Année catastrophique pour les musées français ? Sous l’effet conjugué des grèves et de la baisse du tourisme liée aux événements internationaux, la fréquentation a enregistré en 2001 un fort recul, dont les conséquences économiques obligent les institutions à
des choix drastiques.
PARIS - Sans préjuger de la dernière quinzaine de décembre, il est déjà possible de dresser un bilan et de faire les comptes. Aux termes d’une année 2001 marquée par les grèves à répétition et la crise du tourisme liée à la situation internationale, on affiche une baisse de la fréquentation de l’ordre de 25 % au Louvre, de 15 à 20 % au Centre Pompidou, de 30 % au Musée d’Orsay. Le château de Versailles enregistre pour sa part un recul de 6,8 % entre janvier et fin octobre et attend avec une certaine inquiétude le mois prochain, qui voit traditionnellement venir beaucoup de Japonais et d’Asiatiques. La chute du tourisme touche de plein fouet les grands établissements, puisque pour le Louvre seul, les visiteurs étrangers représentent 67 % de la fréquentation. Et “une baisse de la fréquentation de 25 % induit une diminution du chiffre d’affaires dans les boutiques de 30 à 35 %”, indique Alain Madeleine-Perdrillat, directeur de la communication à la Réunion des musées nationaux (RMN). Rien que pour le mois d’octobre, la RMN a constaté une baisse de 5 millions de francs pour la billetterie et de 3 millions pour les espaces commerciaux, consécutive à un effondrement dramatique de la fréquentation : -82 % à Orsay, -57 % au Louvre, -27 % au château de Versailles.
Au Louvre, il manque 25 millions de francs (sur un budget global de 770 millions) par rapport aux prévisions du début de l’année. Pour réaliser des économies, le musée a déjà décidé d’annuler ou de reporter les trois expositions du deuxième semestre 2002, notamment celle consacrée aux acquisitions récentes. Et la programmation de l’auditorium pourrait également être un peu allégée. Ces mesures ont été prises sans tarder car “la baisse du tourisme risque de durer au moins six mois, analyse Christophe Monin, responsable de la communication au Louvre. Si on prend l’exemple de la guerre du Golfe, pendant plusieurs mois après la fin du conflit, le tourisme international était resté atone.”
Pour l’année prochaine, Jean-Jacques Aillagon, le président du Centre Georges-Pompidou, se dit “attentif mais pas pessimiste”. “Nous avons mis en place un dispositif d’encadrement strict de la dépense, en donnant la priorité à la programmation culturelle par rapport aux dépenses de fonctionnement.” Une seule exposition est reportée à 2003, “Philippe Starck”, à cause de la prolongation d’expositions précédentes (“Sonic Process” est pour sa part décalée du printemps à l’automne). Toutefois, la liste des œuvres de certaines d’entre elles sera sans doute raccourcie. Par ailleurs, les perspectives de mécénat sont moins prometteuses que les années précédentes, reconnaît le président du Centre, qui doit trouver un remplaçant à PPR, le groupe de François Pinault, qui, au début de l’automne, a retiré sa contribution de 4,6 millions de francs à l’exposition “La révolution surréaliste”.
Au Louvre, en revanche, aussi bien dans la location d’espaces que dans la participation à des projets culturels, on n’observe aucun recul.
La Réunion des musées nationaux subit en revanche de plein fouet le contrecoup de la crise. Alors qu’après des années difficiles, celle-ci avait retrouvé l’équilibre, elle voit à nouveau se profiler le spectre des déficits. En effet, l’année prochaine, la programmation, à divers titres, s’annonce risquée. Et l’on songe déjà à reformater les expositions et à réduire les coûts, à commencer par “Matisse-Picasso” au Grand Palais. Si nous avons déjà évoqué le renchérissement des primes d’assurances (lire le JdA n° 134, 12 octobre 2001), il est possible aujourd’hui de se faire une idée plus précise du surcoût, qui serait ici de l’ordre de cinq à sept millions de francs supplémentaires. “Avec le nouveau calcul des valeurs d’assurance, l’exposition devient déficitaire même avec 4 000 visiteurs par jour”, constate Alain Madeleine-Perdrillat. Aussi la garantie d’État, qui permet à l’État d’être son propre assureur, a-t-elle été sollicitée. Elle pourrait aussi être demandée pour “La révolution surréaliste”.
L’inquiétude pour “Matisse-Picasso” est d’autant plus grande que d’importantes recettes étaient espérées de cette manifestation, qui auraient compensé les pertes attendues dans les autres expositions consacrées à Théodore Chassériau et aux arts décoratifs sous le règne de Louis XIII. Quand cette programmation a été établie, en 1998, rien ne laissait présager une conjoncture aussi catastrophique. Par ailleurs, l’exposition “Mélancolie”, prévue au printemps 2003, a d’ores et déjà été annulée à la demande de son commissaire, Jean Clair. Plutôt que d’envisager de nécessaires ajustements, il a préféré prendre les devants.
Face à une année 2002 qui s’annonce “ultra déficitaire”, seules des subventions de l’État permettraient d’amortir le choc. Ce serait la moindre des choses, si l’on considère que le ministère de la Culture porte une lourde responsabilité dans la prolongation des mouvements sociaux, en refusant de négocier sérieusement avec les syndicats sur l’aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT). Il serait paradoxal que les musées aient à supporter les conséquences d’un conflit dont ils ne maîtrisaient pas la résolution. En outre, le problème de l’ARTT n’est pas réglé : diverses actions ponctuelles se poursuivent, et de nouvelles grèves ne sont pas à exclure au début de l’année prochaine.
Ces déboires interviennent en outre dans un contexte défavorable aussi bien pour la RMN que pour le Centre Pompidou. “Au cours des quinze dernières années, le Centre a vu ses charges augmenter plus vite que la subvention de l’État, même si cette subvention s’accroît régulièrement (5 % l’an prochain)”, constate Jean-Jacques Aillagon. Augmentation mécanique de la masse salariale, entretien des installations, charges locatives nouvelles pèsent lourdement sur le budget du Centre. À titre d’exemple, Jean-Jacques Aillagon rappelle que depuis le réaménagement, son institution loue un immeuble pour l’administration de la Bibliothèque publique d’information (BPI), sans que les cinq millions de loyer aient été compensés par une subvention nouvelle. Néanmoins, il se félicite d’avoir obtenu un coup de pouce du ministère sur le budget 2002.
Pour la RMN, le contexte n’est pas moins défavorable puisqu’elle se trouve à nouveau fragilisée au moment où la pression des grands établissements se fait toujours plus forte pour s’affranchir du système de mutualisation entre les musées.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
2001, « annus horribilis » pour les musées français
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°139 du 21 décembre 2001, avec le titre suivant : 2001, « annus horribilis » pour les musées français