PARIS [15.10.13] - La cour d'appel de Paris a condamné un des chefs de file de la Figuration narrative pour avoir intégré trois photographies dans plus d'une vingtaine de ses œuvres, au titre de la contrefaçon.
Critiquer la société de consommation, en se réappropriant ses codes et ses images, afin d'accorder à l'art une dimension critique et politique n'abolit nullement la nécessité de respecter les droits de propriété intellectuelle qui peuvent être reconnus aux oeuvres premières. En l'espèce, Peter Klasen avait utilisé comme matériau originel trois photographies représentant le visage maquillé d'une jeune femme, publiées avec la mention de leur auteur, le Français Alix Malka, afin de créer vingt-trois toiles.
Par son travail d'adaptation et d'incorporation, et en l'absence de toute autorisation, l'artiste aurait, selon le photographe, porté atteinte à son droit moral et à ses droits patrimoniaux. En première instance, les juges avaient dénié auxdites photographies la qualité d'oeuvres de l'esprit et reconnu à Peter Klasen la possibilité d'invoquer l'exception de parodie.
La cour d'appel de Paris, au terme d'un arrêt du 18 septembre 2013, infirme en tous points la décision rendue en reconnaissant tout à la fois l'éligibilité à la protection par le droit d'auteur des photographies, le caractère infondé des exceptions soulevées par Klasen et la contrefaçon des oeuvres premières.
Ainsi, la cour relève que si les éléments qui composent les clichés s'avèrent « manifestement connus (notamment cadre serré, effets de brillance et de clair-obscur) ou, que pris séparément, ils sont susceptibles d'appartenir au fonds commun de l'univers de la photographie dite "glamour" (...), en revanche, leur combinaison telle que revendiquée (...) confère à ces photographies une physionomie propre qui les distingue des autres photographies du même genre. »
A cet égard, la cour opère une appréciation de l'originalité de chacun des clichés, avant de conclure que ces choix traduisent, « au-delà du savoir-faire d'un professionnel de la photographie contribuant à valoriser des produits du commerce dans une revue de mode, un réel parti-pris esthétique empreint de la personnalité de leur auteur ». En effet, le genre constituant un critère inopérant, la publication des photographies dans un magazine de mode ne peut nullement perturber leur qualification.
Peter Klasen invoqua alors quatre moyens de défense, tous rejetés. En effet, l'exercice de la liberté d'expression artistique s'avère limité, faute d'intérêt supérieur, sauf à méconnaître le droit à la protection des créations d'autrui. Par ailleurs, selon la cour, les utilisations litigieuses ne suffisaient pas à caractériser l'existence d'une démarche artistique relevant de la parodie.
A cet égard, les juges relèvent que « Peter Klasen a en fait conservé les représentations du visage du mannequin dans une pose inchangée, sans la priver de leur impact attirant voulu par son auteur, les confrontant seulement à d'autres représentations décalées, généralement d'objets, permettant de s'interroger sur la pertinence de l'attraction induite par l'oeuvre première ». Or, cette impression demeure dans les oeuvres incriminées.
Dès lors, celles-ci ne permettent pas de caractériser une parodie ou dérision des oeuvres premières au regard de l'article L. 122-5, 4° du code de la propriété intellectuelle. En outre, les photographies utilisées occupant une place non négligeable dans les oeuvres litigieuses, le droit de courte citation ou encore le caractère accessoire des représentations ne peuvent être retenus. L'appropriation des oeuvres premières a en définitive consisté en un prélèvement trop important, sans pour autant opérer une réelle nouvelle interprétation. La cour d'appel signe ainsi de manière sous-jacente l'échec de l'entreprise de Peter Klasen.
Enfin, les juges se prêtent à un savant calcul afin d'apprécier le préjudice réellement subi par le photographe, prenant en considération la reproduction des oeuvres contrefaisantes sur de multiples supports, la vente de certaines d'entre elles et l'atteinte au droit à la paternité, afin de condamner Klasen à verser 50 000 euros de dommages-intérêts.
Cependant, les juges ne font pas droit à la demande du photographe de prononcer la confiscation aux fins de destruction des oeuvres secondes, une telle mesure s'avérant en l'espèce disproportionnée.
De part et d'autre de l'Atlantique, de Peter Klasen à Richard Prince, la technique de l'appropriation s'avère désormais précisée dans ses contours juridiques et nécessairement artistiques.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Peter Klasen pris au piège de l'appropriation
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Entrée principale du Palais de Justice - © Photo Nitot - 2005 - Licence CC BY-SA 3.0