Les ventes d’art russe ont continué à chuter en 2015, à Londres comme à Moscou. Un bouquet de facteurs tels que le prix du pétrole, la crise économique, une législation contraignante, découragent les collectionneurs.
MOSCOU - Le marché de l’art russe est en berne. Les enchères d’art russe organisées l’année dernière à Londres (principale place d’échange pour les tableaux de maîtres) ont beaucoup déçu, avec des volumes de moitié inférieurs à ceux de 2014. Pour la première fois, aucune œuvre, lors des vacations de Christie’s et de Sotheby’s, n’a atteint le million de livres sterling.
Les maisons de ventes en Russie souffrent encore davantage. « Plusieurs ont fermé boutique ces deux dernières années », note Konstantin Babulin, directeur général d’Artinvestment.ru, une salle de vente en ligne. Entre 2014 et 2015, le volume des échanges a été divisé par deux en roubles, et par trois en dollars, estime-t-il. Liée à la valeur du baril de pétrole, la devise russe a dégringolé avec lui. « En roubles, les ventes aux enchères russes ont totalisé 257,5 millions, contre 539,7 en 2014 », poursuit Konstantin Babulin. « Cela fait 4,2 millions de dollars, soit deux fois moins que nos pronostics les plus pessimistes. » En 2013, le volume des ventes atteignait 20 millions de dollars. Il faut noter qu’aucune maison ne publie ses résultats officiels et que le marché reste très opaque. Seules trois maisons de ventes moscovites furent actives l’année dernière : Sovkom (orientée vers l’art ancien), Vladey, spécialisée dans l’art des trente dernières années et Gelos, qui a enregistré des ventes calamiteuses. Sovkom, qui organise habituellement deux vacations par an, n’en a fait qu’une en 2015, « mais très réussie », note Babulin. Vladey a maintenu son rythme de deux ventes aux enchères et a introduit l’année dernière une nouvelle formule « tout à 100 euros » pour attirer une nouvelle génération de collectionneurs. Deux ventes aux enchères, où le prix de départ de tous les lots était fixé à 100 euros ont été organisées avec un succès indéniable… puisque tous les lots ont été vendus.
Du côté des foires, « le salon des antiquaires », où l’art ancien domine, a été organisé comme d’habitude au printemps et en automne. La 39e édition de septembre 2015 a donné un résultat meilleur qu’attendu. « Nous nous attendions au pire », se souvient Babulin. Une poignée de pièces sont parties pour des prix compris entre 100 000 et 200 000 dollars, mais dans l’ensemble les transactions plafonnaient à 50 000 dollars, dévoile une note publiée par artinvestment.ru. L’art contemporain dispose d’une nouvelle foire, « Cosmoscow », dont la seconde édition en septembre 2015 a donné des résultats mitigés en termes de ventes, selon les galeristes interrogés.
Indexation sur le prix du pétrole
Des experts établissent une corrélation entre le marché de l’art et les prix du pétrole. Les prix de l’art russe ont culminé en 2007 et 2008, à l’époque où le baril de pétrole atteignait son record historique de 140 dollars (contre 35 actuellement). Mais les facteurs négatifs sont multiples. « Bien sûr que la situation économique, qui s’est fortement dégradée depuis deux ans, joue un rôle important », explique Dmitri Butkevich, expert du marché de l’art pour le groupe de presse Kommersant. « Mais la politique joue également son rôle. Les relations avec l’Occident se sont dégradées. Ces deux facteurs génèrent du pessimisme parmi les collectionneurs russes. Or, la psychologie est un facteur déterminant dans l’achat d’art ». Butkevich pointe aussi un doigt accusateur vers le gouvernement russe. « Une loi en préparation sur l’enregistrement officiel des œuvres d’art épouvante les acteurs du marché ». La loi forcerait tous les collectionneurs à expertiser à leurs frais chaque « œuvre à valeur culturelle » de plus de soixante-dix ans en leur possession, afin de l’inclure dans une base de données étatique. « Cela concerne les assiettes de porcelaine de série comme les tableaux de maître », s’exclame Boutkevich. « Imaginez le casse-tête bureaucratique pour [l’homme d’affaires russe] David Yakobachvili, qui se prépare à ouvrir au printemps un musée privé de 20 000 objets d’arts à Moscou ! »
Une législation dissuasive
« La législation déjà en vigueur, qui interdit formellement l’exportation de toute œuvre d’art de plus d’un siècle d’ancienneté, constitue aussi un frein majeur pour le développement du marché russe. Cette loi, couplée aux risques politiques croissants encourus par les grandes fortunes russes, place les collectionneurs devant une question pénible », explique Mikhaïl Kamensky, expert du marché de l’art russe. « Beaucoup craignent d’être contraints de quitter précipitamment la Russie, et d’être ainsi forcés de laisser leur collection derrière eux. C’est un vrai frein pour le marché », estime-t-il.
Tous les observateurs s’accordent à dire que les niveaux de prix de 2007 sont aujourd’hui impensables. En 2014, l’œuvre la moins chère du « top 10 » atteignait 113 000 dollars. En 2015, c’était le niveau de prix de la peinture la plus chère vendue en Russie (130 000 dollars pour Sur la plage, 1987, de Semyon Faibosovich). Parmi les dix premières meilleurs ventes de l’année dernière figurent des œuvres de peintres non-conformistes soviétiques (Rabin, Veissberg, Kolesnikov, Konchalovsky, Yavlensky) et des oeuvres contemporaines (Faibisovich, Dubosarsky & Vinogradov, Koshlyakov). En revanche, bien qu’il soit activement promu par le ministre de la Culture actuel, à travers des expositions pompeuses, le style réalisme-socialiste n’attire pas les pétrodollars. Au moins une bonne nouvelle.
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Le marché de l’art russe s’enfonce dans la crise
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Abonnez-vous dès 1 €Semyon Faibisovich, A Good Memory from the cycle « On the Beach », 1987, huile sur toile, 90 x 270 cm. Courtesy Vladey, Moscou.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°452 du 4 mars 2016, avec le titre suivant : Le marché de l’art russe s’enfonce dans la crise