen-Orient concentrent 90 % de l’art asiatique dominé par Hongkong depuis 2011. Alors que l’Europe et le Japon, en récession, exportent leurs biens et que l’Inde en plein essor économique néglige son art ancien, la tradition culturelle chinoise de la collection alliée à une quête de luxe et au goût pour la spéculation porte la diaspora et les nouvelles fortunes de la Chine continentale, de Hongkong, de Macao et de Taïwan à se réapproprier un patrimoine diversifié dans les arts sacrés d’Asie. En avril dernier, une rarissime porcelaine impériale Ru de la dynastie des Song s’est ainsi envolée pour 20,51 millions d’euros chez Sotheby’s à Hongkong, tandis qu’une statue de Syamatara sino-tibétaine de la dynastie Qing, époque Kangxi (1662-1772), pulvérisant son estimation, grimpait à 505 000 euros en juin dernier chez Christie’s à Paris.
Des prix explosifs
Ces prix flamboyants ont leurs revers. Sotheby’s a du assigner neuf mauvais payeurs chinois en avril dernier selon le site Bloomberg, avant d’imposer aux enchérisseurs une caution d’un million de Hongkong dollars. Un mois auparavant, à l’Hôtel Drouot, était remis en vente un rare album réunissant les textes bouddhiques du « Sûtra de la perfection de la sagesse » calligraphiés par l’empereur, de l’époque Qianlong au XVIIIe siècle. Cet album, adjugé 2,04 millions d’euros, avait été vendu pour 3,6 millions d’euros en 2011 à un acheteur défaillant à Hongkong. « Le marché chinois en train d’exploser risque de chuter car depuis le resserrement de l’économie locale les nationaux ayant acheté à crédit à des prix absurdes n’arrivent plus à payer », observe le sinologue Christian Deydier, président de la Biennale des antiquaires, où sont invités grosses fortunes et courtiers chinois triés sur le volet. Leurs goûts évoluent avec la raréfaction de l’art chinois. « Cette clientèle commence à acheter des peintures religieuses, des sculptures tibétaines et népalaises, la statuaire bouddhique Gandhara de style gréco-indien comme des objets rituels, tandis que les amateurs occidentaux recherchent davantage de petits objets rares avec une belle provenance », analyse Caroline Schulten, directrice du département Arts d’Asie chez Sotheby’s à Paris, où un petit bouddha en jade blanc du XVIIIe siècle, adjugé 130 000 euros, a décuplé son estimation en juin dernier à Paris.
De qualité muséale à prix raisonnables, la statuaire indienne suscite depuis deux ans un regain d’intérêt pour l’art Gandhara originaire du nord-ouest du Pakistan et d’Afghanistan, abondant en faux, comme pour l’art Pâla hindouiste. Nouvelle venue à la biennale, la galerie Christophe Hioco expose de rares œuvres de l’Inde du XIe siècle, à l’instar d’une représentation de Shiva expiant le crime de Brahma, sculpture originaire du Karnataka proposée à 150 000 euros ou d’une exceptionnelle stèle de l’art Pâla du Bihâr figurant Bouddha couronné. « Poussé par les Chinois, le marché très actif de rares bronzes népalais des XIIIe-XIVe siècles connaît une inflation de plus de 50 % », note Christophe Hioco.
Depuis qu’une convention de l’UNESCO prévoit de restituer aux États les objets d’art volés après 1970, le marché valorise la provenance à l’image d’une introuvable tête de Bouddha en marbre blanc de la dynastie Sui (581-610) venant de la collection du publicitaire Marcel Bleustein-Blanchet offerte à la galerie Gisèle Croës entre 120 000 et 180 000 euros. Des niches recèlent des pièces sous-estimées d’Asie du Sud-Est tels que de rarissimes bronzes archaïques Dông Son du Vietnam, vierges de mille ans de colonisation. « De nouveaux collectionneurs du Nord Vietnam se réapproprient ces trésors nés au bord du fleuve Rouge », constate Christophe Hioco faisant découvrir de splendides situles en forme de seaux ornées d’un bestiaire aquatique. L’opportunité de s’offrir un pan méconnu des arts d’Asie pour une somme oscillant entre 5000 et 50 000 euros.
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Arts sacrés d’Asie
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : Arts sacrés d’Asie