PARIS [01.12.08]- Plus aucune institution ne peut ignorer Internet. Pourtant, les grands musées français peinent à adapter leur communication aux nouveaux modes de navigation des internautes. Plus décomplexés, les musées anglo-saxons comme le MoMA tentent, quant à eux, de s’adapter aux nouvelles formes d’informations et investissent sur les réseaux sociaux : YouTube, iTune et même Facebook.
À quelques jours de la sortie de www.museehistoire.com, le nouveau site Web du musée d’Histoire de France crée en 1837 par le roi Louis-Philippe, le château de Versailles ambitionne de passer à la vitesse supérieure sur Internet. Mais l’institution reconnaît qu’elle devra d’abord essuyer des plâtres encore frais. Objectif pour elle et ses équipes en charge du dossier : l’Internet participatif, appelé dans le jargon « Web 2.0 ».
« Nous travaillons aux projets d’ouverture de nouveaux espaces participatifs, confie Laurent Gaveau, chef du service Nouveaux médias, ancien collaborateur d’Universal fraîchement arrivé au Château. Versailles passionne déjà un grand nombre d’amateurs d’histoire (étudiants, chercheurs, enseignants), qu’il n’est pas impossible de rassembler. Certains animent même déjà des sites “perso” sur le Château. Nous voulons faire entendre leur voix. »
Malheureusement, ce désir d’ouverture au Web 2.0 ne va pas sans des difficultés auxquelles le Château va devoir répondre. À commencer par la délicate articulation des informations scientifiques avec les contributions du grand public, par définition non-spécialiste. En France, les institutions sont fournisseurs de contenus validés par des historiens et des conservateurs qui n’envisagent pas de voir leurs contributions « corrompues » par des textes non vérifiés, ou des thèses non admises. Pour cela, le site du musée d’Histoire de France va devoir distinguer les deux types de contributions et les identifier clairement pour le lecteur.
Le site participatif de Jeff Koons pollué par une poignée d’opposants
La perte du contrôle de leur message est un autre des problèmes que les musées doivent anticiper. Le Château de Versailles en a récemment fait les frais avec l’exposition « Jeff Koons », pour laquelle elle avait mis en ligne un espace participatif accessible depuis le site www.jeffkoonsversailles.com. « Nous savions que l’exposition allait susciter de vives réactions. Pour cela, nous avons mis à disposition des internautes une plateforme participative qui leur permettait de pendre part intelligemment, et de manière constructive, au débat », a expliqué Laurent Gaveau qui, interviewé par téléphone, n’a pas souhaité s’étendre davantage sur le sujet.
Mais voilà, une poignée d’internautes ne l’a pas entendu de cette oreille. Un groupe d’opposants d’extrême droite s’est empressé de polluer de messages partisans cet espace participatif, obligeant le château à fermer les vannes. « Nous avons perdu la main », reconnaît Laurent Gaveau. Fermée, la plate-forme a été remplacée par un « mur d’images » virtuel sur lequel les internautes peuvent déposer leurs photos du Split-Rocker de Jeff Koons, visible dans les jardins de Versailles. Mais si l’ergonomie du « mur » est très réussie, son intérêt est plus limitée.
Malheureuse, cette expérience n’a pas pour autant découragé le Château de Versailles qui jure avoir compris la leçon et tirer parti de cet échec. « Nous le mesurons aujourd’hui avec le prochain site du musée d’Histoire de France : l’équipe scientifique est enthousiaste de faire participer le public », raconte Laurent Gaveau qui ajoute être « dans une phase d’apprentissage passionnante » .
Le MoMA, une longueur d’avance sur Versailles ?
Le train du Web participatif est donc en marche et il s’agit pour les institutions de ne pas le louper. Car, en France, les enjeux sont de taille et les « concurrents » étrangers bien armés, quand ils ne sont pas des « locomotives ». Ainsi le Château de Versailles est présent sur le site de partage de vidéos YouTube et sur iTunes, notamment par la mise à disposition de visites audio de l’exposition Koons à podcaster gratuitement. De l’autre côté de l’Atlantique, le MoMA possède lui aussi son propre « pack » YouTube/iTunes, mais il dispose en plus de sa propre page officielle sur Facebook et envisage un prochain partenariat avec l’iPhone d’Apple, must have à New York.
Invitée le 18 novembre 2008 à participer à la matinée sur le marketing culturel organisée par in:fluencia et Communic’art à Paris, Kim Mitchell, directrice des communications et de la publicité du MoMA, a reconnu qu’Internet et les réseaux sociaux occupent désormais une place importante dans la stratégie poursuivie par le musée, et pour un investissement souvent minimum. Le montage des expositions est par exemple aujourd’hui filmé par un collaborateur du musée à l’aide d’une caméra légère, puis directement uploadé sur YouTube où la vidéo sera vue par plusieurs milliers d’internautes. Plus de 110 vidéos ont d’ores et déjà été publiées par le MoMA, qui possède en outre son propre canal sur YouTube. Et plus d’1,3 millions d’internautes ont visionné ces documents. Simple, efficace et peu coûteux.
Ainsi, sur la totalité du budget pub du MoMA, 11 % vont à Internet (contre 15 % aux journaux et 14 % aux magazines), dont 5 % vont à Facebook, 46 % à l’indexation sur Google et 12 % aux bannières promotionnelles.
Le Louvre à l’heure de l’économie culturelle
Quels sont les enjeux d’un tel marketing culturel sur Internet ? C’est Kim Mitchell qui, lors de la matinée du 18 novembre, a le mieux répondu à la question : « Les loisirs deviennent une priorité pour les gens. Pourtant, il y a bien d'autres choses que l’on peut faire le dimanche après-midi à New York que d’aller au musée. La concurrence est partout et de plus en plus féroce. C’est un défi constant de renouveler nos canaux de communication et de fidéliser de nouveaux publics. »
Fidéliser : le mot est lâché et semble ne plus être grossier en matière de culture, outre-Atlantique du moins. Car en France, le chemin à parcourir semble encore long pour décomplexer les institutions. Le Louvre, par exemple, caché derrière « l’arbre » de la pédagogie, semble ne pas encore bien connaître ses visiteurs internautes, une condition pourtant nécessaire pour un « marketing » réussi. « L’important est de bien cerner ses groupes cibles et de différencier le public de masse des leaders d’opinion et des publics semi-professionnels », a compris Laurent Gaveau.
« Il n’y a pas de Web 2.0 si on n’est pas sur un concept de rendez-vous, a martelé Agnès Alfandari, chef du service Multimédia du musée du Louvre. Une page sur Facebook qui ne bouge pas ne sert à rien. Il faut constamment alimenter nos contenus : publier un nouveau podcast, écrire un nouveau post, etc. » Certes, mais l’un empêche-t-il l’autre ? Pendant que le Louvre réfléchit à donner un visage plus humain au musée (jugé trop écrasant), pendant que l’institution s’interroge encore sur le concept de « marque » ou sur la gratuité de son contenu en ligne, le monde file à grand train sur Facebook, MySpace, Skyblog, Dailymotion et maintenant Twitter. Et le Louvre, comme les autres, ne peut pas l’ignorer.
Le 16 novembre 2008, les participants au Forum d’Avignon, appelé par les médias le « Davos » de la culture, ont rappelé combien la culture était devenue un vecteur de croissance économique qui passait désormais obligatoirement par le canal Internet. Le sujet s’inscrit plus que jamais dans l’actualité.
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Pour Versailles et le Louvre, la bataille du Web 2.0 a commencé
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