Art contemporain - Politique

L’art contemporain russe perd simultanément ses deux principaux protecteurs

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 2 juin 2016 - 593 mots

MOSCOU / RUSSIE

MOSCOU (RUSSIE) [02.06.16] – Le directeur du Centre d’Etat pour l’art contemporain a été interrogé par la police pour une affaire qui apparaît comme un prétexte pour le déstabiliser tandis que le fondateur de la biennale d’art contemporain de Moscou se retire de la manifestation.

Mikhaïl Mindlin, ex-directeur du Centre d’Etat pour l’Art Contemporain (CEAC) à Moscou
Mikhaïl Mindlin, ex-directeur du Centre d’Etat pour l’Art Contemporain (CEAC) à Moscou
© Photo National Centre for Contemporary Arts (NCCA)

L’art contemporain est décidément la cible des autorités russes. Mikhaïl Mindlin, qui dirigeait jusqu’à la semaine dernière le Centre d’Etat pour l’art contemporain (CEAC), a été interrogé par la police dans une sombre affaire de détournement d’argent public. Dans le même temps, le siège du CEAC faisait l’objet d’une descente de police. Quasiment au même moment, on apprenait que la biennale d’art contemporain de Moscou perdait son commissaire et fondateur Iossif Backstein.

Formellement, les deux événements ne sont pas liés, mais symbole est fort. Mindlin (60 ans) et Backstein (70 ans) appartiennent à la même génération, occupent tous les deux des postes qui en font des pivots entre le ministère de la culture et le monde de l’art contemporain. Ils sont tous deux respectés pour leurs compétences et leur rôle historique dans l’émergence des institutions qu’ils dirigeaient.

Bizarrement éclaboussé par un vaste scandale touchant aux restaurations bâclées de monuments historiques au sein du ministère de la culture, Mikhaïl Mindlin était injoignable hier. De son côté, Iossif Backstein indiquait au site artguide.com « ne plus pouvoir s’occuper de la biennale. Elle va changer de format et de structure (…) je prévois de me concentrer sur mon activité d’enseignement et sur le développement de l’Institut des problèmes de l’art contemporain ».

Fondée en 2005, la biennale d’art contemporain de Moscou a rapidement progressé jusqu’à son pic lors de la troisième biennale de 2009, où sous l’impulsion du curateur Jean-Hubert Martin, elle a su attirer l’attention du monde entier. Faute de soutien public, son déclin était manifeste en 2013. « La 6ème biennale de 2015 fut la moins remarquée et la plus critiquée », note Vladimir Bogdanov, directeur d’ArtInvestment.ru. « Elle a fermé 20 jours avant le terme annoncé, alors qu’il était déjà évident depuis un certain temps que l’organisation nécessitait des corrections importantes. La question se pose maintenant sur l’identité des futurs responsables de la biennale de 2017. Je ne serais pas surpris qu’il s’agisse de ROSIZO, qui a le vent en poupe ».

ROSIZO est l’organisation d’Etat qui vient d’avaler le CEAC, et qui est « connue pour ses expositions affreuses d’artistes soviétiques de style stalinien », déplore l’historien et critique d’art Andreï Erofeev. Il ne voit pas d’attaque coordonnée dans les départs simultanés de Mindlin et de Backstein. Mais il note que la « la direction du ministère de la culture est hostile à l’art contemporain et refuse de le soutenir. Le théâtre, le cinéma et la musique ont accepté les règles du jeu, à savoir l’autocensure, tandis que l’art contemporain reste trop libre et incontrôlable ». L’historien fait un parallèle avec les années 1930, où l’explosion de l’avant-garde a fait place au glacis du réalisme socialiste. « Dans les années 2000, le pouvoir était trop occupé par sa propre consolidation pour s’occuper de la culture. Ce processus est achevé, et le pouvoir s’attache maintenant à purger les milieux artistiques ».

Andreï Erofeev déplore le départ de Iossif Backstein, tout en s’étonnant qu’il n’ait pas eu lieu plus tôt, à cause des pressions venant du ministère. « Il est normal qu’il y ait une rotation parce que Backstein dirigeait la biennale depuis longtemps. Mais il s’agit du départ d’un spécialiste reconnu, qui sera remplacé par un administrateur parachuté, loyal et incompétent, selon les principes établis à l’époque soviétique.»

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