Accord original pour un Degas pillé

Le Journal des Arts

Le 28 août 1998 - 424 mots

Un accord est intervenu dans le litige sur un Degas volé par les nazis appartenant à un administrateur de l’Art Institute de Chicago. Par cet accord, le musée, qui avait conseillé l’acheteur, échappe aussi à ses responsabilités.

CHICAGO (de notre correspondant) - Après deux ans d’une bataille juridique menée par les héritiers des époux Gutmann, des collectionneurs hollandais spoliés par les nazis et morts en camp de concentration, le sort du Paysage aux cheminées de Degas (lire le JdA n° 28, septembre 1996) a été réglé par un compromis pour le moins original. Volé pendant la guerre et réclamé à Daniel Searle, administrateur de l’Art Institute de Chicago, qui l’avait acheté, ce monotype rehaussé de pastel a finalement été cédé au musée. Monsieur Searle bénéficie d’une déduction d’impôts équivalant à la moitié de la valeur estimée de l’œuvre. Et l’Art Institute paie comptant aux héritiers une somme correspondant à la moitié du prix. Cet arrangement, le premier du genre, épargne aux parties les frais d’un procès.

En 1939, Friederich et Luisa Gutmann, héritiers de la fortune de la Dresdner Bank, avaient envoyé deux Degas et un Renoir de leur collection à une galerie parisienne. D’après leurs descendants, les tableaux auraient été saisis par l’agence de confiscation nazie Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), avant que le Degas ne se retrouve dans le stock du marchand Hans Wendland, qui pratiquait en Suisse un commerce lucratif avec de hauts dignitaires nazis, dont Hermann Goering.

Sur les conseils de Douglas Druick, conservateur de la collection Daniel C. Searle à l’Art Institute, Mr Searle a acquis le Degas en 1987 pour 875 000 dollars (5,25 millions de francs). Pour ses avocats, le fait que Wendland poursuivi pour pillage de biens privés, avait été acquitté par un tribunal français en 1950, prouvait que son activité était parfaitement légale. Mais le rejet par un juge fédéral de sa requête pour l’abandon des poursuites a sans doute poussé Searle à accepter l’accord qu’il avait refusé l’an dernier.

Néanmoins, plusieurs questions restent sans réponse. En achetant le Degas, l’Art Institute évite à ses conservateurs de se justifier publiquement pour leurs conseils à Mr Searle, et leur manquement – reconnu lors de l’enquête préliminaire – à informer l’un des principaux bienfaiteurs du musée sur la provenance du tableau. Les conservateurs ont également reconnu que le Degas avait été surpayé.
La famille tente à présent de récupérer un Renoir, intitulé Poirier ou Pommier, également confisqué à Paris par les nazis et conservé à Londres depuis vingt ans. Ce tableau a été vendu chez Sotheby’s en 1967.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°65 du 28 août 1998, avec le titre suivant : Accord original pour un Degas pillé

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