Le tableau de Jean Malouel (1370-1415) caché sous la peinture apparente d’un banal tableau ne constitue pas un trésor au sens du Code civil selon le TGI de Clermont-Ferrand.
Vic-le-Comte, 1985. Désirant engager des travaux dans son église auvergnate, un curé décide de vendre une œuvre reléguée dans un local du presbytère pour une centaine de francs. Celle-ci est acquise par un brocanteur qui la présente à un antiquaire. En voyant quelques traces dorées sous le vilain badigeon de l’œuvre, l’antiquaire conseille au brocanteur de faire nettoyer le panneau. Le travail d’un restaurateur révèle que sous la couche supérieure se cachait une seconde œuvre représentant un Christ de pitié soutenu par saint Jean l’Évangéliste en présence de la Vierge et de deux anges !
En 1999, un conservateur du Louvre est frappé par les ressemblances avec la Grande Pietà ronde, attribuée à Jean Malouel, peintre officiel du duc de Bourgogne, Philippe le Hardi. Sans doute peint entre 1405 et 1410, le raffinement de la composition adaptée à la forme du panneau, la douceur du modelé et la délicatesse de la touche que l’on retrouve sur l’œuvre du brocanteur conduit après plusieurs années de recherches à attribuer ce Christ de pitié soutenu par saint Jean l’Évangéliste en présence de la Vierge et de deux angesà l’artiste Malouel comme étant l’une des plus hautes réalisations de l’art de cour européen des années 1400.
À la suite d’un refus de certificat d’exportation, le panneau est classé trésor national et est officiellement acquis par l’État, au profit du Louvre, pour un montant de 7,8 millions d’euros, le 4 novembre 2011, grâce à un mécénat. Face à l’immense couverture médiatique de cette acquisition et de son prix de vente vertigineux, les instincts pécuniaires de l’antiquaire se réveillent. En 2012, ce dernier assigne le brocanteur pour obtenir la moitié de la somme perçue par le brocanteur en faisant valoir que ce trésor avait été révélé grâce à lui. Il soutient que l’alinéa 1er de l’article 716 du Code civil prévoit que « la propriété d’un trésor appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds ; si le trésor est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a découvert [on parle d’“inventeur”, ndlr], et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds ». Le brocanteur réplique en estimant qu’il n’y a pas de trésor, car celui-ci n’a pas été découvert par le « pur effet du hasard », selon la condition posée par l’alinéa 2 dudit article.
Cela revient à dire qu’il n’est pas nécessaire d’appréhender le trésor, ni même de savoir que l’objet mis à jour en était un. Il suffit de le découvrir, de le rendre visible. C’est pourquoi la jurisprudence considère que le caractère de trésor réside, non pas dans sa plus ou moins grande valeur, mais dans le fait que, jusque-là cachée et ignorée, son existence a été révélée par le hasard de la découverte. Prenons l’exemple d’une personne qui découvre un pot dans un jardin et le remet au propriétaire qui y trouve à l’intérieur des pièces d’or : le juge a pu ici affirmer que l’inventeur du trésor était la personne qui avait découvert le pot puisque c’est ce dernier qui contenait les pièces. La question à trancher est donc simple : l’œuvre de Malouel cachée sous une banale peinture est-elle un trésor ?
Le 17 décembre 2014, le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand répond par la négative et dénie la qualité d’inventeur à l’antiquaire, car la condition de découverte « par le pur effet du hasard » n’était pas remplie. L’antiquaire fait appel et soutient fermement qu’il est à l’origine de la découverte de l’œuvre puisque c’est sur son conseil que le brocanteur a fait nettoyer le tableau. Le 4 avril 2016, la cour d’appel de Riom rejette à nouveau sa vision puisque les particules dorées sur la peinture superficielle étaient visibles de tous et l’antiquaire n’avait pu découvrir ou rendre visible ce trésor par l’effet du « pur hasard ». Mécontent l’antiquaire se pourvoit en cassation. Le 5 juillet 2017, la Cour de cassation rejette définitivement les prétentions de l’antiquaire mais prend le contre-pied du raisonnement suivi par la cour d’appel en estimant que « le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard ». Autrement dit, le trésor est un contenu qui doit se différencier de son contenant.
Or la difficulté réside dans le caractère « incorporel » de l’œuvre de Malouel. En effet, pour l’antiquaire, il existait deux œuvres dans un même tableau : celle de Malouel qui se trouverait sur un autre fonds corporel que celui qui est la propriété du brocanteur, et celle sur laquelle se trouvait le badigeon. Toutefois, la Cour de cassation ne suit pas l’antiquaire puisque seules peuvent recevoir la qualification de trésor les choses corporelles matériellement dissociables du fonds dans lequel elles ont été trouvées et comme telles susceptibles d’appropriation. Aussi, les magistrats relèvent que le brocanteur a acquis la propriété du panneau litigieux et que l’œuvre attribuée à Malouel était dissimulée sous la peinture visible. Aussi, il en résulte que l’œuvre est indissociable de son support matériel, dont la propriété au profit du brocanteur était établie, de sorte qu’elle ne constituait pas un trésor et partant qu’aucun inventeur ne pouvait exister.
Voilà une nouvelle illustration, particulièrement originale et nouvelle, de la qualification de trésor par la Cour de cassation qui substitue un motif purement juridique. Peu importe qui a vu telles ou telles traces de dorure ou a eu l’idée de faire nettoyer l’œuvre, le brocanteur a juridiquement acquis une œuvre peinte sur un panneau qui, même cachée sous une peinture visible, était indissociable de son support corporel et ne pouvait constituer un trésor au regard du droit.
Le lecteur ne manquera pas de tirer un enseignement de cette longue procédure : pour le brocanteur, la découverte de l’œuvre de Malouel constituera éternellement un trésor artistique (et financier), tandis que pour le juriste, un trésor n’en sera pas toujours un au regard du droit.
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2014, l’œuvre de Jean Malouel est-elle un « trésor » ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°650 du 28 février 2025, avec le titre suivant : 2014, l’œuvre de Jean Malouel est-elle un « trésor » ?