Professeur associé dans diverses universités en Europe et aux États-Unis, professeur d’archéologie grecque à l’université de Paris-I et auteur de plusieurs ouvrages sur l’archéologie, Alain Schnapp dirige actuellement l’Institut national d’histoire de l’art (INHA). Il commente l’actualité.
Vous êtes archéologue de formation. Le décret d’application de la loi sur l’archéologie préventive (août 2003) est paru au J.O. le 5 juin. Parmi les nouvelles mesures, l’ouverture des chantiers de fouilles à des entreprises privées ne vous semble-t-elle pas risquée ?
Il y a certainement un risque si ces entreprises n’ont pas les qualifications nécessaires. Il appartient donc au ministère de la Culture et aux prescripteurs des travaux de bien définir les conditions d’exercice de ces entreprises privées. Si celles-ci interviennent sur un certain nombre de secteurs comme le déblaiement, les opérations post-fouilles ou les infrastructures nécessaires aux chantiers, elles peuvent sans doute faire du bon travail. S’il s’agit de créer des établissements rentables de fouilles, cela n’a pas de sens. Cela ne marche dans aucun pays. Les États-Unis, qui s’étaient lancés dans un programme de libéralisation de l’archéologie très important dans les années 1970, sont finalement revenus dans les années 1990 à un système public. L’archéologie n’est pas une activité rentable. On ne purge pas le sol des éléments archéologiques qu’il contient, mais on extrait des informations du sol que l’on préserve en fonction de l’état de la science et de l’art. C’est un acte patrimonial qui relève du service public. Bien sûr, le service public peut être conforté par des entreprises spécialisées, mais pour des missions spécifiques…
Certains élus considéraient pourtant que les fouilles préventives coûtaient trop cher au service public, pointant du doigt l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap)…
La nouvelle loi sur l’archéologie préventive a été débattue à la suite d’une fronde de certains élus locaux qui n’ont peut-être pas saisi le poids du patrimoine. Il semble que le ministère de la Culture ait tout fait de son côté pour que cet instrument extrêmement performant qu’est l’Inrap soit préservé. Mes collègues du Collège de France (Christian Goudineau, Yves Coppens) et d’autres archéologues se sont également manifestés. L’archéologie a un coût et, si ce coût devient trop élevé, il faut que l’État mette des bornes. Mais, à l’heure actuelle, l’État salarie seulement 1 600 techniciens-archéologues pour les fouilles préventives, un chiffre inférieur au nombre de collaborateurs de la Bibliothèque nationale de France ou de celui du Musée du Louvre… Tout le monde serait scandalisé si, brusquement, on disait que le Louvre coûte trop cher, et qu’il faut supprimer 600 postes. Les archéologues, dont je suis, sont un peu scandalisés par les propos de certains sénateurs ou députés mal informés qui veulent réduire le nombre d’archéologues. Il n’y en a pas assez ! S’il y en avait 15 000, on pourrait discuter. Il faut espérer que la loi actuelle ne freine pas les activités de l’Inrap. Cela dit, il faut être conscient que les collectivités locales doivent jouer leur rôle et l’on peut s’étonner que moins de 30 départements seulement disposent aujourd’hui d’un service archéologique… En tant qu’archéologue professionnel, je suis inquiet. Mais je suis certain que la direction de l’Archéologie et du Patrimoine au ministère fait ce qu’elle peut pour démontrer à la collectivité nationale que la protection du passé est un investissement pour le futur.
Vous pensez que la discipline souffre d’un manque de reconnaissance ?
L’archéologie ne souffre pas d’un manque de reconnaissance, comme en témoignent les nombreux visiteurs qui se précipitent aux expositions, aux chantiers ouverts, ou le succès des revues et livres en la matière. L’archéologie souffre en France d’un désintérêt de l’État, et ce depuis la chute du Second Empire ! Si Napoléon III a jeté les bases de l’archéologie nationale, avec notamment la création du Musée des antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye, on a l’impression que la IIIe République a cherché à répudier cet héritage. Ce n’est que dans les années 1960 que les grands musées d’archéologie en province, comme celui de Lyon, ont été créés… Mais, aujourd’hui encore, ils manquent cruellement de moyens. Même le Musée de Saint-Germain-en-Laye ne dispose pas à l’heure actuelle des instruments nécessaires… J’étais récemment en Pologne : le musée archéologique de la petite ville de Poznan ne compte pas moins de 25 collaborateurs scientifiques. C’est plus qu’il n’y en a à Saint-Germain-en-Laye ! Il faut rappeler que la France est connue pour ses grottes ornées, ses monuments historiques et archéologiques. Il est donc étonnant que le pays ne dispose pas d’une archéologie aussi efficace que son dispositif des musées, à titre d’exemple. Nous aimerions que les archéologues français aient la même audience que leurs homologues anglais, italiens, allemands ou espagnols. Il s’agit d’un problème qui va devenir européen. C’est grâce à l’Inrap que la France trouvera sa place aux côtés des grands instituts étrangers.
Attendu depuis plus de vingt ans, créé officiellement en 2001, l’INHA est toujours en chantier. Où en sont les travaux d’aménagement de la vaste bibliothèque que l’Institut doit abriter et ceux des locaux de recherche et d’enseignement ?
Les grands travaux de la bibliothèque sont toujours en discussion. Le projet se heurte à des difficultés budgétaires à un moment où l’État a beaucoup d’autres grands chantiers… Nous espérons que la rénovation du quadrilatère Richelieu [où sera installée la bibliothèque] sera rapidement programmée. Le président de la Bibliothèque nationale de France, qui est l’affectataire de ce bâtiment, a rappelé à maintes reprises qu’il était dangereux, alors qu’il abrite l’une des plus grandes bibliothèques du monde ! L’entreprise est fort longue et très coûteuse. La bibliothèque ne verra probablement pas le jour avant 2009-2010. Quant au bâtiment de la rue Vivienne (qui accueille l’Institut national du patrimoine, les services de l’INHA, des centres de recherche et très prochainement les universités de Paris-I, Paris-IV et bien d’autres), nous espérons qu’il sera inauguré en septembre ou octobre 2004.
La difficile gestation de l’INHA n’est-elle pas révélatrice de la situation de l’histoire de l’art en France aujourd’hui ?
Le développement de l’histoire de l’art n’a effectivement pas été à la hauteur de la richesse culturelle et artistique du pays. Entre les deux guerres, le milieu académique n’a pas su prendre ses responsabilités. Dans les années 1950, alors que l’Allemagne créait le grand Institut de Munich et reconstruisait ses universités, la France était toujours très frileuse. Aujourd’hui, l’un des principaux problèmes que rencontre l’histoire de l’art en France est l’absence de bibliothèques de référence, particulièrement en province. La bataille de l’INHA, c’est de créer un centre largement ouvert sur les régions, accueillant des chercheurs de tous horizons, mais aussi d’aider et de convaincre les collectivités locales (qui vont avoir de plus en plus de poids) d’investir dans le développement de départements universitaires importants.
Quelles sont les expositions qui ont attiré votre attention récemment ?
La grande manifestation du Louvre sur « Les arts autour de 1400 » est, bien sûr, extraordinaire. Mais je voudrais attirer l’attention sur deux expositions : celle qui vient de s’achever à Versailles, sur l’empereur Kangxi – véritable petit bijou, elle a contribué à mieux faire connaître l’histoire des arts et l’archéologie chinoise –, et celle que la Mairie de Paris a consacré aux découvertes de bronzes en Chine centrale. C’est un point de vue d’archéologue un peu orienté, mais ces événements m’ont vraiment enchanté !
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Alain Schnapp, directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art, à Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°196 du 25 juin 2004, avec le titre suivant : Alain Schnapp, directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art, à Paris